Chevaliers de l'Eclipse
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Chroniques des Gardiens de fer

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Chroniques des Gardiens de fer Empty Chroniques des Gardiens de fer

Message par DALOKA Sam 13 Mar - 16:30

Ici serons racontées à partir de maintenant les histoires courtes concernant les Gardiens de fer. Elles ne seront pas publiées dans leur ordre chronologique. Il est aussi possible que certaines parties des histoires restent à jamais incomplètes ou n'arrivent que très tardivement étant donné qu'il s'agit d'un projet secondaire, avec pour but de donner de l'espace à certains de mes personnages afin de respirer et de s'exprimer. Ou juste souffrir.

Informations complémentaires:

Il n'est pas nécessaire pour moi de connaître les personnages des Gardiens de fer pour commencer à lire ces histoires, du moins lire leurs précédentes aventures est purement optionnel. En revanche, afin que seule une connaissance très basique de l'univers d'Eclipse soit suffisante, et en raison de mon écriture non-linéaire pour ces histoires, je met à votre disposition une source d'information résumée sur les personnages, termes, et organisations qu'il est utile de connaître. Elle sera mise à jour à chaque nouvelle histoire.

Ordre chronologique:

Hiver 1873: Mission 2: Tu mourras en tant qu'humain.=> Interlude 1: ( Prendre une pause fait partie des missions, Rage !) et Interlude 2 Le Droit d'être forte => Mission 4: Un Titan Silencieux

Personnages:

Krakendorf Eloen:

Platine:

Rage:

Lore:

Les Gardiens de Fer:

Inquisition et Magicae Cohortis:

Les Saints Dorés:


Dernière édition par DALOKA le Mar 8 Juin - 11:21, édité 9 fois
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Nom des personnages: TROP

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Chroniques des Gardiens de fer Empty Deuxième mission

Message par DALOKA Sam 13 Mar - 16:52

Hiver 1873: Frontière entre Haynailia et Nurenuil


Map:


Mission 2: Tu mourras en tant qu'humain.



En voyant ce qu’il restait du village, Rage comprit être arrivée trop tard. Déjà, alors qu’elle descendait la colline puis le champ, le silence funeste qui régnait au beau milieu de l’aube qui se levait tout juste lui glaça le sang, mais voir l’étendue des dégâts lui fit appréhender les pires possibilités. De larges trous d’un mètre de circonférence, parfaitement circulaires, sillonnaient les bâtisses comme le sol. Ils n’avaient pas épargnés les bêtes, ni les habitants, plusieurs cadavres gisant aux milieux de leurs tripes et de leur sang, guère éloignés des parties arrachées de leur corps. Tout sentait la charogne, mais personne ne criait à l’aide ou à l’agonie. Le bilan des victime, pour un petit village comme celui ci, s’élèverait à plus d’une centaine de personnes.
Rage abandonna ici sa monture, qui ne tarderait pas à paniquer, et descendit elle-même dans le village l’épée longue au poing. Il ne restait plus grand-chose de son armure habituelle à la suite de son précédent combat, elle avait donc dû opter pour une cotte de maille qui tombait jusqu’au haut de ses genoux, ainsi qu’un plastron pour protéger sa poitrine, et d’autres pièces qu’elle avait pu se procurer rapidement en dilapidant son salaire. Cet équipement, bien qu’il ne portait pas l’insigne des gardiens de fer, ne la protégerait pas plus mal que le précédent.

Plus proche du cataclysme qui avait lieu, Rage ne put contenir une expiration désespérée, qui se transforma dans l’air glacial en une épaisse bouffée de buée. Les trous foraient le sol dans des parcours non linéaires, formant de grands fossés qui évoquaient le passage d’une créature massive, longue comme un serpent, ou un ver. Elle en trembla. Malgré son armure, Rage ne se sentait nullement protégée, alors que les trous ne pouvaient lui évoquer que les choses rampantes qui l’avaient attaquée… Elle les sentait encore glisser sur sa peau, baver sur ses plaies ouvertes, et se planter en elle. Ces souvenirs encore frais la paralysèrent sur place, jusqu’à lui faire oublier la mission. L’omniprésence des vers, la sensation d’immobilité, tout ceci ramenait à la surface un souvenir enraciné plus profondément encore, que sa dignité désirait toujours effacé. Quelque chose lui écrasait la gorge depuis l’intérieur même, sans qu’elle puisse le vomir. Comme si elle ne pouvait que s’observer elle-même à distance sans pouvoir se maîtriser, Rage sentit l’espace d’un instant que son corps ne lui appartenait plus.

Un genou à terre, les bras resserrés contre sa poitrine, la femme au cheveux rouges haletait puissamment, émettant des bruits étouffés qui se rapprochaient de sanglots. Le contact même de ses vêtements lui devenait inconfortable. Son cœur explosait. Rage inspira profondément, expira doucement, tenta de se calmer. Le territoire ennemi était mal choisi pour qu’elle perde la tête, elle le savait mieux que quiconque.

Se vider la tête et détendre son corps lui fit perdre cinq bonnes minutes, après quoi, l’estomac encore noué, elle décida finalement d’approcher l’un de ces cercles creusés dans la terre. L’espace à l’intérieur des trous, d’une façon presque imperceptible, vibrait, et l’air y était trouble. Lorsqu’elle en approcha sa main ganté, elle ressentit une certaine résistance. Une force surnaturelle la repoussait, et elle dut faire un certain effort pour plonger l’entièreté de sa main dans cet espace… Ce qui signifiait qu’un humain normal en aurait été incapable. Relâcher la force que son bras exerçait fit que sa main fut repoussée en un instant, éjectée du champ de force.

Alors qu’elle longeait l’étrange tunnel d’air brouillé, son enquête fut distraite par d’étranges bruits qui lui firent prendre l’épée. Ils provenaient de derrière le mur de pierre d’une grange effondrée. Rage s’y avança avec prudence, se faisant aussi discrète que possible malgré le métal qui la recouvrait, jusqu’à coller le mur. Là, elle jeta un coup d’œil à l’intérieur de ce qu’il restait de la grange, alors que les bruits réguliers, pleins de craquements et de viscosité, lui évoquèrent celui de la mastication. De dents dans la viande crue. Au delà du mur, le cadavre d’un jeune homme décapité se trouvait sous une masse de longs poils blonds et secs, plus petite que lui. Rage ne la crut pas humanoïde, jusqu’à voir de longs membres blancs fouiller les entrailles de l’homme, des bras aux proportions tout à fait humaine. Si elle l’observait d’un autre angle, la créature était un humanoïde nu, dont la maigreur creusait la chair jusqu’aux os, recouvert uniquement d’une épaisse chevelure qui lui poussait comme une crinière. Détailler son physique, même dans cet étrange état, lui fit conclure qu’il s’agissait d’une femme. Humaine, mise à part peut-être pour ses mains aux doigts trop longs, prolongés de griffes, et ses jambes velues et noires jusqu’au haut des genoux. Humaine, même si la seule part visible de son visage, sa bouche, mordait la chair de la charogne, la tirait, l’arrachait, puis la mâchait. Ses dents et l’entièreté de sa gorge en étaient rouges de sang.
La fille s’interrompit dans son repas, et remarqua Rage, sa tête pivotant d’un seul coup vers elle. Par réflexe, la gardienne de fer leva son épée dans une posture défensive, mais la fille ne se jeta pas sur elle. Elle hurla, puis son cri fut couvert par un grondement sourd et étrange qui alerta immédiatement Rage, la poussant à rouler sur le côté. Là où se trouvait Rage quelque instants auparavant, un demi cercle avait été creusé dans la terre. Le tunnel se prolongeait plusieurs dizaines de mètres plus loin, comprenant les mêmes caractéristiques que les autres. La femme aux cheveux rouges se tint prête à contre attaquer, mais vit la fille aux longs cheveux non pas dans une posture agressive, mais recroquevillée sur elle-même loin du cadavre. Elle pleurait. Et dans sa nouvelle posture, Rage voyait maintenant une plaie sévère colorer ses cottes, une blessure large non pas causée par une dague où une épée mais plutôt un coup de hache ou de faucille.
– Non… Pas… Frapper, fit la fille d’une voix rauque. Elle mobilisait ses efforts pour prononcer ces deux mots.
La fille pleurait. Elle avait peur. Rage en vint à se demander si cette fille était venue originellement dans ce village avec l’intention d’en tuer chaque habitant… Elle avait une conscience. Mais elle dévorait un homme. Tout les habitants, et même leur bétail, avaient péri. C’est en contemplant le corps décharné de la fille que Rage vit des blessures plus vieilles encore, des brûlures qui zébraient ses bras ou encore son ventre, marque de l’exercice du fer rouge sur son corps à l’époque où elle ne faisait même pas la moitié de sa taille peut-être, fraîchement mutée par la magie. Ces marques étaient la signature de son lieu de naissance. Même si ses crimes ne pouvaient être pardonnés, elle ne pouvait se résoudre à simplement l’abattre. Ses sentiments entravaient son jugement, elle le savait, mais Rage avait été comme cette fille une fois… Perdue, sans savoir d’où elle venait. Et avec le monde entier comme ennemi.
Rage déposa son arme à terre, lentement, et marcha à pas lents vers la fille, une main tendue vers elle.
– Je ne veux pas te faire de mal.
La fille reculait, marchant à quatre pattes. Derrière la forêt de sa chevelue brillait un œil brun et rond, halluciné, terrorisé. A chaque pas en avant de Rage, l’autre en effectuait deux en arrière.
– Il y a un endroit où personne ne te fera mal.
Rage affrontait une enfant. Et elle ne savait pas quel mensonge lui dire. Rage pouvait-elle effacer les dizaines de meurtres, pouvait-elle lui faire oublier les années d’isolation et de tourments ? Serait-il possible de lui faire comprendre un jour la réalité du monde où elle venait d’émerger ?  
– On peut s’occuper de toi là-bas. On peut t’apprendre à maîtriser tes pouvoirs.
Les ongles-griffes de la fille creusaient dans la terre. Elle inclina la tête sur le côté avec curiosité, semblant comprendre un semblant de ce que Rage lui disait. Relevant le menton, elle avança un pas hésitant, puis deux. Quelques mètres de distance les séparaient.
Puis, la fille recula vivement. Subitement. Sans que Rage ne fasse quoique ce soit de particulier.
– Non, murmura la fille.
– Non ?
– F… Forte.. Je… Suis forte. Personne… m’empêche … manger… Personne… me blesse. Personne… m’emmène nulle part.
Se tenant sur deux jambes malgré sa posture avachie, la fille ouvrit sa bouche, révélant des canines acérées et rougies de sang. Elle cria, et Rage vit la magie troubler l’air entre ses crocs, avant de fondre vers elle comme une bourrasque. La gardienne de fer esquiva le hurlement d’un bond sur le côté, mais la force invisible qui creusait le sol fit un virage pour la suivre. Faisant volte-face, Rage sprinta en zig-zag vers son épée alors que dans des craquements sourds la terre éclatait derrière elle. Le tunnel en demi-cercle, afin de la poursuivre, se tordait comme le corps d’un serpent, mais le sort ne dura pas éternellement et Rage reprit son épée à la première occasion.
La fille ne semblait pas épuisée par son exploit, malgré sa blessure. Elle allait ouvrir la gueule à nouveau, et cette fois Rage devrait répondre par les armes. Avec amertume, elle maudit ses propres paroles : elle venait de lui promettre de vivre recluse, entourée de mages qui l’entraîneraient  à utiliser son don. Comment pouvait-elle comprendre la différence entre cela et la précédente vie dont-elle venait tout juste de réchapper ? Ou bien était-ce car Rage elle-même ne croyait pas en ses propres paroles ?…

Elle allait hurler à nouveau. Rage se prépara à esquiver sa magie, puis à foncer vers elle pour lui porter un coup décisif, bien consciente qu’elle n’aurait qu’une et unique chance de frapper avant qu’un des sorts ne l’atteigne. La fille ouvrit sa gueule ensanglantée, et alors qu’un bruit strident puis sourd emplit l’air, l’espace à nouveau se tordit et se flouta entre ses dents.
Puis, un carreau d’arbalète se planta dans sa gorge.

