Transmigration divine

– Une longue histoire ma chère, fit l’oeil volant. Tu étais déjà morte à l’époque, mais tu devrais savoir que quand nous avons vaincu Gulliano, les paladins d’Arzteingard firent tout pour empêcher les nécromants de ressurgir. Je me suis mis à la recherche de ceux qui s’étaient enfuit avec les savoirs du second trépas, d’autant plus activement que j’avais entendu dire qu’ils avaient trouvé un moyen de faire revenir à la vie un corps trépassé à partir de son âme. Eventuellement, ma recherche porta en vérité fruit : je découvris non pas le corps de Gulliano et son âme, une rencontre qui m’aurait sans doute également conduit à Zénon, mais son grimoire oui, séparé dans leur fuite. J’ai découvert personnellement alors les recherches de Gulliano sur le transfert de l’âme qui aboutirent à ses plans pour faire de lui une liche… Et naturellement, je détruisis le grimoire. Cependant, à cette même époque, qui était bien postérieure à la chute du trépas, j’avais déjà fait la rencontre de Ravage, et créé le codex, un artefact qui me permettait de contenir sans limite l’information… J’ai donc fait ce qui aurait été pour moi avant inacceptable, et j’ai copié dans le codex les données interdites du nécromant fou, impressionné, malgré un fond de culpabilité. Un sentiment qui t’aurais été naturellement étranger, mais passons. Ce savoir se révéla utile quelques années plus tard, quand Namaan ici présent et notre ami Arweld décidèrent de me prendre en chasse… Ils m’ont tué si rapidement, de peur que je ne résiste, qu’ils n’ont pas pu réaliser que cette mort n’était que faussée, que ce corps était un pantin de chair déjà vide.
– Et nous t’avons enterré avec respect, ajouta Rasoul, ironique. La reconnaissance que tu nous doit est immense.
– Il est vrai. Mais, pour le dire simplement, j’ai répété le plan de Gulliano moi même, sachant que je n’aurais pas le temps d’accomplir mes recherches qui me permettraient d’offrir à Ravage son souhait le plus cher. J’ai utilisé certaines magies pour manipuler un homme nommé Malrope afin qu’il accomplisse le devoir de servir mes intérêts, et me ramène à la vie quand la science qui permettrait d’accomplir mon rêve viendrait à exister, néanmoins, cela n’était rien de plus qu’un pari, assez similaire au tiens qui plus est. J’ai également transféré tout mes souvenirs dans le codex, pour m’offrir une alternative au cas où un mage développerait un autre moyen pour moi de revenir à la vie. Quand au devenir du grimoire… Eh bien je suppose qu’Aporia l’a copié à partir du codex et offert en monnaie d’échange, comme il l’a fait avec d’autres de mes savoirs, et le second trépas aurait inévitablement remis la main sur ces connaissances, bien qu’il est tout aussi probable que ces nécromants l’aient appris eux même et transmis. Hélas, je ne peux savoir si je suis responsable ou non du retour de Gulliano il y a des siècles.
Mais assez parlé de cela. J’existe actuellement en tant que liche, dans mon corps momifié de l’époque, et utilisant la science de mon ennemi à mon avantage, cependant j’ai un projet actuellement bien plus grand que celui de la simple résurrection. La sarth Regime, créée par mon cher disciple, surpasse le codex pour l’usage que je voulais originellement en faire.
– Par pitié, j’ai déjà entendu tes fantaisies absurdes, soupira Rasoul. Ne pourrais tu pas nous épargner un second discours ?
– Ah ah, peut-être Méortis serait cependant intéressée. Malheureusement, je tiens à vous avertir : dans quelques heures, la Transmigration Divine sera complétée. Je ne peux vous dire en quoi elle consiste tout de suite, cela serait gâcher les festivités. Cependant quand elle sera initiée et achevée, vous ne serez plus capable de lutter. Vous servirez tous de sacrifices à Ravage. Même si cette dernière ne semble pas vous porter un grand intérêt… Ma chère Méortis, je crois que tu attire également son mépris. Une triste chose, cependant je reste convaincu que tu es pour ma déesse un sacrifice de premier choix, plus qu’il ne le semble.

