Poursuite chez le griffon

-C'est que j'ai pas d'habit pour dame sous la main, et pas d'habit à ta taille en fait… Répondit Grégoire à Orgone. Mais il y a des tailleurs en ville. Je peux aussi te rafistoler un truc plus approprié, mais je ne suis pas un professionnel. En tout cas, la tenue vestimentaire a trois codes essentiels : tu ne dois pas avoir l'air d'une vagabonde, cette tenue ne doit pas te gêner dans ton travail, et puis, elle ne doit pas être indécente bien sûr. Du coup fais comme bon te semble. Je te préviens, même si je suis amateur je travaille pas à l'œil, alors faudra me rembourser d'une manière ou d'une autre.

Des vêtements pour dame... Donnait-elle l'impression d'avoir déjà porté quoi que ce soit qui correspondrait à cette description? 


-Des vêtements d'homme m'iront très bien. Et je préfère que tu t'en occupes plutôt que de payer un tailleur en ville. Je t'en devrais une ! dit-elle sans préciser qu'elle n'avait même pas assez d'argent pour une bière à la taverne. Peu importe ce que tu pourras me bricoler, ce sera forcément plus approprié que mes guenilles actuelles.


Orgone se sentait à l'aise. Si tous les membres de l'équipage avaient une bonne bouille comme lui, elle ne pensait pas risquer grand chose. C'était le début d'une période de grands changements pour elle, et elle avait un bon pressentiment. Le vent était dans son dos.

-Si j'étais recherché?...Et bien...,Claudio n'eut même pas le temps de finir sa phrase, que Robert ajouta:
-Bah j'irais pas en ville alors qu'on m'y recherche! Mouahahaha!

-Très bien alors, répondit Grégoire à Orgone. Mais il faudra me rendre un service un échange… Bah, j'y réfléchirais bien. Demain je devrais avoir fini.
Sur ces mots, le pirate reparti. Il fallait que les aventuriers trouvent maintenant une action à prendre, ou bien ils feraient office de touristes.

-Merci, dit la jeune femme au pirate. Je te revaudrais ça, sois en certain !

Et elle le regarda s'éloigner. 
Puis Claudio prit la parole. Et Orgone lui répondit avec force, assurance, voir véhémence.

-Quadriller la forêt ? A 4 ? C'est totalement inconcevable : Trop compliqué, trop long, et trop dangereux. Je participerais pas à une telle entreprise, ce plan est stupide. Orgone détestait s'attarder dans des endroits trop sauvages, mais ça aussi elle préférait le taire. En plus, notre cible est très spéciale. La capacité de se téléporter instantanément... C'est absurde. A l'instant où elle voudra fuir, elle le pourra. Il faudrait engager un contact physique direct avec elle sans qu'elle ne nous aperçoive, ce qui me parait peu probable. Il y a pas toujours besoin d'être discret où caché pour piéger quelqu'un, bien au contraire, et je crois pas que ce soit la solution dans le cas présent. 

Elle avait lancé cela d'une traite, avec le ton de qui explique une évidence à un interlocuteur long à la détente. 
Puis elle continua :

-On aura beaucoup plus de chances de réussir en déterminant l'endroit où elle a été vue le plus souvent et en allant à sa rencontre directement, de face, et préparés pour cela. Grégoire a dit que ça avait faim, donc on peut tenter d'emporter des victuailles. En tout cas, je vais procéder ainsi. Et elle ajouta pour Robert : Mais le mort il a pas tort, ce serait quand même sympa d'avoir une carte pour se repérer dans la forêt, si on peut trouver ça. 


Puis Orgone tourna le dos au groupe et se dirigea vers les parties fréquentées de la ville, toujours la hache de la Dyra sur l'épaule. Elle hésitait... Le port où la taverne? Le marché était prohibé pour elle, on l'y reconnaitrait et elle redoutait la punition qu'on réservait aux voleuses à l'étalage. Il fallait récupérer des informations sur les allées et venues de la créature, ainsi que de quoi l'appater... Mais Orgone était certainement la personne la plus fauchée en ville. Et Grégoire avait évoqué un informateur peu recommandable... Il fallait aussi qu'elle en apprenne plus là dessus. Tout était bon à savoir si ça pouvait augmenter ses chances de réussite.

Orgone se retourna et jeta un regard perplexe à Aramide, puis à Claudio.