Réduite au silence, la fille révéla derrière sa chevelure ses deux yeux étonnés. Soudainement, le fer d’une lance émergea de sa poitrine, d’où s’écoula une cascade de sang. Derrière elle, les deux poings refermés sur la hampe de son arme, se tenait un homme en tunique blanche et rouge. Il retira son arme, et la fille s’effondra au sol, vomissant du sang. Elle fixa Rage d’un regard suppliant, celui d’une gamine que l’on assassinait, mais alors que le sol sous elle s’inondait de rouge, la peur s’effaça dans ses yeux. Ils étaient vitreux, morts.
Tétanisée, Rage n’avait pas bougé d’un pouce face à cette scène inattendue. Debout près du cadavre se trouvait un homme robuste, habillé d’un long tabard blanc et écarlate d’où émergeaient deux épais bras couverts de maille. Ses courts cheveux poivre sels, coiffés vers l’arrière, ainsi que ses traits durs et usés derrière sa barbe noire comme le fer, témoignaient d’un certain âge. Non content de manier au poing une longue pique, l’homme avait bien étrangement non pas une mais trois épées attachées à la taille, toutes rangées du même côté. L’inconnu qui venait de faire irruption dans la mission de Rage ne la regardait même pas, tant il semblait préoccupé par le cadavre auquel il jetait un regard glacé, muet comme une tombe.

Le silence ne dura pas. Des pas retentirent partout autour de Rage, et quatre autre chevaliers en tabard blancs-rouges émergèrent de derrière les murs et les débris. Chacun d’entre-eux avait sur la tête un grand capuchon, blanc et pointu, qui recouvrait l’intégralité de leur visage à l’exception de deux trous creusés dans le tissu, à travers lesquels Rage put voir leurs yeux bruns, bleus et noir.
– Soyez bénie pour votre aide, guerrière, fit le plus grand des encapuchonnés. Si la créature n’avait pas été distraite, notre tâche en aurait été bien plus ardue.
– Ce n’est rien…
– Louée soit votre bravoure, insista t-il. Étiez vous de passage ? Nous devrions vous escorter jusqu’à la ville la plus proche…
– Pas si vite, Till, intervint la voix rauque du vieil homme. Regarde bien. Ses cheveux comme ses yeux sont rouges.
En entendant ces mots, le grand chevalier bondit en arrière, brandissant sa propre pique pour tenir Rage à distance. Rien d’étonnant à cela… Il s’agissait certainement de paladins haynailiens, et l’existence des non humains les horrifiait.
– Je sais également de quelle espèce est cette dernière, poursuivit le barbu. Tu ne dispose pas de ton blason, mais ta description ne m’est pas inconnue. Tu es la démone des gardiens de fers, ainsi que la Bête de Torvente.
– Pas besoin de me présenter alors, répondit Rage. Et vous êtes ?
– Gabriel de Quint, Grand Maître de l’Ordre des Incorruptibles, ainsi que ses frères et sœurs, déclara t-il solennellement. Nous inquisiteurs avons pour ordre de supprimer les monstres qui terrorisent les habitants du nord.
L’Ordre des Incorruptibles… Cela revenait à Rage. Une bande de purificateurs de l’Inquisition impériale, tous recouverts d’un capuchon blanc. Des puristes approuvés par l’Empereur et ayant horreur des mutants. Elle avait entendu dire que leurs effectifs ne dépassait pas la dizaine d’hommes, mais ils n’en avaient pas moins déjà tué plusieurs gardiens de fer par le passé. Cette simple idée laissait dans la bouche de Rage un goût amer, mais que gagnerait-elle à les affronter maintenant, à part un bref instant de satisfaction ?
– Je vois, fit Rage sans trop d’assurance, regardant à droite et à gauche. Dans ce cas, je ne vais pas plus vous déranger…
– Crois-tu que nous te laisserions si facilement t’échapper, coupable que tu es de la mort d’innocents ?
Évidemment. La Bête de Torvente, disaient-ils. Rage aurait pu être la meilleure femme en rhétorique du pays, tout son contraire donc, elle n’aurait pas pu convaincre ces inquisiteurs, et encore moins Gabriel de Quint lui-même, de son innocence.
– J’ai le même objectif que vous, et j’ai tué tout aussi coriace que ça il n’y a pas si longtemps. Vous voulez vraiment prendre le risque de vous battre contre moi ?
– Grand maître, intervint une voix de femme sous une capuche, j’ai vu cette femme tenter de pactiser avec la créature. Ne croyez pas un de ses mots.
– C’est à ton chef que je parle ! S’énerva Rage, ces propos la mettant dans un embarras certain.
– Je te remercie pour cette observation Annabella, fit calmement l’homme en levant la paume. Mais cela n’aurait rien changé.
– Je ne vous veux pas de mal, fit Rage. Et on peut parler en gens civilisés. Laissez moi partir, c’est tout ce que je demande.
– Cela m’est impossible. Tu n’es pas humaine.
– Ca n’a aucun rapport.
La conversation lui faisait perdre patience… Mais tout inquisiteurs qu’ils étaient, Rage ne préférait pas les tuer. Même si elle débordait envie de déloger la tête de ce chevalier aux allures de vieux curé, elle ne voulait pas donner raison à leur mépris. Gabriel de Quint jeta sur elle un regard étrange, ses yeux noisettes froids comme la roche semblant regarder au-delà d’elle, et il baissa un menton attristé face au cadavre de la mutante.
– L’humanité est la chose la plus précieuse en ce monde. Elle est un cadeau inestimable des dieux. Priver un homme de cette dernière n’est pas si différent de le tuer, et ces mutants… La chose la plus pieuse et la plus généreuse à faire est de les tuer, afin qu’ils n’humilient pas plus ce qu’il reste d’eux.
Avec force, il planta sa lance dans le sol et, levant les paumes au ciel, jeta un regard désespéré vers le ciel d’acier qui surplombait le village. Sa voix chevrotait de colère.
– L’inquisition a déjà commis l’erreur de jouer avec la nature. Mais nous avons été pardonnés par un dieu miséricordieux… Combien de fois encore cela devra t-il se répéter ? Si nous voulons mériter notre pardon, nous devons réaliser l’étendue de nos erreurs… Et c’est à nous, humains, de nettoyer le monde de nos propres pêchés. La ruine de ce village est une manifestation de notre châtiment.
Rage n’en croyait pas ses oreilles. Cet illuminé allait la rendre folle. Qui sait, peut-être la laisserait-elle partir si elle s’excusait bien poliment d’être née ?
– Les gens de ce village n’avaient rien à voir avec ça, dit-elle plutôt.
– Il est vrai. Les hommes n’ont pas toujours la force de lutter… Ni l’esprit nécessaire. Même parmi les inquisiteurs, nombreux se pervertissent. Ils tolèrent l’inhumanité, dans l’espoir d’être plus puissants. C’est pour cela que mon ordre existe.
– L’humanité c’est ce qui vous arrange ! Vous ne faites tous que justifier votre haine.
– Je ne déteste pas les horreurs. J’ai même pitié d’elle… Mais pour toi, cela est différent. Je sais ce que tu es, nous sommes un peu plus renseignés que tu ne voudrais le croire. Comme pour les vampires, une force démoniaque a remplacé ton âme, à la différence que c’est depuis ta naissance même. Preuve en est ton incapacité à utiliser notre magie, qui est celle des hommes.
– A quelques détails près tu as raison, et donc ? C’est pour ça que tu me déteste plus que cette fille ?
– La chose me semble évidente. Peut-être devrais-je m’expliquer en termes plus imagés ? L’âme dans ton corps a été détruite par l’apparition d’une force démoniaque, toi. En émergeant dans ce monde, tu as tué la jeune fille qui aurait pu naître, et toi, toi depuis toutes ces années tu utilise son enveloppe charnelle pour marcher parmi nous ! A chacune de tes paroles, tu l’humilie. Utilisant une bouche qui n’est pas la tienne, tu lui fais dire tes mots parjures. Avec ces bras qui n’auraient pas dû être tien, tu mutile face au danger le corps de cette fille. C’est plus qu’un affront envers elle… C’est un crachat au visage de la race humaine. C’est cruel, c’est infâme. C’est… Hérétique.
Malgré les émotions qui animaient son discours, Gabriel ne perdit pas une seule fois dans sa voix une certaine sérénité. Ses suivants l’écoutaient captivés, semblant même baisser légèrement leur garde pour mieux s’abreuver de sa voix solennelle. Les yeux de bois gelé du prêcheur se tournaient vers Rage, mais ils ne la regardaient pas. Ils ne l’avaient jamais fait. Rien de tout cela n’aurait dû l’étonner la femme aux cheveux rouges, mais pourtant elle sentait son sang bouillir à l’idée que cet homme ne voie en elle qu’une femme possédée.
– Jeune fille… Fit-il avec une soudaine compassion. Tu aurais pu jouir de l’amour, suer du travail, souffrir de l’enfantement, mais comme tant d’autres malgré tout…  Trouver la joie. S’il reste même un fragment de ton être ici bas, nous te sauverons.
Rage put entendre les quatre voix autour d’elle répéter les derniers mots de Gabriel, comme des poupées obéissantes. Tous la tournaient en ridicule. Ses cheveux écarlates se hérissant presque, sa peau comme le métal de sa cotte de maille rougissaient alors que son cœur expulsait dans ses veines un liquide chaud comme la braise. Elle devait crisper l’entièreté de ses muscles pour ne pas sauter à la gorge de l’inquisiteur maintenant, et elle n’aurait pas dû se retenir. Par fierté peut-être, elle ne voulait toujours pas porter le premier coup.
– Taisez vous, tous ! Hurla t-elle. Gabriel, cette blague a assez duré.
– Oui… Fit-il, reprenant son air stoïque. C’est assez de naïveté. J’enverrai aux gardiens ta tête, comme je l’ai fait avec vos autres mutants.

Rage entendit derrière elle le claquement sec d’une arbalète que l’on chargeait. Les démons de l’au-delà pouvaient bien bouffer son honneur ! La bien nommée Bête de Torvente fit volte face immédiatement, et fonça vers l’inquisiteur prêt à lui décocher un carreau. D’un coup d’épée, elle le trancha en deux de l’épaule jusqu’à l’aine, son arme traversant l’armure comme du beurre mou. L’inquisiteur encapuchonné parut éclater en un amas de pulpe sanguine, l’ouverture béante de son corps laissant déborder ses organes mutilés alors qu’il expirait dans un ultime cri. A l’exception de Gabriel, tous hurlèrent d’étonnement avant de vociférer des conjurations. Le Grand Maître, imperturbable, dégaina une de ses trois épées, et leur aspect fit frisonner d’horreur la gardienne de fer. Elle s’attendait à ce que les épées de tout ces chevaliers soient d’argent, mais elle pouvait à peine voir l’éclat du métal sur l’arme de Gabriel. Collées partout sur la surface de sa lame se trouvait du papier, sur lesquels couraient des lignes manuscrites. Ce vieux fou avait entièrement recouvert son arme de parchemins inquisitoriaux, les mêmes qui invoquaient le feu solaire, et l’épée s’alluma comme un brasier quelques instants après la sortie de son étui. Les écriteaux brillèrent un instant comme des petites braises, avant que des flammes blanches ne se mettent à envelopper l’argent forgé. Il ne s’agissait pas d’une arme enchantée, et la chaleur manquait de lécher la main de Gabriel. Malgré tout, il n’en tint cure. Il trancha l’air d’un geste, et une gerbe de feu blanc explosa, fonçant vers Rage en rasant le sol. Elle se jeta sur à terre le côté pour l’éviter, mais son bras gauche fut touché. L’énergie sainte brûla sa chair derrière la maille qui la recouvrait, et elle hurla comme si milles aiguilles ardentes lui perçaient la peau. Comme l’argent, le feu solaire lui était mortel.
Deux chevaliers accoururent pour l’attaquer au sol, le plus grand avec sa longue pique, l’autre avec sa lame d’argent fraîchement dégainée, et Rage se protégea des coups en couvrant son visage de ses bras. Bénie soit son armure. D’un coup de pied, elle brisa la jambe du plus petit encapuchonné, qui avait fait l’erreur de se mettre près d’elle, et se redressa sur ses deux pieds. Gabriel avait couvert la distance entre eux et frappa avec une vivacité qui surprit Rage, ce qui ne l’empêcha pas de parer en cognant un grand coup, épée contre épée, pour briser la lame de feu de l’inquisiteur. Elle fut alors surprise par une vive douleur à l’arrière de son genou : l’encapuchonné le plus grand, qui la dominait de deux têtes, avait planté le bout de sa pique dans sa jambe et tirait à présent une épée argentée. Il n’était peut-être qu’humain, mais à juger l’épaisseur de ses bras, il avait une musculature prodigieuse, et une posture d’escrime maîtrisée. Rage ne lui laissa pas le temps d’en tirer profit. D’un coup de taille inélégant, elle lui ouvrit le ventre. Il avait paré, du moins essayé. Son bras fut brisé puis emporté par le mouvement de Rage. Le géant gisait à présent au sol, les tripes respirant l’air froid.