Détruire le grimoire d'origine... Un acte que Meortis était incapable de comprendre. Cependant, elle constata que même Mark, son opposé dans sa pratique de la magie, ne pouvait se résoudre à annihiler des recherches d'un tel acabit. Son cas ne devait pas être si désespéré que cela, du moins à l'époque, s'il conservait un tel respect pour les arcanes de l'ennemi.
Elle ne voyait effectivement pas quelle culpabilité il y avait à avoir en cela, au contraire.
Meortis ne réagit pas plus à la suite de l'histoire de Mark... Elle nota simplement les faits rapportant à ce fameux codex.
-Alors vous êtes une liche... Comme autrefois, vous avez beaucoup à m'apprendre, Mark. Mais je ne vous comprends toujours pas. Dans quelle obsession vous êtes vous encore embourbé? Pourquoi tant d'intérêt pour cette créature nommée Ravage? Je me fiche d'ailleurs bien de ce qu'elle peut penser de moi. Vous savez, je suis ici par obligation, et n'avais moi même aucune raison ni aucune envie de me trouver sur cette montagne... Encore maintenant je n'ai nullement la volonté de vous stopper, quoi que vous essayiez d'accomplir. Ma curiosité est à présent éveillée quant aux travaux de Gulliano, mais je ne pense pas que me battre contre vous soit le moyen le plus efficace ni le plus constructif d'en apprendre plus à ce sujet, me trompe-je? Entre vous et moi, Mark, un terrain d'entente peut encore exister, tout comme par le passé.
Disant cela, elle apposa sa main sur la boule de métal, avec douceur et sans agressivité, comme pour rappeler à Mark la collaboration qu'ils avaient pu avoir autrefois.
La perspective d'être sacrifiée à une insignifiante déité n'était certes pas réjouissante, mais elle était certaine qu'une alternative existait.
Mark ne semblait pas changé par rapport à ce qu'il était par le passé. Il paraissait certes s'être enlisé plus profondément dans un complexe d'idéaux et de causes grandiloquentes, mais il partait d'ores et déjà d'un point loin sous la surface, contrairement à Aporia qui avait parait-il sombré plus que quiconque dans la folie pure. Un tel gachis...

– Pourquoi tant d’intérêt ? Répondit la sphère. Ah, je comprend ton questionnement. Je n’ai aucune affection pour les religions, et tu le sais très bien. Je ne crois pas en la foi, contrairement à Namaan, pourquoi donc m’impliquer ainsi ? Rien n’est plus difficilement explicable par les mots. Il y a des siècles, j’ai découvert un être à essence de la plus grande pureté, un être à essence des plus authentique et des plus éternels. En tant que mage, la mémoire extraordinaire de Ravage aurait dû m’intéresser… Mais, chose plus singulière, cette entité désirait mourir. Que c’était étrange. Absurde. Le roi voulait descendre de son trône mais y était enchaîné. Condamné à ne jamais pouvoir périr, condamné à toujours vivre en se sachant incapable de périr… J’ai été, sans doute, touché. Au fond de moi, peut-être née d’une forme d’admiration et de pitié, une affection profonde pour Ravage apparut. Il est trop difficile de placer là dessus une pensée bien rationnelle… Ravage et son sort obsédait mes pensées conscientes et mes rêves endormis. Dis moi, Méortis, as tu déjà réellement ressenti l’amour ? Réponds moi avec sincérité.
Mark semblait assez exalté dans son discours, qui n’était en effet pas vraiment guidé par la raison, quand bien même il avait été de son vivant un homme d’une certaine sensibilité. La surface métallique de l’oeil bougea légèrement et doucement.