-Nan, je comptais aller à la taverne, alors j'irais à la taverne. Libre à toi de t'arranger avec le mage si vous voulez chercher ailleurs, où de venir aussi. Enfin, c'est pas tout ça, mais il faudrait y aller.


Se retournant à nouveau, elle partit vers le Bon Noyeur, et Madhur lui emboita le pas en riant.

Orgone n'était jamais entrée au Bon Noyeur auparavant, et elle avait certaines habitudes, lorsqu'elle découvrait un nouveau lieu. Avant d'entrer et jugeant qu'elle pouvait lui faire confiance sur ce laps de temps, Orgone avait confié la hache de la Dyra à son massif coéquipier et avait soigneusement caché son propre couteau sous ses haillons. Elle prit une seconde pour rassembler sa concentration, sous l'oeil circonspect de Madhur et prit l'air le plus misérable qui soit. Orgone était menue et savait naturellement se faire discrète. Elle pénetra dans l'ombre de Madhur de sorte que l'oeil inattentif ne puisse pas la repérer et scruta la pièce et ses occupants... 
Comment procéderait-elle? De multiples idées et scenarios défilèrent dans son esprit... Cette fois, elle avait un atout de poids. Elle pouvait se permettre des fantaisies. C'est pourquoi elle se dirigea furtivement vers le borgne, toujours sur ses gardes, et lui tendit ses mains jointes en un geste de quémande.

-S'il vous plait, la charité pour une pauvre orpheline, monsieur, demanda-t-elle d'une voix faible.

Suite à cette question, le regard d'Orgone changea du tout au tout pour devenir froid et cinglant, chose qu'il ne remarqua pas puisqu'il regardait son assiète. Elle jeta un rapide coup d'oeil pour vérifier que personne ne l'avait remarquée ou ne la regardait.

-... Non, répondit-elle sèchement.

Et sous la table, elle lui envoya un coup de pied surprenamment violent dans la jambe, sous le genou, au départ du tibia.

Le mercenaire, encaissant le coup, sembla se mordre la lèvre sous l'impact. L'instant d'après, il jeta un regard noir à Orgone. Tout les yeux de la taverne, étonnés, se tournèrent vers elle.
-Ok, je m'y attendais pas… J'ai pas l'habitude de me faire cogner par des mendiants, rit il. Par contre, je ne peux pas vraiment laisser passer ça.
-Orsin, intervint le lourd tavernier. Pas de ça chez moi. Je n'aime pas voir les femmes crever et mes filles geindront en lavant le plancher.
-Alors vire moi ça. De toute façon si c'est une pucelle, ça ne m'intéresse pas.
   Le tavernier soupira en se frottant les yeux, avant de tourner son regard vers Orgone.
-Oh toi, c'est pas l'aumône ici, dit il. Ce mec pourrait t'ouvrir comme un poisson avant que je n'achève ma phrase, alors rend un service à tout le monde, et ouste.

Madhur qui s'était installé non loin pour la surveiller soupira se demandant à quoi elle pensait... Il n'était pas assez alcoolisé pour souhaiter qu'une bagarre se lance à cause de cette situation quelque peu grotesque...
Il se leva et s'approcha d'eux, il mit sa main sur la tête d'Orgone et la ramena avec lui dans un coin ou ils pourraient parler tranquillement en lâchant aux clients et au tavernier :
-Je m'en occupe...
Arrivés dans le coin de la taverne, il dévisagea la fille quelque seconde.
-Mais qu'est ce qui ne vas pas avec toi? Tu ne sais pas comment ça marche une taverne dans ces zones la? Une pichenette peut provoquer des meurtres sanglants, heureusement que le tavernier n'a pas l'air d'être un abruti...

Les clients ne savaient pas que Madhur et Orgone étaient venus ensemble. Se rendant compte de la gaffe qu'elle avait commis impulsivement, la jeune femme tenta de rattraper le coup. Elle devait se rappeller à quel point sa tâche était importante.
"Je ne te connais pas", lui souffla-t-elle, avant de dire à voix haute, énervée.

-Lâche-moi !