Mais Gabriel avait tiré  au clair sa seconde épée, toute recouverte de ses saintes écritures. C’était au moment de l’activation des parchemins que l’enchantement était le plus dévastateur. Du bout de son espadon, Rage dévia l’arme incandescente, les flammes semblables au soleil fusant dans l’air dessus de sa tête. L’inquisiteur retira prestement son épée, considéra un instant la posture de son adversaire, et repartit à l’attaque. S’ensuivit un échange de coups entre les deux épéistes, Rage se trouvant malgré elle maintenue sur la défensive. Prudent, le vieux ne la laissait plus exercer sa force brute sur sa lame, et au fur et à mesure, réduisait la distance que lui imposait la longue épée de la gardienne de fer. Il l’accula près des tunnels invisibles, encore actifs, qui faisaient office de murs, tranchant, taillant, alors que son arme d’argent et de feu menaçait à chaque instant de la toucher. N’était-elle pas pourtant, non seulement plus forte, mais aussi bien plus vive ? Malgré son bras calciné,  sa blessure à la jambe qui l’épuisait et troublait son équilibre, un vieil homme n’aurait pas dû lui opposer une telle résistance. Son regard restait concentré. Sa posture parfaite. A l’épée, elle n’avait jamais vu les pieds et les bras d’un homme danser avec un tel brio. Chacune de ses bottes recelait comme un piège.

Une de ses feintes résulta en un estoc qui caressa la joue de Rage, manquant de lui transpercer le visage. A travers l’air troublé par la magie, elle vit alors le dernier encapuchonné accroupi sur l’un des hommes blessés, celui dont elle avait brisé la jambe. Les mains posées sur la blessure, l’inquisiteur au gabarit de femme le soignait à l’aide d’un sortilège. Rage ne pouvait pas le permettre, le duel contre Gabriel n’était déjà que trop difficile. Intimidant l’inquisiteur d’un large coup, elle se mit à courir en dehors de sa portée, profitant de ses capacités surhumaines pour sauter par dessus un tunnel et atterrir non loin des deux autres encapuchonnés. L’inquisitrice se redressa d’un coup, épée d’argent en main, mais le blessé lui, avait reprit conscience. Vivement, il décrocha à sa ceinture un livre à la grosse reliure de cuir, l’ouvrit, et récita une parole sainte. Alors que les pages s’illuminaient, des dizaines de traits de feu blanc fusèrent vers Rage, qui courut derrière le mur de la grange détruite pour s’en protéger. Le feu impérial bombarda les pierres, qui noircirent, rougirent, craquelèrent. Le temps était compté avant que le Grand Maître ne revienne. Adossée de l’autre côté du mur, Rage leva la tête et repéra un morceau de poutre qui devait avoir servi à soutenir le toit du bâtiment. Malgré le saignement qui l’engourdissait, et la douleur à sa jambe qui devenait de plus en plus vive à chaque acrobatie, elle grimpa plus haut vers le mur et arracha le gros morceau de bois. Une fois au sommet du mur, elle put voir les deux inquisiteurs, la femme qui reprenait ses soins, et l’homme qui surveillait les environs pour l’attaquer à vue.
Elle jeta la poutre sur eux, les prenant totalement par surprise. L’inquisitrice, se trouvait par dessus son compagnon. La puissance du projectile arracha la tête de la guérisseuse, et un capuchon blanc vola plusieurs mètres plus loin en laissant derrière lui une traînée de sang qui le suivait comme une grande queue rouge. Rage avait raté le mage. Elle se laissa retomber pour éviter une boule de feu qui fit exploser le sommet du mur, le gravier chaud martelant la maille de son armure alors qu’elle encaissait le choc de la chute. Il devait se préparer avant sa prochaine incantation. Rage se jeta donc vers le cadavre du premier inquisiteur qu’elle avait abattu, et lui prit son arbalète chargée. La magie crépitait dans les doigts du survivant. Rage tira, et le carreau se plongea dans sa poitrine. Une tache rouge fleurit sur ses tissus blancs, et son souffle se coupa. La gardienne de fer se sentit heureuse de ne pas avoir négligé les armes à distance toute sa vie.

Alors qu’elle reprenait son espadon, Gabriel apparut subitement dans son dos et planta son épée sous l’aisselle de Rage. La lame d’argent creusa dans la chair de Rage, et la morsure glacée du métal tueur de monstre s’accompagnait des flammes solaires encore crépitantes. Son sang bouillit, ses veines et ses os grillèrent à l’intérieur même de son armure. La magie de l’épée avait fait fondre la maille, lui permettant de pénétrer plus d’une dizaine de centimètres dans son épaule qui brûlait comme l’intérieur d’un chaudron. Rage s’agita de gauche à droite en hurlant, cassant le bout de la lame, et poussant Gabriel à reculer. La femme aux cheveux rouges haletait à grande bouffées, son corps si chaud que sa sueur s’évaporait en un instant, soulevant de la vapeur partout autour d’elle. L’articulation de son bras droit était ruinée. Avec son bras gauche couvert de brûlures, elle saisit malgré tout l’espadon. Son poing se referma sur le manche fermement, et ce fut comme tenir un tisonnier à main nue.
– Alors tu les a tous tué, souffla le vieil homme, le regard perdu. Il ne reste plus que moi pour te faire face…
Ils l’ont cherché, se dit Rage. Ils n’étaient que des tueurs sans coeur.
– Ce n’est pas le moment de le regretter.
– Je n’ai pas l’ombre d’un regret. Nous avons agi pour le bien des Hommes.
– Ceux doué d’une âme ? Ceux qui n’ont pas été corrompu par la magie ? Qu’est-ce qui est humain pour vous…
Gabriel écarquilla des yeux hallucinés. La question semblait, pour une quelconque raison, le surprendre. Il répondit, un air ingénu déformant ses traits, tranchant tout à fait avec son personnage.
– Mais… Enfin... Cela devrait être évident, n’est-ce pas ?
Il glissa sa dernière épée en dehors du fourreau, et les parchemins brillèrent un à un. Un tourbillon de flamme encercla son arme, alors que des pans de son long tabards se noircissaient sous la chaleur.
– Les humains sont ceux qui me sont semblables.

Rage effectua de lents pas chassés, tournant autour de son adversaire. Gabriel n’était pas encore épuisé, malgré son âge. Son escrime était dénuée de faille, d’hésitation, ou même d’honneur.
Tandis que les blessures de Rage la réduisaient à un centième de sa force habituelle. Devait-elle recourir une fois de plus à cette capacité qu’elle avait utilisé à Torvente, et laisser la force rougeoyante baigner son corps ?
Gabriel chargea jusqu’à atteindre la portée idéale, puis abattit son épée au sol. La terre explosa, et alors une vague de feu dont la lumière agressait le regard fonça vers Rage, qui ne put réellement l’éviter. Sa jambe déjà blessée fut prise, et elle sentit sa chair se consumer presque entièrement jusqu’à son genou. Puis, les flammes frappèrent comme elle l’avait désiré un des tunnels de magie derrière elle.
Les même qui repoussaient ce qui tentaient de les toucher.
Après un grondement sourd, une seconde vague de flamme fonça vers Gabriel. Le feu inquisitorial baigna son visage, allumant sa tenue. La chair de son visage fondait, partait en lambeaux, ses joues se déchirant au fur et à mesure qu’il déployait sa bouche pour hurler. Les langues de feu qui léchaient son visage ondoyaient, se calmaient peu à peu, car il faisait usage de sa propre magie pour éteindre le feu sacré.

Rage peinait à le croire. Gabriel de Quint avait la chair noircie et tirée de traits rouge, pulpeux de sang, ses lèvres brûlées révélaient ses dents jusqu’aux gencives, sa chevelure se réduisait à quelques poils blanc-gris, mais il se tenait encore debout. Epée de feu en main, un mort marchait vers elle. S’aidant de son épée pour se lever, elle considéra avec étonnement Gabriel qui levait à nouveau son arme… Pour frapper l’air. Puis une seconde fois, puis une troisième. Des bruits gras et infâmes s’échappaient de sa gorge, entre furie meurtrière et agonie.
Le vieillard était aveugle, et l’intérieur de sa bouche même avait été calciné. Il s’agitait comme un pantin en robe blanche, n’ayant étrangement pas perdu l’adresse légendaire de ses coups,  alors que la vue, la voix, et enfin la raison lui faisaient désormais défaut. Rage aurait désiré être assez cruelle le regarder s’épuiser jusqu’à ce qu’il meure étouffé dans sa propre chair brûlée, mais à la place, elle ne put s’empêcher de boiter vers lui. Alors, elle crut voir sur le visage mutilé de Gabriel, où toute expression aurait dû être illisible, un rictus malicieux. Subitement, son épée se leva vers Rage, où plutôt dans sa direction générale, et elle exploita ce premier geste maladroit pour lui foncer dessus et le bousculer, ne blessant que son bras déjà brûlé dans son acte téméraire. A califourchon sur l’inquisiteur défiguré, elle ne lui laissa pas le temps de relever son arme. D’un coup de tête, elle lui frappa le crâne, lui éclatant l’intégralité du front en projetant de tout part fragments d’ossature et cervelle.
Seule dans le territoire dévasté, Rage redressa la tête, le visage couvert de sang et d’immondices. Elle était fatiguée. Son corps entier n’était qu’une brûlure. Et tuer des hommes ne lui avait offert aucune satisfaction.

– Après tes grands discours… Aies la décence de mourir. Comme le font les humains.
Le village déserté regagna son silence parfait, et Rage expira longuement, laissant s’échapper de sa bouche un serpent de vapeur qui grimpa vers le ciel. Les nuages étaient blancs, si blancs, et le ciel, si grand, semblait prêt à l’avaler… Neigerait-il bientôt ?
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Message par DALOKA Mar 13 Avr - 10:41

Hiver 1873: Croc-Boisé

Map:


Mission 3 ( Prendre une pause fait partie des missions, Rage !)