– Malheureusement, réaliser quoique ce soit sans passer la garde que Mark a formé est presque impossible… Fit à voix basse le grand Ancien à Terugkeer. Le moyen d’arrêter tout cela est de séparer la Sarth de Ehir, l’héritier du trône Almirian, puisque la Transmigration Divine est dépendante de Regime. C’est lui qui la fait fonctionner, mais il est victime d’un sort et Mark a un contrôle véritable sur les effets de cet artefact. L’atteindre, cela est une autre histoire. Il est au sommet de la montagne, près donc de Mark et de Ravage. Si vous mettez en danger sérieusement sa mort, Ravage risque d’intervenir. Vous ne gagnerez certainement pas, et tenter d’approcher furtivement est malheureusement inutile : Ravage sent tout ce qui se passe sur cette montagne. Elle est comme un de ses organes. Il y a un moyen d’éviter d’affronter Ravage ou Mark… Ce serait de les faire s’affronter tout deux. Ehir avait un plan pour cela, mais il semble qu’il savait quelque chose que moi même j’ignorais… Peut-être est-ce la solution pour causer une division parmi eux. Ravage n’a pas d’affection réelle pour Mark, simplement une forme de curiosité et un rapport d’intérêt.

Meortis conclut bien vite qu'il n'y avait rien à comprendre dans l'intérêt porté par Mark envers Ravage. Si elle voulait mourir, grand bien lui en fasse, ça n'avait rien à voir avec elle ni avec qui que ce soit d'autre. Mais Mark avait toujours été un homme "bon", après tout... Cela fit soupirer intérieurement la nécromante, avant qu'elle ne se penche sur la question que Mark lui avait posé.
-Moi... Je ne crois pas. Jamais, non. répondit-elle sincèrement, non sans une hésitation marquée. Je ne vois même pas en quoi cette question a de l'intérêt. Au lieu de cela... Je souhaiterai que vous m'expliquiez ce qui importe vraiment dans l'immédiat. Mais j'imagine que vous ne vous priverez pas d'étaler vos passions. Comme toujours, vous et moi fonctionnons par compromis.

– Je vois, fit l’oeil flottant, avant d’exprimer dans l’air un léger rire. Je ne suis guère surpris. Il y avait cet homme cependant… Galbur, c’est cela ? Quelle tristesse. Quand bien même a t-il été récompensé, je ne peux m’empêcher d’avoir une forme de pitié pour lui… Bien que j’imagine que, ironiquement, nous sommes dans des situations peut-être comparables, lui et moi.
Mais passons, je ne pense pas que converser sur ce genre de choses t’intéresse grandement, quand bien même leur importance ici est réelle. Comprends cependant que, quand bien même je suis en un sens effectivement fou, tout ce que j’opère est dirigé vers un certain objectif. Malgré toute la passion et la fascination que j’éprouve pour Ravage, tout cela n’est pas vain. La seule raison pour laquelle j’ai pu être qualifié de héros est parce que j’ai simplement désiré le bonheur d’autrui, et je le désire encore aujourd’hui…

C’est pendant ce discours que Naoko tenta son action sur l’orbe argentée, qui s’immobilisa alors avant de pivoter vers la mage. La voix de Mark s’adressait à présent à elle.
– Jeune femme, tu ne devrais pas refaire ce genre de choses, fit-il sans agressivité mais avec autorité. La télékinésie ne m’est pas étrangère, qui plus est, j’aurais pu prendre cela pour une provocation et tirer mon épée en conséquence. Fort heureusement, je suis de nature patiente. Par ailleurs le moment me semble bien choisi pour cesser de vous importuner, j'ai après tout à délivrer ma déesse de ses chaînes… Gentilshommes, Mesdames, il est possible que Ereshkigal, Gilliat et Kerdiald vous tuent avant la Transmigration, ce fut donc peut-être notre dernière rencontre.