Se dégageant de son étreinte, elle sortit précipitamment de la taverne. Madhur ne passerait que pour un passant à bon caractère qui a voulu éviter un meurtre, et ses chances d'enquêter au Bon Noyeur ne seraient pas compromises. 
Une fois dehors, Orgone se posta un peu plus loin, de manière à pouvoir observer les entrées et sorties de la taverne. Elle était tentée d'aller enquêter seule ailleurs, mais Madhur était encore temporairement en possession de l'arme de la Dyra, et elle préférait éviter de la perdre trop longtemps de vue.

Aramide, s'était également faufilée dans la taverne, sans se faire remarquer. Elle s'était installée seule, sur un coin du comptoir, ayant commandé un verre de rhum. Relativement infect, probablement frelaté, mais avec une forte odeur de rhum, donc ça fait l'affaire. A l'évènement d'Orgone, elle n'intervint pas, cela dit elle observa les réactions des gens de la salle, en quête d'un comportement anormal.

En entendant la discussion du tavernier avec Madhur, elle se retourna brusquement à la mention d'étripage de voyageurs, en frappant le comptoir du poing.
- Une sorcière qui étripe des voyageurs de temps à autre ?! s'exclama-t-elle, visiblement anxieuse. Elle se reprit, en parlant plus doucement. Qu'est-ce qu'ils leur est arrivé ? Ils ont fait un truc qu'elle n'aime pas ? ... Je n'ai pas envie de finir comme eux.

-Très bien, dit le secrétaire en appuyant un tampon sur une feuille. C'est la troisième porte à droite, au rez de chaussé. Voici votre carte.

 La carte n'informait que peu : elle donnait le noms des régions et la forme du littoral, mais sans plus. Les lieux étaient trop peu explorés pour fournir une carte précise. Néanmoins, cela était mieux qu'aucune information du tout.
  Après cela, Claudio se dirigea vers les archives. L'Archiviste, un homme plutôt jeune pour son métier, jeta un coup d'oeil rapide à l'autorisation du mage et parti l'instant d'après pour revenir avec la feuille consacrée à ce dossier.

« Nom : Pyrite

Prénom : Marine

Nationalité Haynailienne – Née à Decan le 20 Avril 1839

Titres officiels : Mage de troisième rang, chercheuse d'Axaques du Département d'histoire et d'archéologie.

Raison de passage : Commanditée par le gouvernement par décision du conseil administratif impérial. Accompagnée de deux autres mages et d'une troupe armée de la magicae cohortis, Marine Pyrite doit engager les négociations avec l'individu logeant à la tour au sud d'Acerian, dans la jungle épaisse. Ses objectifs sont d'assurer un accord pacifique avec ce dernier, ainsi que de confirmer que le dit individu est Arond Vinnairse comme le soupçonnent les autorités gouvernementales. Pour cela, le comptoir de Palmerian confère un droit de passage absolu et irrévocable jusqu'à nouvel ordre à Marine Pyrite.
  Rédigé le 11 Mai 1869.

Mise à jour du 11 Novembre 1869 :
Marine Pyrite est portée disparue depuis des mois tout comme l'équipe l'accompagnant. Aucune information ne fut distribuée sur l'issue des négociations. Estimant une mission de secours trop hasardeuse, le comptoir considère ces derniers comme morts. »



-Ce qui leur est arrivé ? Répondit le tavernier à Aramide avant de rire grassement. Bah, ils sont morts ? Et les démons savent ce qui a pu la fâcher. Mais y'a un gars surnommé Mini qui y a survécu et a un jour ici fait l'étalage de sa mésaventure.
-Cette verrue pouilleuse ! Cria le borgne dans un grand rire, avant que le tavernier ne se racle la gorge pour continuer.
-Il aurait rencontré la sorcière sans mourir. Je ne sais pas ce qu'il devient, mais c'est certain qu'il était terrifié, ça oui ! Il disait qu'elle parlait toute seule, comme si elle récitait des incantations nécromantiques, ou un truc du genre. Elle n'avait pas l'air agressive et d'un coup, paf, elle s'était mise à saigner à blanc ses copains ! Pauvre Mini. Il est plus dans mes habitués par contre, depuis que ce balourd d'Orsin s'est disputé avec lui… Ptêt qu'il traîne dans les autres tavernes ou se saoule sur les quais ? C'est un phénomène, je vous le dis.

  Mais bon, à ma place il vous dirait de juste vous éloigner quand vous la voyez, et de faire comme si vous n'aviez rien vu. Et ça, je pense que c'est bien vrai.