Au bout du compte, ce fut une jeune femme à la courte tignasse blonde, pâlichonne jusqu’aux bouts des doigts, la peau laminée de points de suture de tous côtés comme un tissu rapiécé, qui descendit au village afin de récupérer ce qu’il restait de Rage à la petite cuillère. À ses côtés chevauchait le vénérable Krakendorf Eloen, doyens des Gardiens de fer, qui daignait pourtant rarement se déplacer à cause de son âge avancé.
Elle aurait dû les rejoindre directement dans la petite ville de Croc-Boisé après sa mission, mais les choses ne se passèrent pas comme prévu, et son amie déduisit immédiatement la nature de son combat contre les inquisiteurs au sale état dans lequel elle se trouvait.
Sous le pseudonyme de Frunz Hiil, le magicien presque bicentenaire se procurait temporairement des petites propriétés afin de poursuivre ses activités avec aisance, même alors que son foyer se trouvait dans une oasis de Scarrath, loin dans le sud, où il poussait des fruits gros comme des têtes d’hommes. Par opposition, Croc-Boisé était une ville austère du nord d’Haynailia, faisant frontière aux royaumes Nurenuiliens. On y vivait de cruels hivers et la chose la plus impressionnante qui y poussait était les forteresses de l’Empire, qui se peuplaient de plus en plus de solides de soldats afin d’affermir la conquête encore récente des royaumes du nord. Gloire à l’Empereur, et tout ça.
Aussitôt arrivée à la résidence du mage, Rage fut traitée de ses blessures suffisamment pour qu’un bon repas et ses dons de guérison naturels fassent le reste du travail. Inutile de dire que retirer le morceau d’argent brûlant qui traversait son aisselle, fendait sa clavicule et noircissait sa chair, fit ressentir à Rage quelques picotements. Inutile également de faire mention du bras roussi, ou encore de la jambe ouverte, percée, saignée, puis copieusement incinérée. Le voisin le plus proche, un cordonnier qui vivait avec sa famille de quatre gosses, ne manqua pas de tambouriner à la porte pour se plaindre des cris effroyables qui émergèrent de la maison.

Malgré tout, même guérie de ses plaies, Rage ne se trouvait pas au bout de ses peines.
– Ouvre grand la bouche Rage, lui dit Platine d’un air abruti. Fait « aaah ».
Chaque fois que la guerrière revenait d’une mission en lambeaux, elle devait subir un examen médical. Les gardiens de fers eux-mêmes ne comprenaient pas totalement comment le corps des Zigarnes pouvait réagir à divers traumatismes physiques, et parce que surveiller sa santé permettait entre autre d’éviter qu’elle ne se métamorphose en lézard géant affamé, elle ne pouvait pas refuser. Même si elle détestait être à la merci de quelqu’un. Le vieux Krakendorf et son crâne chauve illuminé de savoir aurait certes dû s’en charger, mais ce travail demandait une proximité physique que Rage ne pouvait pas tolérer, et encore moins avec un homme. Elle avait donc déclaré préférer que Platine l’examine, chose qui fut prise au pied de la lettre. À l’époque, Rage ne le pensait qu’à moitié… Même si elle devait admettre que l’attitude de Platine, toute embarrassante qu’elle était, ne l’effrayait pas. Et, après cinq ans d’examens, elle avait fini par s’habituer à ses bizarreries. Enfin, en partie. Assez pour qu’elle accepte d’ouvrir la bouche et de laisser Platine scruter l’intérieur de sa gorge pendant plusieurs secondes.
– C’est bon ! Tu peux te rhabiller.
– Est-ce qu’on ne peut pas raccourcir ces examens, après tout ce temps ?…
– Hmm… Non ? Enfiin Rage… Tes pouvoirs viennent comme d’un autre monde. Ils n’obéissent pas à la logique. Cinq ans, ce n’est pas assez, et puiis, je suis là ! Le temps ne passe pas trois foiis plus vite quand nous sommes nous deux ?
– Je suppose qu’on pourrait faire pire, fit Rage en enfilant d’un coup une grande robe verte.
– Tu as des vêtements de voyage prêts pour plus tard, fit-elle en pointant du doigt un grand sac de toile. Avec ton armure habituelle remise à neuf !
Platine se racla alors deux fois la gorge. « J’ai passé une nuit blanche dessus, grosse brute », dit-elle avec une intonation grave supposée imiter la voix de Lektor. À côté du sac qui contenait son équipement se trouvait celui de Platine, ouvert. Son contenu se déversait sur une table juste à côté de celle où on l’avait opérée, et se constituait d’un amalgame de livres, outils de chirurgies, fioles en tous genres, bouts de papiers où se répandait une écriture incompréhensible, des morceaux de métal enchanté auquel il ne valait mieux pas toucher, et divers jouets ou poupées qui auraient plus eu leur place dans une chambre d’enfant. Platine les fabriquait elle-même, non pas seulement parce qu’elle en offrait aux individus les plus jeunes sous la protection des gardiens de fers, mais aussi car elle n’avait aucune gêne à brandir ces objets en l’air en disant des âneries, comme si elle avait elle-même cinq ans.
– J’aurais besoin de savoir une dernière chose ! Dit Platine alors que Rage se relevait. Dis moii… Tu as dû faire appel à nouveau à ton impulsion pour guérir en l’espace d’une journée… Et tu l’as également fait lors de ta première mission, si j’en crois le rapport… Comment te sens-tu, quand tu l’utilises ?
– C’est difficile à dire. Je ne l’ai activée consciemment que face au poil de carotte, il y a plusieurs mois.
– Fais un effort… C’est une information trèès importante, tu sais ? Tes émotions sont notre première priorité.
Rage croisa les bras, faisant la moue en tentant de se remémorer ces moments-là… La plupart d’entre eux n’étaient pas agréables. La dernière fois, elle avait réagi sous le coup de la douleur et de la panique. Seule une telle situation lui permettait d’outrepasser sa crainte de devenir un monstre. Mais si elle repensait plutôt à son duel contre ce salopard de rouquin, alors…
– J’ai comme l’impression qu’une chose vit en moi. Ce n’est pas exactement une sensation physique, mais c’est la plupart du temps extrêmement diffus. Comme si ça flottait légèrement dans ma poitrine. Je ne peux pas l’affirmer pour les autres fois, mais lorsque j’ai affronté Rufus, la forme de cette chose et la forme de mon corps… Correspondaient. Mais je n’ai pas l’impression d’avoir gagné une autre force pour autant.
– Doonc… Comme si tu étais pleine de cette chose ? Comme si l’on faisait entrer en ébullition le volume d’eau d’une fiole, pour que la vapeur se diffuse à l’intérieur du le verre au lieu de rester au fond ?
– Ou-oui... C’est utile ?
– Aucune idée, répondit-elle avec un grand sourire, l’énergie que tu utilises n’est pas définie par sa quantité, et n’a aucune existence tangible. Doonc cette comparaison ne peut pas correspondre à la réalité de toute façon… Ceci dit !… Tes émotions sont notre pre-mière priorité.
Platine nota tout sur un long papier, qu’elle enroula ensuite sur lui-même avant de le fourrer dans ses habits. La fille raccommodée fut pendant longtemps un mystère pour Rage. Jigen, que les gens appelaient maintenant l’homme des montagnes, l’avait supposément construite à parties des morceaux de cinq à sept jeunes filles, lui conférant la dénomination d’homoncule, et ses multiples points de suture attiraient facilement le regard. Tout particulièrement celui qui lui encerclait le cou, mais il y en avait d’autres, la plupart invisibles sous ses habits. Rage les avait déjà furtivement aperçus. Peut-être parce qu’elle se faisait examiner régulièrement par son amie, et qu’elle voulait une sorte de retour des choses, Rage s’interrogeait sur le corps de Platine. Cette dernière était un peu plus grande qu’elle, avait la poitrine plus maigre et les hanches plus étroites, mais des longues jambes. Malgré la provenance diverse de son corps, elle se trouvait bien proportionnée, de sorte à ce qu’il demeurait impossible de deviner le tracé des cicatrices qui, sous ses habits, définissait quelle partie avait été assemblée où.
À bien y repenser, Platine aurait accepté de tout lui montrer sur une simple demande. Elle pouvait être sans gêne, mais Rage, elle, ne l’était pas. Et, réalisant qu’elle scrutait depuis bien trop longtemps déjà la silhouette de Platine, elle s’empressa de lancer une autre conversation.
– Et comment ça s’est passé de ton côté ?
– Très bien !… Avant de retrouver grand-père, ce ne sont pas les anciens projets qui m’ont posé problème…
– Ils n’étaient pas dangereux ?
– Ooooh, sii. Maiis… J’ai un petit quelque chose qui fait qu’ils m’écoutent.
– Vraiment ?… J’aimerais savoir comment tu t’y prends.
– Hmm… Je ne saurais pas te dire. Ils m’aiment peut-être naturellement ? Je les aime aussi après tout !
Si seulement le monde était si simple, se retint de dire Rage. Mais Platine avait bien un petit quelque chose. Même alors que pour la plupart des gens elle n’était rien de plus qu’une imbécile, une étourdie, une détraquée perverse, une folle dangereuse doublée une tueuse notoire, Platine avait du cœur. Rage le savait bien.
En s’étirant, la femme aux cheveux rouges remarqua un éclat de même couleur parmi les affaires de Platine. Entre deux ustensiles se trouvait une petite fiole bouchée, pleine de sang écarlate. La pâlichonne remarqua le regard de Rage et, sans perdre son attitude enjouée, prit le verre entre ses deux doigts. D’un rouge assez vif, comme s’il venait de sortir d’un corps, le sang brillait comme une gemme.
– Ton sang a une jolie couleur, non ? Fit Platine en agitant l’objet, l’air espiègle. J’en aurais presque envie de le boire, tiens...
– Tu l’as récupéré en me soignant.
– Eh bien, on en a rempli presque un seau après tout. Ton sang a des propriété spéciales… Ceci dit ! Cette fiole n’a rien à voir avec ça. Je comptais t’en parler… Maiis… Eh bien… C’est une demande particulière.
Elle avait l’air étrangement gêné, vu qu’elle gigotait comme du papier au vent, ses joues blanches rosissant à vue d’œil. Que mijotait-elle donc ? Rage avait de quoi s’inquiéter. Sous ses yeux, la fiole tomba, avant d’être retenue par une petite cordelette qui passait à l’intérieur du verre et du bouchon. La fiole rouge pendouillait à la main de Platine. Modifiée ainsi, elle prenait l’apparence d’un pendentif.
– Je voulais te demander la permission… Pour le garder toujours près de moi.
– C’est juste du sang, fit Rage, ne sachant quoi répondre. En dehors de moi, il ne relève pas de ma responsabilité… Je me demande plutôt pourquoi tu y tiens.
– Ce rouge m’évoque la couleur de ta chevelure et de ton regard… Lorsque je le regarde, je te revis.
– Je… Comprends où tu veux en venir, mais nous nous voyons assez souvent. Tu n’as pas l’intention de partir à l’autre bout du monde, si ?…
– Non ! Non non non… C’est juste que je te dois t’avouer… Que tu es la première sur ma Liste d’Affection ! La seule à obtenir un score parfait de 100 sur 100.
Oh non, voilà qu’elle repartait à la charge, avec ses délires. Lorsqu’elle se mettait à déblatérer sur l’amour, elle ne pouvait pas s’arrêter, et Rage se trouvait bien incapable la suivre. Le moment était-il venu de s’éclipser ?
– Rage, dit Platine en étendant les bras. Je peux te toucher ?
– … Je ne vois pas pourquoi. Mais si tu veux, tu m’examines depuis cinq ans non ?
Alors la raccommodée l’enlaça, avec lenteur, comme elle produisait la plupart de ses gestes. Mais Rage ne vit pas venir ce coup qui avait été annoncé, crié, clamé de manière assez évidente pour qu’un enfant puisse le comprendre. Platine referma ses bras autour de Rage, et alors elle la ressentit toute entière. Elle ressentit sa chaleur corporelle, plutôt basse, sentit sa peau à travers le tissu de ses habits, ses côtes qui témoignaient de sa maigreur, les bosses que formait sa poitrine. Elle ressentait quelqu’un contre elle.
Alors que personne ne la blessait. Personne n’était en train de l’humilier, l’agripper, la déchirer. Et elle ressentait quelqu’un.
– Tu dis ça Rage, mais en cinq ans… Jamais je ne t’ai fait un câlin, non ?
Rage ne sut que dire.
– Tu veux que je te lâche ?
– Non… Je vais bien. Étrangement.
– Tant mieuux !… Ceci dit… Je ne badine pas avec l’amour. Il me vient souvent l’envie de voir ton rouge, toujours je t’ai à l’esprit, et finalement, tu occupe toutes mes pensées… Et quand je te vois, je ne suis pas avec toi… Je te vis, et je vis de toi.
Platine avait produit beaucoup plus d’efforts que de raison pour une de ses espiègleries, et à présent c’était la tête de Rage qui se trouvait rouge. Elle avait le cerveau en ébullition lorsque la pâlichonne se sépara d’elle avec sur ses lèvres ternes un sourire lumineux, qu’elle seule pouvait produire par sa simplicité, comme une merveille naturelle.
– Je peux garder la fiole, alors ?
Rage ne put se résoudre à le lui refuser.