Sur ces mots, la surface de l’oeil oscillant une dernière fois, la sphère se mit à s’élever dans le ciel, disparaissant progressivement vers les hauteurs. Rasoul, toussant à nouveau grassement, reprit ce qu’il disait à Terugkeer après un soupir.
– Regime peut, en théorie, améliorer les facultés mentales de son utilisateur et lui permettre d’accueillir d’autres esprits dans le sien. En pratique cependant, cela est bien plus impressionnant : l’utilisateur créé un véritable monde dans sa conscience, les possibilités sont immenses. En contrepartie, il se trouve doté d’une abnégation considérable, un altruisme qui est voué, éventuellement, à effacer son ego et en faire une coquille vide… Il semble que cet imbécile de Mark veut manipuler l’esprit de Ravage, de quelque manière, avec la Sarth et à l’aide d’un autre artefact construit à partir d’une gemme très complexe. D’autres esprits seraient capturés dans la sarth devenue incontrôlable, et seraient effacés avec celui de Ravage. Cependant, quelque chose semble étrange dans cela… Mark semble estimer que ces sacrifices ont un but, et n’a cherché aucun moyen de les éviter. Il a en effet perdu l’esprit : ce sacrifice pourrait-être uniquement symbolique, mais il n’a jamais agi comme un dévot. C’est bien parce qu’il est indifférent aux dieux qu’il est incapable d’observer Ravage comme l’entité qu’elle est, et dit vouloir l’amener à un état mortel… Entre autre, Mark dissimule certainement quelque chose. Quoi, je ne le sais…

-A très bientôt, lâcha Meortis à la sphère alors qu'elle prenait son envol, ignorant la remarque sur leur potentielle défaite prochaine. Mais rappelle toi que nous ne sommes pas seuls non plus.
Alors, elle se retourna en direction de Rasoul et de Terugkeer, lançant à ce dernier un regard si froid qu'il aurait pu le geler dans l'instant. Elle ne daignerait même pas lui adresser la parole, si ce barbare souhaitait la soupçonner, qu'il le fasse. Sans elle, il serait déjà mort.
-J'ai prêté une oreille à ce que tu disais, Ancien. Mark est définitivement et indubitablement fou. A lier, même. Il n'y a pas plus de questions à se poser, et cela n'importe aucunement. Ereshkigal, Gilliat, Kerdiald... Et qui que ce soit d'autre qui pourrait nous faire obstacle sur cette montagne. Que sais-tu d'eux? Qui as-tu affronté et t'as mis dans cet état? La moindre information sur leurs capacités? Je vais mettre fin à tout ceci à ta place.

– Il n’y a pas grand-chose que vous puissiez faire pour moi… Fit Rasoul en toussant de plus belle. D’autant plus que je ne mourrais pas de cette blessure. Il serait plus sage de ne pas perdre trop de temps, si voulez mon avis…
  Quant à Méortis, à qui je ne me rappelle toujours pas avoir donné la permission de me tutoyer, je lui dirais qu’aucun d’entre eux ne m’a mis dans cet état. Mark s’en est chargé, avec son ‘’épée’’, que je qualifierais mieux de guillotine. De la poussière métallique manipulée par télékinésie et enchantée par la luxinomancie… C’est la méthode de combat qu’il a perfectionné contre le second trépas. Il l’appelle Tiphareth. Et pour ce qui est des autres… Gilliat est un mort vivant de grande taille, mais il n’a fait aucun mouvement. Kerdiald est celui qui a détruit la plupart de mes pantins avant que je ne sois mis hors de combat, c’est un ancien paladin d’Arzteingard, lui aussi adepte en luxinomancie. Il a plusieurs autres sorts sous sa manche, comme de la guérison et de la pyromancie, et son épée est enchantée pour amplifier sa polyvalence, il est donc plus agaçant qu’il n’y parait… Ereshkigal a maintenu ses distances et a laissé quelques uns de ses morts vivants épauler Kerdiald… Je ne pense pas que Mark intervienne avant la fin de la transmigration, mais Kerdiald et Ereshkigal risquent d’unir leurs forces, puisque vous avez vaincu Geldo. Probablement d’utiliser ce Gilliat également… Voilà tout ce que je sais. Il est certain que je n’aurais pu les vaincre, même si Mark ne m’avait pas attaqué. Cependant, j’espère bien que vous serez capable vous, de le faire, l'archi nécromante étant probablement plus apte aux combats que je ne le suis à mon âge. Si ce n’est pas le cas, vous êtes des imbéciles et vous auriez dû mourir contre Geldo des heures plus tôt.
   Cependant, Mark est une autre histoire. Il porte en effet le titre de Sage de Lumière, mais correspond parfaitement au mot d’Archimage… Il ne se cantonnera certainement pas à une seule stratégie, si vous lui opposez résistance. Vous pouvez vous attendre à tout… Cependant, j’en ai assez de parler. Je pense qu’il serait avisé de retourner à mon sommeil, et de vous laisser la suite.

Meortis acquiesça de la tête. Sans plus se soucier du préclipsien à terre, elle remonta sur l'épaule de son zombie et reprit l'ascension. Sa cible à elle était Ereshkigal, et elle le voudrait vivant si elle le pouvait, même s'il n'était plus en un seul morceau. Il faudrait se débarrasser des autres aussi efficacement que possible.

Le groupe continua alors sa route. U.Seitz, qui n’avait guère osé lever la parole lors de ces conversations, était néanmoins assez pressé par le caractère inquiétant de ces dernières, et en tête du groupe eut tendance à accélérer le pas. Le chemin finit par les éloigner du bord de la montagne au bout de plus d’une heure supplémentaire de marche, et devint plus large. Ils avançaient à présent sur la roche couverte de poussière rouge, sous une chaleur torride guère réduite par l’altitude, et entre des masses rocheuses et des fragments de piliers et de temples qui semblaient délimiter leur route qui était à certains endroit escarpée par des débris. Le sommet se faisait de en plus en plus proche, alors que l’heure avait dépassé midi. Il n’y avait plus de signes de présence depuis un moment, mais la tension environnante inexpliquée devenait de plus en plus pesante…
Néanmoins, ceux aux sens les plus aiguisés finirent par remarquer être observés. Les autres ne furent pas en reste, puisque les observateurs ne semblaient pas réellement tenter d’être discrets.
Sur la partie qui s’élevait à leur droite des rochers qui les enfermaient comme dans un canyon, se trouvait surélevés trois individus. Le plus avancé d’entre eux était un homme assez grand, mais doté d’une apparence qui ne dissimulait pas au moins une soixantaine d’année. Malgré ses longs cheveux gris, il était doté d’un grand front qui révélait un début de calvitie, mais portait pourtant une expression de confiance sur le visage et une posture imperturbable. Il avait l’air arrogant, chose guère améliorée par la coupe en or qu’il tenait dans sa main gantée et la richesse de la cape sur ses épaules, mais également assez rusé. Il n’avait pourtant pas l’air de porter d’armure, malgré une épée au fourreau imposant à sa ceinture. Plus en retrait, et accroupi sur un rocher, se trouvait une silhouette humaine plus maigre, un grand à la main sans flèche encochée. Dans un habit noir scarrath, il avait la tête enveloppée dans un foulard rouge de voyageur de désert, et était dans un calme qui ne faisait qu’annoncer qu’il était prêt à agir à tout moment. Un autre signe distinctif, qui attirait l’attention notamment de Méortis, était la présence d’un épais livre noir visiblement solidement attaché à sa ceinture et en partie couvert par un tissu noir qui enroulait sa taille… Enfin, derrière eux deux se trouvait une figure humanoide assez massive pour faire passer le chevalier en tête comme un petit homme, et qui peut-être était un peu plus grande que Geldo lui même. Totalement impassible, l’homme au teint d’un presque bleu cadavérique avait les gencives exposées à l’air libre, les paupières cousues, et apparaissait comme un grand cadavre idéalement conservé. Comme une statue, il ne bougeait pas d’un pouce, tenant fermement un long espadon dans sa main droite… Car il était torse nu, et dépourvu d’armure, l’on pouvait voir sur sa poitrine le trident d’Arzteingard tatoué en grand.