*

Après son examen, Rage descendit dans le salon où se reposait le vieux magicien. Elle trouva le vénérable aïeul assit au chaud, dans un large canapé, une grosse couverture de fourrure sur ses genoux, et une grosse tasse brûlante de thé dans le creux de ses mains calleuses. Tandis que dehors, le ciel demeurait d’un gris blanc toujours aussi opaque, l’intérieur du salon brillait de la chaleureuse lumière de la cheminée, les flammes ondulant doucement alors que la braise crépitait. Dans cet apparat, Krakendorf Eloen avait presque l’air d’un agréable grand-père dans sa grande robe blanche, avec sa barbe de neige et ses grandes lunettes rondes qui pinçaient son nez, mais il dissipait cette impression d’un regard. Ses yeux étaient ceux de Lektor ou de Rufus, des iris de dragon qui lui portaient tous cette même étrange attention. À la différence près que ceux de Krakendorf recelaient une sagesse silencieuse, due à sa longue vie, un trait que Rage méprisait durant ses années les plus téméraires, mais qui la laissait à présent moins indifférente.
– Ah, te voilà, fit-il avant de lui tendre un grand bol plein de pâtisseries. Quelques gâteaux ?
Oubliant d’un seul coup ses précédentes pensées sur l’aspect vénérable du type, qui partageait finalement deux ou trois traits de l’insupportable Lektor, elle s’assit à l’autre bout du canapé et accepta volontiers de pouvoir se goinfrer après sa précédente opération de choc.
– Je honnis ce froid d’enfer ! Grommela Krakendorf en remontant sa couverture. Maudite sois tu, pour me forcer à supporter ce climat…
Il avait toujours dit détester le nord. La neige le faisait frémir, les montagnes lui donnaient la nausée, il tenait en horreur les pierres noires de Nurenuil et disait toujours que le nord ne représentait pour lui qu’une somme de vieux souvenirs malheureux. Son teint hâlé témoignait de sa plus grande inclinaison à la chaleur, aux côtes ensoleillées de Waien ou aux déserts Scarrath. Si elle n’aimait pas les jérémiades de vieillards, et se serait volontiers piquée d’une remarque, il avait cette fois bien raison de se plaindre. Si Rage avait gentiment suivi la directive de Lektor, l’ancêtre n’aurait pas eu à se déplacer par lui-même.
– Mon temps est bientôt venu. Tu peux le dire, dit le mage. Mes douleurs comme mes plaintes sont de plus en plus fréquentes… Je vais bientôt prendre ma retraite, et ne plus jamais quitter ma chère oasis. Mouais. Comme je veux le faire depuis longtemps, à vrai dire. Je voulais t’annoncer que je ne pourrais plus être ton médecin, bientôt, enfin du moins je ne pourrais plus en charge les écrits relatifs à ton existence.
– Qui le fera alors, Platine ?
– Bien entendu. Elle est sur ce travail depuis bien assez longtemps, il n’y a personne de plus qualifié.
– Vraiment ?… Platine est un peu… étourdie, parfois.
– Mais loin d’être bête. Elle est intelligente, et même terriblement. Son potentiel est immense, ça m’effraie un peu même… Mais enfin, elle reste ma fille adoptive, officiellement. Mon héritière, donc.
Reposant son thé, Krakendorf extirpa ses mains de la grande couverture un bref instant afin de s’emparer d’un long parchemin, après quoi, tout en maintenant le papier en main, il tenta de s’enterrer le plus confortablement possible dans les poils bruns de la fourrure.
– Je suis encore là, alors je voulais te partager mes impressions générales sur quelques aspects. À propos de ton ressenti : cela n’est pas étonnant que tu puisses utiliser ton… Impulsion, comme on l’appelle. Tu es la plus pure des Zigarnes, et par pure, j’entends proche de l’être d’origine, le démon Ravage. On peut faire l’impasse sur tes cheveux rouges, mais tes yeux en font plus qu’une coïncidence. Ceci dit, comparé aux autres, tu as toujours été incomplète. C’est à cause de ça que ta guérison ne fonctionne pas spontanément… Activer l’impulsion, c’est te compléter.
– Donc quand je le fais, je fonctionne comme… Je suis supposée le faire, en théorie.
– Exact. Ah, et cela n’a aucun rapport, mais je m’interrogeai sur ton âge apparent. Quand est-ce que les Zigarnes cessent de « vieillir » ? Dreke n’était pas un jeune de vingt ans comme toi. Cela m’a toujours semblé absolument arbitraire. J’en suis venu à la conclusion que ton âge physique correspondait toujours à ton âge mental.
– C’est une vraie théorie, ça, ou une pique ?
– Une théorie fumeuse d’un mage en fin de vie. Et je refuse également d’admettre qu’une fille comme toi approche de la quarantaine, mon esprit rationnel ne saurait l’accepter.
Certes, Rage n’agissait jamais comme une femme « de son âge », à la place elle paraissait figée dans le temps sur bien des aspects. Elle avait beaucoup de mal à se considérer comme l’aînée de Platine, ou de sa sœur adoptive Sana… Mais tout de même, elle se sentit rabaissée par ce commentaire, et grinça des dents pour contenir sa frustration. La seule chose qui la faisait tenir en place était que tout devait être un enfant pour un homme comme Krakendorf.
– Il s’agissait sans doute de ma dernière théorie à ton sujet, dit-il en laissant retomber le papier sur la table basse. Et parce que nous ne travaillerons plus ensemble bientôt, il est probablement l’heure des confessions… Rage, depuis le jour où j’appris ton existence, j’ai toujours été convaincu qu’il nous fallait nous débarrasser de toi une bonne fois pour toutes. J’ai finalement suivi l’idée de Lektor jusqu’au bout, et nous t’avons donc donné une chance… Malgré tout, le risque persiste. Oh, pour affronter un Zigarne éveillé, nous sommes mieux équipés qu’auparavant, mais même si le monde ressortirait sauf de ce combat, de nombreux êtres vivants périraient si tu venais à te transformer.
– Marrant ça, vous n’avez pas parlé de me tuer depuis bien longtemps. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
– Simplement que nous avons laissé vivre une autre Zigarne. Mésomée, ta petite sœur en quelque sorte, se fait passer pour déesse de Scarrath. Et le gouvernement actuel de Scarrath est le meilleur allié des gardiens de fer, il est ce qui nous permettra de tenir si L’Empereur d’Haynailia réussit sa quête et conquiert l’entièreté du continent… Sans compter l’équilibre qu’elle apporte au pays. Il est impensable de nous passer d’elle. Mais, il n’est pas moins vrai que, si elle se transforme au milieu de son propre pays, nous avons besoin d’une garantie… Toi. Un Zigarne est ce qui peut en supprimer un autre avec le plus d’efficacité. C’est cet argument de Lektor qui m’a convaincu.
– Donc vous me gardez… Pour que je puisse tuer Mésomée en cas d’urgence ? Vous nourrissiez des intentions aussi tordues depuis le début ? J’ai du mal à le croire, franchement. Jamais vous ne m’avez donné cet air.
– Mes sentiments n’ont rien à voir avec ça. Tu es impertinente et violente, mais tu n’en as pas moins mon affection Rage.
Devait-elle réellement être surprise de cette situation absurde ? Rage savait qu’elle avait la capacité de détruire un pays si on la laissait faire, comme le premier Zigarne qui avait dévasté l’Est un millénaire auparavant. S’attendre à ce qu’on la traite comme une personne normale n’était qu’une illusion, même au sein de sa propre famille. Soudainement, la conversation avait pris un air des plus grave. Les yeux d’or du mage fixaient la danse du feu, animés par une émotion indéchiffrable. Était-ce de la mélancolie, du désespoir, ou, au contraire, une forme de résolution ? Les reflets du feu pétillaient sur ses lunettes, et coloraient sa barbe d’une légère teinte orangée.
– À l’époque des Saints dorés, nous vivions reclus dans les montagnes du nord. Nous nous pensions supérieurs aux autres humains, et refusions de vivre parmi eux. Mais malgré notre or, notre espace n’était que trop limité, il en était donc de même pour nos cultures et nos élevages. Nous pouvions récupérer nos ressources de l’extérieur, mais malgré tout, afin de maintenir un niveau de vie respectable pour des êtres de notre statut, il fallut un jour imposer un contrôle des naissances.
– Mais on ne peut pas les contrôler. Vous ne pouviez pas décider de quand les femmes finissaient grosses, si ?
– Non, rit amèrement Krakendorf. Mais nous pouvions contrôler les naissances tout de même. Il ne s’agit de rien de bien compliqué. Nous avions besoin des enfants les aptes à recevoir les mutations magiques qui nous donnaient nos pouvoirs, nos spécificités sont une alliance de caractères héréditaires cultivés de génération en génération, et de caractères cultivés par notre savoir des arcanes. Donc, nous n’avions besoin que des meilleurs pour améliorer le premier type de ces caractères, ainsi, après avoir laissé six petits mois pour que les bébés se développent, nous sélectionnions les deux meilleurs tiers, et supprimions le reste. À l’époque, j’avais une haute responsabilité dans notre administration… Celle, entre autres, de choisir qui de ces enfants devaient mourir. Oh, les nourrissons que nous avons tués n’étaient pas défectueux, pour des standards communs, certains devaient être extraordinaires. Mais la règle était stricte. Deux tiers. Ce que nous faisions n’avait rien d’humain, et un jour j’ai cessé de trouver un sens à cette tâche, m’exilant moi-même loin de nos montagnes. Jusqu’au jour bien sur où les miens voulurent terroriser l’humanité en créant un Zigarne, afin de créer un dieu au prix de leurs propres vies. Tu as déjà entendre cette histoire. C’est à cause de ce sombre projet que Lektor m’a contacté…  Je lui ai proposé alors de tous les exterminer avant le rituel, bien sûr. Toute ma vie, je n’ai fait que répéter la même chose, choisir le bienfait du plus grand nombre. Je n’ai fait que répéter cela, comme une sorte de golem. Et je n’ai pas changé, je suis bien trop vieux pour ça… Mouais. En fin de compte, ce n’est pas si mal que ma mort approche enfin.
– La version officielle dit que le rituel des Saints a tout simplement échoué.
– Une version fausse et plus digeste. Ces fous étaient endoctrinés jusqu’à la moelle, il était trop tard pour prêcher la bonne parole, ou discuter calmement autour d’une table. Ils nous auraient supprimés. Nous avons dû, moi et Lektor, empoisonner les réserves d’eaux, et tuer le reste lors des préparations du rite. Les jeunes aussi. Nous ne pouvions pas laisser une génération de mages surpuissants, qui pouvaient du reste être utilisés pour les recherches sur les Zigarnes. Et, par dessus tout, j’avais peur d’eux. Tenter de nous élever au dessus du commun des mortels a toujours été une erreur. Mais Lektor a été hésitant, inconstant, trop jeune. Et n’en faisait qu’à sa tête, quoique ce point là n’ait pas changé… Il a sauvé sa femme, sans rien lui dire de notre machination. La suite de l’histoire est que Jigen, l’homme des montagnes, s’empara de cette femme. J’avais prévenu Lektor, que nous avions tous une cible sur le dos, mais je ne lui en veux pas d’être resté sourd. Je l’avais pressé de brûler son foyer, après tout... Mais à cause de cela, l’homme des montagnes apprit auprès de cette femme le projet des Zigarnes, et utilisa le sang des saints dorés pour produire ses sinistres expériences. Il la dupa, la priva de sa conscience, et utilisa son corps pour faire naître ses projets.
– Pourquoi me raconter tout ça ? Souffla Rage, épuisée par le récit. Et pourquoi maintenant ?
– Parce que Lektor ne te le dira pas, grogna Krakendorf, redressant soudainement son corps voûté. Cette femme s’appelait Karla. Et il s’agit de ta mère.