– Voilà donc nos vainqueurs, fit le vieux chevalier à la coupe sertie de joyaux, la tendant en direction du groupe. Mon compagnon voulait vous attaquer par surprise, mais, alors que tout est bientôt fini, je juge qu’il est de bon goût d’au moins se connaître un peu avant de commencer les bravades… C’est aussi une manière d’honorer ce cher Geldo. Ne crois tu pas ?
Il dit ceci en se tournant vers l’archer. Qui ignora son commentaire, son regard se tournant plutôt vers l’équipe.
– … Tu n’es pas chevalier, c’est vrai, fit-il dans un rire. Tu ne peux pas comprendre notre orgueil. L’honneur, est, finalement, une question d’orgueil… Mourir en brave, en héros, en adversaire redoutable, tout cela n’est qu’une question d’éclat. Et de la brève satisfaction qui accompagne cet éclat que l’on pense avoir…
Enfin, je ne pense pas que ce genre de question importe à beaucoup ici. Je suis Kerdiald, auparavant Kerdiald di Arzteingard… J’étais, avant que Mark ne prenne les commandes, le leader de notre faction.
– Ereshkigal, fit l’archer sans plus de conviction. Nécromant.
– Quant au géant derrière nous… Il ne risque pas de vous faire gentiment la conversation, mais il se nomme Gilliat. C'est un zombie, cependant cela n'a pas vraiment d'importance... Après tout, la plupart des gens sur cette montagne ont l'intention de mourir. Nous ne sommes pas tant différents, lui et moi.

Meortis remarqua immédiatement le livre, et la mention du nom d'Ereshkigal suffit à confirmer ses soupçons. Cette recherche ne fut pas longue, et la toute récente raison principale de sa présence ici se trouvait probablement sous ses yeux.
Le premier réflexe de Meortis fut de recouvrir de nouveau son corps du miasme, la transformant en ombre en vêtements de mage. Descendant de son zombie, elle leva la tête vers le trio, restant dans l'ombre de son zombie afin qu'elle puisse se protéger avec lui en cas d'attaque soudaine.
-Ce livre, dit-elle à Ereshkigal. S'agit-il du grimoire du Roi Fou? Si c'est le cas, je te demanderai de gentiment me le confier.

– Pour quelle raison le donnerais-je ? Répondit Ereshkigal. Je suis assez certain que tu n’as autre argument que ta force, sinon tu ne formulerais pas une demande si dénuée de raison et de compromis… Cependant… Que se passe t-il si je ne crains pas ta dite force ?
– Inutile de déjà s’échauffer, fit Kerdiald, l’air décontracté.
– Je n’ai aucun intérêt à avoir ta cordialité… Jamais je n’ai eu l’intention de même laisser cette femme en vie. Une personne si détachée de la réalité est une véritable plaie, qui plus est nous devons gagner du temps. Tuer Ravage est notre priorité.
Sur ces mots, Ereshkigal prononça une incantation avant de progressivement disparaître. Il s’agissait certainement d’une illusion, non pas lancée sur l’esprit mais sur lui même. Très vite, l’archer n’était plus visible nulle part.
– Regardez le qui part, dit Kerdiald en haussant les épaules, avant de vider le contenu de sa coupe. Cela coupe court à cette conversation… Vous savez déjà que nous voulons tuer Ravage, c’est ce que j’estime être le mieux en tant qu’ancien paladin. Et si vous êtes jusqu’ici, c’est que vous voulez vous battre dans tout les cas.
 Tout à coup apparurent un à un, visiblement invoqués, trois chevaliers en armure de plate noire, qui fermaient à présent la route d’où le groupe venait. Le premier d’entre eux, le plus grand, portait une lance et un large bouclier, le second portait un lourd marteau, et le dernier portait un sabre dans un style oriental. Au même moment, le grand guerrier nommé Gilliat sauta pour arriver les deux pieds sur le sol, bloquant l’autre direction du chemin. Contre toute attente, une voix semblait s’élever depuis le fond de sa gorge bien que sa bouche ne bougeait pas.
– La Tombe… Pleure… L’oeuf… Rongé par les vers…
Ce qu’il disait ne semblait pas adressé au groupe, mais ne semblait pas faire grandement de sens non plus. Pour autant, sa voix sèche et glaciale n’avait rien de rassurant.