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Message par DALOKA Jeu 13 Mai - 11:57

Hiver 1873: Route Nord de Croc Boisé


Mission 3 (Seconde partie): Le droit d'être forte.

Remise sur pied, Rage reprit la route vers le Nord, cette fois accompagnée de Platine. Les rumeurs des paysans confirmaient les informations qu’elles avaient, comme quoi des monstres de la taille de maisons rôdaient dans les collines et les champs, attaquant chaque malheureux qui croisait leur routes. Pour le meilleur et pour le pire, il s’agissait des prochaines cibles de Rage.
Sur sa propre monture, une jument docile à la robe brune, Platine voyageait enveloppée d’un large manteau muni d’un grand capuchon. Cadeau de Krakendorf, il s’agissait d’une vieille cape blanche du mage, appréciée pour son épaisseur et sa solidité à toute épreuve, qu’il conservait en raison de sa hantise des hivers de moins en moins supportables pour lui. Puisqu’il se refusait à sortir, Platine pouvait en être la légitime héritière. Rage, quant à elle, avait récupéré son armure noire. Hélas, leur voyage vira rapidement à la catastrophe dès le troisième jour de route, où elles croisèrent, à travers ce que Rage croyait être une route paisible de campagne, une bande d’hommes armés qui chevauchaient parmi les pins et les hautes herbes du Nord. Elle comprit à leur uniforme bleu aux traits d’argent qu’il s’agissait de membres jurés de la Magicae Cohortis, mais ce furent hélas eux qui les reconnurent d’abord.
L’hostilité de leur conversation n’eut rien à envier la rencontre de Rage avec l’ordre des Incorruptible, en plus d’être bien plus brève. Rage avait, à leurs yeux, massacré des innocents, ce qui complétait bien assez son crime d’existence hérétique. Le combat éclata. Mais ils n’avaient pas avec eux les sorts solaires ou l’obstination des inquisiteurs, et ne constituaient pour Rage qu’une médiocre menace. Platine n’était pas en reste. Elle maniait une arme magique peu orthodoxe, qu’elle nommait affectueusement. Shelley. Une sorte de bâton métallique, doté à son sommet d’une grosse scie circulaire animée par une combinaison de magie et de magnétisme, et qui se trouvait en vérité être une machine complexe que Platine manipulait à l’aide de sa magie de foudre, par des procédés auxquels Rage ne comprenait rien. Ce qu’elle savait, c’est ce que cette grande hache qui virevoltait sur elle-même déchirait chairs comme armures. En quelques minutes, elles tuèrent deux soldats, et firent battre le reste en retraite.
Platine, tout aussi couverte de sang que sa scie, venait tout juste de ronger la maille d’un homme jusqu’à lui tailler l’estomac, et les cris atroces du malheureux s’éteignaient tout juste alors que le reste des tuniques bleues-argents disparaissait dans les bois.
Malgré tout, Platine souriait de leur victoire.
– Enfin, s’exclama la rapiécée, s’ils savaient qui tu étais il n’auraient pas dû venir sans plan d’action. Ceci dit, cela veut dire qu’ils rôdaient non pas à ta recherche, mais à celle de nos cibles… Hélas ! Ils vont devoir remettre leur projet à deux mains, maintenant que la moitié de l’escouade est hors service. Donc, pas de bâton dans nos roues de ce côté là ! C’est chouette, non, Rage ?
Platine parlait avec une vivacité qui ne lui était pas caractéristique, même son regard se trouvait d’ailleurs bien différent. Elle avait habituellement une certaine lenteur d’esprit, mais une décharge électrique changeait ça du tout au tout, et elle passait de roue de vieille charrette à roue de char de guerre tirée par quatre étalons. Ce qui était toujours un peu étrange à observer, même si en vérité, Rage la connaissait assez pour savoir que sa personnalité ne changeait pas vraiment dans cet état… À l’exception, peut-être, de son agressivité. Habituellement indifférente à la violence, elle devenait soudainement plus sanguine, enfin, autant que Rage elle-même pouvait l’être. Cependant, il s’agissait d’un état temporaire, et selon Lektor le prolonger par décharges électriques répétées serait dangereux. Au bout d’une demi-minute, Platine regagna sa typique lenteur, et Rage remarqua  qu’une partie du sang qui recouvrait son amie venait de son propre corps : Patine avait une dague fichée dans l’épaule… et ne ressentait pas la douleur.
– Il faut traiter ça, fit Rage en s’approchant d’elle. Tu es solide, mais ça peut s’infecter, non ?
– Aaah !… Zut. Ca n’est pas planté profondément alors j’aurais pu ne pas y penser pendant un looong moment… Merci beaucoup Rage, tu me sauves.
– Combien de fois m’as tu soignée ? Allez, je vais t’aider à retirer ce truc et nettoyer la plaie.
Rage n’avait pas eu accès à sa fameuse régénération pendant bien des années, alors elle avait fini par apprendre à traiter ce genre de blessures. Avec les conseils de Platine, s’occuper d’elle ne fut pas difficile, Rage en tirait même un certain plaisir : elle n’avait que rarement l’occasion de lui rendre la pareille. L’air ahuri ou bien tout à fait cinglé de Platine donnait l’impression que rien ne pouvait la troubler, qu’elle pouvait se glisser aisément et avec souplesse à travers n’importe quel ennui physique et moral. Mais ce n’était pas vrai. Comme tout le monde, Platine craignait d’être seule, et abandonnée… Privée d’amour, comme elle le dirait. Elle devait craindre donc un bon nombre d’autres choses, comme Rage le faisait elle-même.
La seule perte à déplorer de leur côté fut la jument de Shelley, blessée dans la charge ennemie, qu’elles durent achever afin de ne pas la laisser à l’agonie dans l’herbe glaciale. Après avoir quitté les lieux du crime, elles poursuivirent leur marche jusqu’à la nuit, Platine chevauchant derrière elle. Alors, Rage chercha un lieu près d’un sous-bois, éloigné de la route, où elles pourraient déposer leurs couvertures, allumer un feu, et dormir.
Elle n’avait jamais été si sensible au froid, mais celui-ci lui brûlait le haut des oreilles comme le bout des doigts. Platine le supportait moins encore, puisqu’elle vint quémander, l’air suppliant, de pouvoir dormir avec elle. Elle avait le ton d’un enfant qui avait peur que la lune, ce soir pleine et solitaire, lui tombe dessus. Rage finit par accepter, exceptionnellement dit-elle, mais en vérité la raccommodée réussissait avec brio à attirer sa pitié.
Elles se trouvaient donc épaules contre épaules, à contempler la même Lune opalescente, qui persistait à se manifester malgré le voile de nuages qui avait été jeté il y avait plusieurs jours de cela sur les étoiles.
– Tu es si chaude Rage ! S’exclama Platine. Cela se ressent encore plus par ce froiid…
– Tu déteste le soleil autant que moi, mais tu n’aimes pas le froid non plus… Comment fais-tu pour vivre à Scarrath la moitié du temps ?
– Eh eh eh… Ricana Platine, l’air aux anges. Les couvertures sont sii chaudes…
– Tu ne m’écoute pas, pas vrai ?...
Tout de même, Rage avait une température corporelle supérieure à celle d’un humain, mais Platine lui semblait vraiment glaciale. Elle ne l’avait jamais réalisé, mais son pouls lui aussi était extrêmement lent… Platine semblait à la frontière entre l’être l’humain et le mort-vivant. Peu étonnant qu’elle gèle sans l’épaisse cape de Krakendorf.
– Désolée… Fit Platine. J’espère que tu ne te force pas !…
– Nan, pas vraiment. C’est mieux qu’établir un campement avec n’importe qui d’autre, rit amèrement Rage.
– À quoi pense-tu par là ?…
– Depuis que je suis chez les gardiens, je dois souvent bosser avec des groupes d’aventuriers, mercenaires, ou même soldats en tout genre. Ca implique généralement de voyager avec eux, parfois pendant de longues périodes. Je suis pas très cordiale, alors je mets de la distance entre nous dans les campements, mais ça n’arrête pas certains hommes. En dix ans, un bon nombre d’entre eux a tenté de se glisser dans mes couvertures au beau milieu de la nuit, que je dorme ou non. Ils ne savent pas toujours l’étendue de ma force. Ou bien ils pensent que je vais me laisser faire, qui sait…
– Uh… Ma pauvre… Les aventuriers sont des porcs.
– Ca se finit jamais bien pour eux. Tiens, une fois j’en ai tué un, comme ça. Je ne l’ai pas voulu, mais d’un coup d’un seul, son dos s’est brisé, presque replié sur lui-même, et il s’est mis à cracher du sang jusqu’à cesser de gigoter… Il le méritait, le salaud. Il ne valait pas mieux que ceux qui m’ont attaqué quand j’étais encore gosse… Mais… Eh bien, ça se répète encore et encore de toute façon. Au bout d’un moment, l’un d’entre eux aura toujours l’erreur d’approcher sa trique la tête pleine d’idées, surtout après le coucher du jour. J’ai fini par en avoir marre… Quand tu en blesses un, ses cris réveillent tout le monde, ruinent la nuit, et te glacent le sang. Après, tu ne peux plus entendre que ces cris jusqu’au petit matin, même quand il a cessé de hurler depuis des heures… Et puis tout le monde te regarde avec des yeux ronds. Terrorisés. Quant à ces types, ils ont leur vie fichue, bêtement. J’ai tenté de les repousser… Plus doucement. De ne rien leur casser. Mais je n’y parviens pas. Lorsque je me débats, mon cœur saute dans ma poitrine, je ne contrôle plus ma force, et on en revient au même. C’est dingue ça. Leur hurler dessus devrait suffire, et pourtant… La seule solution sûre que j’ai trouvée est de les impressionner, à chaque début de mission, en explosant un grand bloc de pierre que j’arrache du sol. Mais faire ce genre de démonstration à chaque fois… C’est épuisant.  Je voyage souvent, et parfois je veux juste ne pas être remarquée, tu sais ? Il y a quelques années, par exemple, c’est à nouveau arrivé. Je ne sais pourquoi je raconte ça à toi... mais ce soir-là, je ne voulais pas entendre de cri, pas d’os craquer. Je ne voulais pas qu’on me traite de monstre, pour une fois. Alors je n’ai rien fait. Mon corps s’est figé. J’ai laissé cet homme se glisser dans la couverture et… Voilà. Le lendemain, le voyage s’est poursuivi, comme si de rien était. C’est stupide hein ? Mais, bon… Au moins, tout le monde s’en est sorti en un seul morceau cette fois.
Platine la fixait avec une expression jamais vue. À l’aide des flammes, elle put distinguer l’ombre de sa mâchoire serrée, l’éclat de ses yeux hallucinés, et devina que ses traits se tiraient, d’une façon terrifiante, pour dessiner ce qui était chez Platine un visage colérique.
– Rage… Il faut que tu m’écoutes! dit-elle en se redressant. Ta douleur… Elle n’est pas moiins importante que la leur si ?… Même si tu es plus forte qu’eux, et même si tu guéris de tes blessures… Ton corps n’est pas moins important que le leur, non ?
– … J’imagine que mon corps est le plus important pour moi, ouais.
– Alors qu’ils crèvent ! Tu ne vis qu’en toi-même, non ? Qu’ils clamsent. Qu’ils meurent. Qu’on les enterre… Tous autant qu’ils sont. Tu n’as pas eu tort de te défendre Rage… Et, par dessus tout tu n’as rien fait de mal. Toi et moi, nous sommes différentes des autres, et on se moque bien de ce qu’ils disent, pas vrai ?…
– Toi alors… Il n’y a que toi pour me dire une chose pareille. Mais merci. Je pense que j’avais besoin d’entendre ça.
– Tes émotions sont ma priorité numéro 1, je te rappelle… Alors à partir de maintenant, quand tu voyages avec un groupe, je veux être incluse dedans ! Et s’ils s’approchent de nouus… Qu’ils crèvent !
– Ouais. Qu’ils crèvent !
– Qu’ils crèvent !
Hurler fit à Rage un bien fou. En cris et en rire, elle s’épuisèrent la gorge jusqu’à trouver, malgré le froid impitoyable, un profond sommeil.  

Le lendemain, elles reprirent leur route jusqu’à atteindre l’intersection où elles devaient se séparer. Platine informa Rage qu’elle trouverait d’autres traces d’un mutant à l’ouest, tandis qu’elle devait continuer vers le nord pour accomplir sa mission actuelle. Avant de se quitter cependant, Rage confia à Platine la jument qui lui avait servi de monture ces dernières années.
– Waaah… S’étonna vocalement Platine. Tu es sûre ? Tu vas devoir tout faire à pieds maintenant…
– Tu en as plus besoin que moi, non ? Avec tout ce que tu trimballes sur ton dos…
– Eh eh eeh. Merci… J’essaierai de la garder en vie, celle là…
– … Oui, j’aimerais bien la récupérer en un seul morceau. Sois prudente, surtout. La Magicae Cohortis traîne certainement dans les environs, voire l’Inquisition.
– Mais je seraiis prudente, Rage ! Rit-elle sans la moindre inquiétude. Mais… Avant que tu partes, j’ai aussi quelque chose à te donner…
Disant cela, Platine détacha de son colossal sac un long objet tout drapé dans de la toile, et défit la corde qui l’y enfermait solidement. Rage reconnut sans peine l’épée à garde cruciforme, sa large et longue lame grise, et le manche conçu pour épouser parfaitement la taille de ses mains. Elle n’avait pas donné de nom à cette arme, mais, n’aimant pas les titres à rallonge, elle se serait bien contentée de l’appeler une bonne fois pour toutes Calamité.
– Tu en auras sûrement besoin… Non ?
– Je l’avais laissée chez les Gardiens, et il fallait que tu viennes me la ramener. Tu sais que je peux me débrouiller sans…
Platine ne fit que lui tendre à bout de bras l’arme, insistante. Elle avait, chose surprenante chez elle, une certaine détermination brillant dans son regard. Elle ne lâcherait pas facilement l’affaire…
– C’est ton pouvoir Rage… Et c’est ton épée. Elle serait triste d’être abandonnée dans une cave froide, puisque personne ne peut aussi bien l’utiliser que toi…
– Si tu insistes, mais je ne compte pas utiliser mon pouvoir à tout va…
– Eh, Rage… Ce n’est pas grave, d’être forte.
La femme aux cheveux rouges soupira, et accepta la lame. Elle ne pouvait le nier, Lektor connaissait bien les armes que Rage utilisait, et avait équilibré Calamité en conséquence. La manier devenait incroyablement naturel, et, par-dessus le marché, avec une lame aussi solide elle pouvait placer l’entièreté de sa force dans ses coups sans craindre de la casser. En moyenne, Rage utilisait et brisait une épée différente tous les mois.
– Ce n’est pas grave… Oui, tu as raison. Mais je ne me sens pas à l’aise à l’idée de baigner dans cette sensation à nouveau. Pas pour l’instant.
– Caaa… Je ne peux rien y faire. Juste, souviens toi, on ne se laisse pas marcher sur les pieds !
– Ouais.
Et sur ces mots, Platine grimpa sur la jument, et balança ses bras dans l’air pour faire un grand au revoir à Rage avant de trotter vers le nord. Quand elle en aurait fini avec le mutant à proximité, Rage irait rejoindre Platine. L’idée de la laisser seule ne lui plaisait pas, avec les soldats impériaux près des frontières, la Magicae, ou même les inquisiteurs potentiels… Enfin, Platine restait assez forte par elle-même… Tant qu’il ne s’agissait pas d’une bande de cinglés comme elle en avait affronté la semaine dernière, elle devrait pouvoir au moins s’enfuir facilement. Rage n’en était pas moins mortifiée d’inquiétude, sentiment qu’elle trouvait encore étrange après toute ces années. A quel point était-elle différente de la Rage d’il y a vingt ans ? Bien sur, elle ne se faisait plus avoir aussi facilement. En tant que combattante, elle ne pouvait pas nier son évolution, mais Rage avait encore peur. Chaque rencontre avec autrui signifiait pour elle un danger. Qui allait tenter de la blesser, et surtout, qui allait-elle finir par devoir blesser elle-même ? Repenser à ce qu’elle venait de raconter à Platine lui donnait envie de pleurer… Y avait-il vraiment une bonne chose à faire, lorsqu’il fallait réduire en charpie quelqu’un pour se protéger ?
Rage lâcha un soupir de vapeur, alors qu’elle hissait Calamité sur son dos et sanglait les lanières de son fourreau contre sa poitrine. Par le passé, elle était un monstre, et les autres des monstres pires encore. Il s’agissait d’une époque plus simple. Qu’aurait pensé l’ancienne Rage de ce type plié en deux et de ses camarades affolés ? Ou de cette fille aux cheveux rouges paralysée dans ses couvertures alors qu'on la tripotait? Peut-être aurait-elle été furieuse. Ou peut-être encore aurait-elle agi de l’exacte même façon… Elle n’avait jamais aimé tuer de toute façon. Finalement, Platine avait certainement raison. Qu’ils méritent ou non de mourir, elle avait le droit d’utiliser sa force pour se défendre. Ils n’auraient pas agi différemment face à quelqu’un de plus faible qu’eux, tout humains qu’ils étaient… Les mots de Rufus, eux aussi, revinrent à l’esprit de Rage. Elle n’aurait jamais cru être touchée par les paroles de ce salopard, mais il fallait admettre qu’elle avait un métier de merde. Elle ne pouvait pas le contredire sur ce point.
– … Je devrais demander à ce qu’on double ma paye.
Rage se mit en route, bon gré mal gré. Quoiqu’elle en pense, elle avait du travail à finir, et une armée de flocons de neiges commençait à tomber du ciel. Mieux valait ne pas s’attarder.


Dernière édition par DALOKA le Ven 24 Nov - 16:22, édité 2 fois
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Chroniques des Gardiens de fer Empty Quatrième Mission

Message par DALOKA Mar 8 Juin - 11:19

Hiver 1873: Village de Ballater

Spoiler:

Mission 4: Un Titan Silencieux

Une matinée, la neige réclama ses droits sur la terre nordane, et constella l’air de flocons. Rage s’y était attendue. Comme blanchis de traits de peinture, les paysages pâlirent, les arbres devenant de gros bâtons de glaçons, et les collines, des vagues de lait glacé. À présent dépourvue de monture, Rage imprima durant près de deux jours le chemin de ses pas dans le blizzard, jusqu’à atteindre le village déserté de Ballater. Il faisait bien moins peine à voir que les précédentes ruines qu’elle avait trouvées, alors que le passage d’une chose gigantesque à travers les maisons et les routes barrait le village d’un gros trait. La poudreuse habillait les ruines, et le chemin qu’avait formé le monstre semblait tout indiqué pour elle. Au bout se trouverait sa proie.
Rage ne s’inquiéta pas des survivants. L’armée impériale avait fait évacuer les lieux quelques jours auparavant, en attendant de pouvoir gérer la situation. Comme quoi, les soldats pouvaient de temps à autre se montrer utiles.
Alors que le village aurait dû être aussi vide que silencieux, elle remarqua une silhouette errer dans la neige. Un vieillard, seul. Le corps enveloppé dans une bure vieille et sale qui ne semblait qu’à peine le protéger de la morsure du froid, il avait les pommettes hautes, les joues creuses, et marchait en enlaçant son propre corps rachitique. Pour se tenir chaud sans doute. Ses mains glissées dans les manches de sa robe, seule sa tête maigrelette et longue, sur laquelle survivait une couronne de cheveux blancs, dépassait de son habit. En empruntant le chemin de neige, elle ne tarda pas à aller à sa rencontre.
– Mes salutations, voyageuse, fit-il d’une voix chevrotante. Vous n’êtes pas soldat, ni chevalier, si mon regard ne m’abuse point.
– Vous voyez juste. Mais vous, qu’est-ce vous fichez là ? Il n’y a plus âme qui vive ici, sauf peut-être le monstre qui rôde.
– Je le sais. J’ai encore toute ma tête.
– Et vous êtes désarmé. Vous n’avez pas l’intention de repousser la bête avec des sermons, pas vrai ?
– Oh, non. Si la Magicae Cohortis n’a pas pu renvoyer cette créature d’où elle vient, ce n’est pas moi qui le ferai… Je ne suis qu’un moine, de l’ordre des Humbles.
Les Humbles. Des moines haynailiques vagabonds, vivant sans biens et offrant leurs services de village en village, qu’il vente ou qu’il pleuve, et même au milieu des pires hivers. D’autres illuminés prêts à tout, mais au moins, eux ne pourraient strictement rien contre elle…
– Vous êtes venus pour sauver les biens de l’église locale ?
– Non, je ne me préoccupe pas des objets terrestres… Et je n’ai pas vu de pillard rôder ici, à moins que l’or ne vous tente bien entendu. Je suis là pour bénir les morts et conjurer les mauvais esprits qui voudraient habiter leurs enveloppes charnelles…
– Il y a des cadavres de Magicae, plus loin ?
– Des dizaines… Jeune femme, rebroussez chemin je vous en conjure Tout aussi braves furent ces hommes, leurs efforts n’ont pas suffi. Moi, j’ai accompli mon devoir, et je vais retourner en des lieux plus chaleureux… Vous devriez faire de même.
– Je saurais me débrouiller. Bonne chance sur les routes.
Ignorant ses avertissements, elle poursuivit sa route jusqu’aux champs enneigés, jusqu’à découvrir en effet quelques corps de militaires, dissimulés sous des couvertures blanches et froides ; En retournant un peu la neige de ses mains, Rage découvrit des corps mutilés, broyés, écrasés, les organes et les os à vif, comme si l’on avait fait tomber un mur entier sur eux. Et à voir l’étendue des dégâts, le mutant responsable n’était pas simplement fort, mais également massif. Elle révéla les corps un à un, remarquant que certains avaient déjà leur visage à l’air libre, pour ceux qui en avaient encore : l’œuvre du moine, sans doute. Deux des cadavres différaient des autres, car plutôt qu’être broyés, ils semblaient comme… Dissous. Quelque chose avait rongé leur corps jusqu’à ne laisser que des os et quelques muscles tentant de s’y rattacher, mais à l’extérieur, vêtement et maille de fer demeuraient intacts… De quoi son adversaire serait-il donc encore capable ?
En quittant les corps des Magicae, elle aperçut à l’horizon un gros dôme noir, une colline couverte d’un petit chapeau blanc. En s’en rapprochant, ce qu’elle crut être un morceau de paysage devint, au fur et à mesure, une créature grotesque. Toute recouverte de fourrure noire, cette chose quadrupède, reposant sur son ventre, avait un corps immense. À l’avant, une grande gueule sombre, dénuée d’yeux, à la mâchoire immense, velue comme celle d’un fauve et triangulaire comme celle d’un reptile. À l’arrière, deux dizaines de mètres plus loin, une queue, large et épaisse, plate comme celle d’un castor. Son dos, immense bosse couverte de neige, se surélevait vers le ciel comme une montagne, et éclipsait le soleil lorsque l’on s’en approchait, plus haut qu’une maison. Dans ce dos surdimensionné se plantaient une demi-douzaine de lance brisées, bien une vingtaine de flèches, et partout des brûlures, écorchures, ou plaies suintantes de sang. Les impériaux avaient tout fait pour abattre le monstre, mais sans succès, et la réunion de cadavres autour de lui attestaient de leur cuisante défaite. Malgré leur nombre, aucun n’avait pu porter un coup mortel à travers l’épaisse chair de la bête.
Rage, épée en main, s’approcha lentement. Elle s’attendait à ce que le monstre se réveille et utilise ses courtes pattes pour soulever les plusieurs tonnes de son corps, mais il n’en fit rien. Se trouvait-il en vérité à l’agonie ?… Rage n’y croyait pas, mais même alors qu’il se trouvait à portée de lame, le mutant ne bougea pas d’un pouce. La bête de Torvente baissa l’épée, quelque peu confuse. Ce géant avait ravagé déjà deux villages, et une unité entière de l’empire, pourquoi donc ne réagissait-il pas face à Rage ?
Le grondement des pas que l’on faisait dans la neige la fit sursauter. Derrière elle, le prêtre vagabond approchait, inquiet pour elle peut-être. Là aussi, la créature demeura parfaitement calme.
– Ne vous approchez pas, prévint-elle. Je ne sais pas quand ce truc va se remettre à massacrer des gens.
– Vous n’avez pas écouté mon conseil.
– Vous êtes bouché ou quoi ? Reculez ! Je suis une gardienne de fer.
– Je l’avais remarqué.
L’homme se trouvait à présent près de la gueule de la créature. Si le monstre se décidait à ouvrir sa mâchoire, le prêtre serait englouti en un instant.
– Il ne vous attaquera pas, fit le moine. Il n’a pas de raison de se battre.
– Comment pouvez-vous en être certain ? Ce truc n’a pas mangé une seule personne, n’a pas vidé une seule réserve, ni dévoré le bétail. Je doute qu’il en ait besoin, en fait… Il vit pour tuer.
– Vous avez peut-être raison, mais il ne vous attaquera pas. Il ne tue que les humains.
À ces paroles, Rage se figea, et pointa son épée vers le moine. Son histoire ne tenait pas debout, elle aurait donc dû s’en douter… Mais la chose était si improbable !…
– Montrez moi vos mains. Maintenant.
Le moine fit, sans sourciller. Sa main droite n’était qu’un moignon doté de deux petits doigts difformes et d’un gros pouce enflé, et une matière translucide semblable à du verre recouvrait sa gauche. Un mutant.
– Vous avez été libéré du laboratoire scellé ?… Ou bien c’est vous qui avez ouvert les portes ?
S’il était de mèche avec Rufus, il perdrait sa tête sur le champ.
– Ni l’un, ni l’autre... Je suis le père Derio, mais sans doute faudrait-il utiliser mon numéro… W.4. Je suis comme vous, Rage, et comme lui aussi. Je me suis libéré d’une des caves de Jigen, il y a près de vingt ans.
– Et qu’est-ce que vous fichez là ?
– Baissez votre arme, d’abord. Je veux parler avec une semblable, et non pas me battre.
Rage obtempéra, malgré sa méfiance. Le moine ne l’intriguait que trop. Ce dernier s’assit dans la neige, non loin de la gueule du monstre, et de sa main difforme invita son interlocutrice à faire de même… Elle préféra rester debout.
– Je vis en vagabond depuis le jour de ma fuite, dit-il. Comprenez, je ne peux pas vraiment vivre parmi les gens trop longtemps…
– Et j’en conclus que vous n’êtes guère pieux.
– Même les moines haynailiques ont d’autres dieux que l’Empereur, nous ne sommes simplement pas forcés de le souligner. Néanmoins, vous avez raison, je ne suis pas là pour bénir les corps… Mais par curiosité. Pour le voir, lui.
Et disant cela, il regarda avec tendresse la tête béante du monstre sans regard, respirant lourdement, toujours affreusement paisible.
– Je remercie les dieux, fit-il avec des yeux rieurs, pour me permettre de vous rencontrer, Rage.
– Vous me connaissez ?
– Vous connaître ? Ma foi oui. La fille rouge, celle qui nous conduira vers un monde nouveau, disaient certains… Et maintenant, dirait-on, la bête de Torvente.
– Je n’ai pas l’intention de vous conduire où que ce soit… Vous n’êtes pas le premier sectaire à m’aborder, les cavaliers de Hyunkel eux aussi voudraient m’avoir. Mais je ne suis pas Mésomée. Tout ce que je veux, c’est tuer ce monstre.
– Je sais, je le sais bien… Il ne s’agissait là que d’une pointe d’ironie. Vous n’êtes qu’une femme, les dieux ne se créent pas. C’est une leçon que les hommes n’ont pas encore comprise. Quant à tuer ce monstre… Je vous conjure de ne rien en faire, Rage.
– Il ne m’attaquera pas, n’est-ce pas ? Donc je suis la plus indiquée pour m’en débarrasser. Bien d’autres gens mourront, si je ne le fais pas.
– Vous êtes-vous demandée pourquoi tuait-il ? Fit-il avec sécheresse. Vous devez le savoir. Ce sont les hommes qui l’ont créé. Et ce sont les hommes qui veulent sa mort. J’ai bien vu comment sont ils, au travers de mon voyage… J’ai subi leurs coups, fuis leur chasse, enduré leurs tortures. C’est votre cas, à vous aussi, n’est-ce pas ?
Les yeux bleus glacés du Père Derio tentaient de lire en elle, et Rage en grinçait de dents. Elle voulut fermer son visage, contenir les émotions au creux de son abdomen, mais un bref instant, elle grimaça, et ses lèvres se tordirent dans une expression d’angoisse avant qu’elle ne le resserre l’une contre l’autre. Elle crut qu’une main lui saisissait le poignet, la nuque, ou encore la peau du ventre, mais il n’y avait rien de cela. Ce n’était que sa tête. Le moine ne bougeait pas d’un pouce.
– Vous avez raison, admit-elle enfin.
– Voudriez vous me  le dire ? Ce qui vous est arrivé. J’ai beau être un faux moine, je n’en écoute pas moins les confessions.
– Non. Je ne préfère pas.
– Je ne peux que respecter votre décision, acquiesça l’Humble. Mais regardez maintenant votre monstre. Il est conscient, qu’il fut animal ou humain auparavant. Pouvez-vous dire que les actes des hommes à son égard sont tolérables ?
– Les villageois…
– Sont des humains. Il est dans leur nature de mépriser et de craindre ce qui est différent, et c’est cette nature qui est fautive… Le monstre se venge de nos propres parents qui, pourtant, refusent d’accepter notre existence. Il comprend que les hommes ne nous laissent pas d’autres moyens de nous exprimer, si ce n’est cette violence. Il le comprend mieux que moi, qui ait enduré si longtemps en silence. Il sait qu’il ne sera jamais laissé en paix. Sa colère est juste.
– Ils ne méritaient pas d’être attaqués, ni de mourir, vous ne me convaincrez pas du contraire.
– Peut-être. Mais mérite t-il lui, de mourir ? Rage, sa vie vaudrait-elle moins que celle d’un homme ?
Elle contempla la tête, si monstrueuse et si paisible à la fois, du titan. Elle ne pouvait prouver que cette créature ait attaqué la première, si elle se vengeait de la haine des hommes ou bien si elle haïssait les hommes pour l’avoir mise au monde… Elle en serait incapable, car contrairement à ce moine, elle refusait de mettre des mots dans cette bouche muette.
– Vous ne savez pas ce que cette chose pense, fit-elle. Ces motifs, c’est vous qui y songez. Il n’empêche que… C’est peut-être vrai. Alors tuer cette créature n’a probablement rien de juste… Je ne suis pas Lektor, ni Krakendorf. Je ne peux pas accepter que cent vies surpassent toujours une seule.
Elle ne pouvait pas se permettre de le dire. Pas elle qui mettait tout le monde en danger en persistant à survivre encore et encore. Le moine sourit avec approbation, en tailleur dans la neige, tandis que Rage approcha timidement sa main pour caresser le museau de la créature. Sa fourrure était longue, et chaude. Chacune de ses expirations expulsait une épaisse buée, et réchauffait l’air glacé. La créature ne dormait pas. Au contraire, elle avait l’air d’apprécier étrangement l’attention de la femme aux cheveux rouges, alors que sa petite main avait la taille d’une fourmi.
– Je ne peux vivre qu’en moi-même, souffla Rage. Mon corps est mon bien le plus précieux et mes sentiments sont les puissants que je connaisse. C’est pareil pour elle… Je ne peux reprocher à personne de défendre son être. Sa dignité.
– Vous le laisserez donc en paix ?
– Non. Cette chose ne peut que tuer. Je ne peux pas l’accepter, cela non plus. Elle n’a aucun avenir devant-elle, au contraire des humains. C’est mon jugement, arbitraire dites le, mais c’est le mien. Quoique je pense des hommes, un monde où la coexistence est impossible m’est intolérable.
– Je vois… Je ne peux pas plus contester votre jugement.
Le vieux moine au corps de verre se leva, sa silhouette courbée se redressant non sans un certain effort à cause de sa faiblesse physique. Rage hésita à lui tendre la main pour lui venir en aide, mais la paume droite de l’homme se levait déjà vers elle. Immédiatement, elle saisit le moine au cou, le soulevant d’une main.
Tout se déroula en un instant. Le vieillard articula un début de mot, la terreur brilla dans son regard, et sa main lui agrippa l’épaule. Rage resserra sa poigne. Les os de la nuque éclatèrent entre ses phalanges, et le corps désarticulé du vieillard retomba dans la neige, son cou tordu faisant pendre sa tête sur son épaule.
Le sang de Rage n’avait fait qu’un tour lorsqu’elle se souvint des corps fondus des Magicae. Une géante serait incapable d’un tel tour, mais un mage… Les sorciers qui pouvaient faire fi de sa force brute et de sa résistance étaient ses pires ennemis, se montrant bien plus dangereux qu’une bande d’hommes armés. Elle ne pouvait pas les laisser même incanter un sort, et ce vieillard avait, dans son étrange main mi-chair mi-verre, un étrange pouvoir. Elle avait bien agi, se dit-elle encore et encore. Il ne l’aurait pas laissée tuer la bête sans rien faire.
Cela ne la rendait pas moins malade, étrangement plus que quand elle songeait aux inquisiteurs qu’elle avait massacré. Sous sa robe, Derio s’était brisé comme une marionnette. De la pointe de l’épée, elle tira sa manche. Des fêlures couraient sur ses bras, expulsant un liquide translucide, et le reste… Rage détourna le regard. Il avait été humain fut un temps, contrairement à elle… Mais c’est en homme de verre qu’il mourut.
La géante sans yeux ne fit que pousser un grognement intraduisible, immobile au milieu de la poudreuse qui tombait à nouveau. Est-ce qu’il s’agissait d’un ronflement, d’un raclement de gorge, ou bien d’un pleur ? Quelle ironie… Rage avait beau venir de la même souche que cette chose, elle n’en demeurait pas moins incapable de la comprendre réellement.
Toujours étonnée par sa docilité, Rage grimpa sur le crâne immense, s’aidant de la fourrure. Arrivée à son sommet, elle planta Calamité dans le cerveau de la bête, profondément, jusqu’à la garde, et pour s’assurer de la fatalité du coup, tourna la lame avant de la retirer. Alors que chairs et sang coulaient le long de l’épée, la femme aux cheveux rouges posa son oreille contre la peau de la montagne de poils. Le grand tambour de son cœur battait la chamade, dans un vacarme assourdissant, puis, doucement, ralentit, ralentit, ralentit…
Et seul le silence subsista.
DALOKA
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Grand Cracheur d'encre

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