Hmpf. Avec son voile, Meortis devait largement pouvoir survivre à une flèche, leur évitant de se planter trop profondément. Il lui faudrait ensuite "simplement" se soigner de la blessure superficielle qu'elle aurait reçue, ce qui ne prendrait que quelques instants. Restant pour l'instant à l'abri dans l'ombre de son massif zombie, la première chose qu'elle tenta de faire fut de prendre le contrôle des chevaliers et du géant. S'il s'agissait de zombies conventionnels, il était clair que leur propriétaire ne pourrait en maintenir le contrôle si Meortis tentait de le lui arracher. Cependant, cela ne fonctionnerait pas sur des êtres de la même nature que Geldo, possédant encore un esprit et une âme propres, indépendants.

– Je comprend vos doutes, répondit Kerdiald. Néanmoins, en ramenant Mark nous avons accepté de lui faire confiance, voyez vous ? S’il veut nous trahir actuellement, il n’y a pas grand-chose que nous pouvons faire à ce sujet.

Méortis ne parvint pas à prendre le contrôle du géant ou de la triade de chevaliers. Le géant était clairement différent des autres, mais même ces chevaliers semblaient disposer d’une certaine forme d’indépendance. Entre autre, ils n’étaient pas des poupées manipulées actuellement par le mage qui les avait invoqué. La triade chargea le groupe vers l’arrière, le chevalier à la lance courant, bouclier rond en avant, pour tenter de transpercer Mina. Les autres, celui au sabre et celui au marteau, accouraient eux vers la nécromancienne qui ne pouvait en prendre le contrôle.
Quant à Naoko, sa tentative de manipuler l’épée de Gilliat fut infructueuse. L’épée ne bougeait pas d’un pouce, et le mort géant ricana même d’un rire lent et froid, moquant le ridicule de l’action de la mage. L’instant d’après,  son pied frappa le sol avec puissance et démarra sa course. Car malgré sa taille, l’abomination était terriblement rapide. Néanmoins, U.Seitz s’interposa, en réponse de quoi le géant souleva son épée pour frapper ce dernier, le poussant à parer de justesse à l’aide de sa hache, le coup le repoussant et le forçant à se réceptionner dans une roulade. Gilliat l’ignora, et continua de courir vers Naoko tout en sifflant à nouveau son obscur récital.
– S’abscondre… Des degrés de cadavres… Hissés pour atteindre le soleil…

Pendant ce temps, Kerdiald avait dégainé son épée cruciforme à large lame. Elle n’avait pas de pointe, semblant purement être une arme de taille, mais il y avait surtout quatre inscriptions runiques sur sa lame, assez grandes pour être voyantes bien que non identifiable à cette distance. Le vieux chevalier sauta, se réceptionnant au sol sans difficulté après une chute de presque trois mètres, bien qu’avec infiniment moins de puissance que Gilliat, semblant lui aussi prêt au combat.
-- Il est trop tard pour négocier, fit-il à l'attention de Terugkeer. N'êtes vous pas d'accord?

- Je ne comprendrais jamais ce que les gens ont avec les morts vivants. C'est d'une tristesse sans nom et un affront aux Dieux. Je vais vous vider de votre vie. fit-il se mettant en position défensive, et à dire vraie il comptait surtout le vider de sa mana afin de s'en servir contre lui. Il commencerait par la mana de sa lame, et puis en terminerait avec lui une fois qu'il se sera solidement renforcé et protégé. Il commençait à avoir besoin de mana, il le sentait.