[Culture] Contes et Légendes

Compilation de légendes et récits qui, sans être exclusifs à Nurenuil, sont une part intégrante de la culture Nordane.

Therebor et l'imprudente


Jadis, bien avant l’Eclipse qui guida l’exil des hommes, le grand dragon Therebor régnait sur les terres du nord. Reculé dans sa tanière, il ordonnait aux ingénieux Runerims par le tonnerre qui jaillissait de sa gueule et les brasiers qu’expulsaient ses narines : les rois eux-même tremblaient en entendant Therebor gronder, car il craignaient que la fumée noire qu’il crachait n’obscurcisse le ciel à tout jamais. Par ses griffes et son souffle, il avait creusé une montagne dans laquelle se terrer, car son corps était trop immense même pour un château : cette montagne, qui était si haute, n’existe plus car elle s’effondra sur elle même après la mort de son maître. Si vous observez depuis Crawn celles qui séparent le nord de l’ouest, vous saurez à présent que vous en voyez les ruines.
Par le passé, la grotte gigantesque aurait pu abriter Pithorn cent fois. Le dragon noir, friand de pillages et de construction, aussi avide qu’il était ingénieux, y conservait ses plus beaux objets, roulant son corps sur l’or, l’argent, les joyaux, affectionnant même les armes utilisées par les mortels. Dix milliers de crocs et de griffes se plantaient au sein des murs, et Therebor contemplait ces puissants artefacts avec satisfaction. La pierre, l’acier et le diamant obéissaient aux mouvements de ses membres épais, et même immobile ses muscles et ses écailles avaient l’air plus insurmontables encore que les forteresses Runerims. Autour du long cou de serpent qui émergeait de son corps se trouvait une crinière épaisse et grise, des millions de fils brûlants comme le fer chaud tombaient, et piégés entre eux brillaient ses nombreux bijoux, des armes, des trophées de guerre. Sur son dos se hérissaient d’immenses piques, ceci jusqu’à son crâne triangulaire où elles se tordaient de façon inégales, devenaient les branches du cerfs, les spirales du bélier, et les pioches du buffle.
Sur ce crane brillaient quatre yeux, que l’on n’aurait pu voir que chez un démon. Malgré sa puissance, le dragon néanmoins préférait de loin l’oisiveté au combat, et se prélassait volontiers dans la roche impardonnable et le fer aiguisé de son antre.

Un jour, une jeune fille escalada les monts pour s’aventurer dans la caverne. Alors, la guerre faisait rage entre les runerims et les hommes, quel ne fut donc pas l’étonnement de Therebor lorsqu’il vit une jeune humaine s’écorcher les genoux sur le sol escarpé de sa maison ! Car elle n’échappa à sa vigilance, nul n’échappait à la vigilance d’un dragon, et il l’aurait bien broyée en morceaux sur le champ, cependant une fille si frêle n’aurait même pas constitué un bon amuse-gueule pour le monstre. Amusé par l’étrangeté de la situation, Therebor exprima un horrible sourire et les fondations de son antre tremblèrent de l’écho de sa voix.

« Qu’es tu venue voler, minuscule mortelle ? Est-ce un joyau ? Est-ce une arme ? Plus encore ? »

La jeune fille qui croyait naïvement qu’il dormait, sursauta en hurlant et retomba sur ses fesses contre la pierre glacée. Seul un des quatre yeux du dragon projetait son regard incandescent sur l’humaine, les trois autres scrutant avec attentions les pièces de son trésor. La jeune fille ne s’évanouit pas, ni ne partit en courant, à la vision de sa gueule grande comme un abysse, c’est dire combien elle était brave. Néanmoins, elle n’osa pas répondre aux questions impérieuses du dragon.
« Tu as troublé ma quiétude et consomme mon temps précieux. Si tu ne me divertis pas, je t’écraserai. »
Il dit avec autorité, et la jeune fille protégea sa tête de ses bras, craignant que le plafond ne s’effondre sur elle tant il tremblait.
« Maintenant réponds moi. » Reprit le dragon, mimant un ton amical. « Qu’est-ce qui amène chez moi un membre de ta race ? Que veux-tu ? »
La jeune fille ôta abaissa ses mains et leva le menton vers le dragon aux écailles obsidiennes, gonflant sa poitrine de détermination. Therebor gloussa, et à l’aide de son long cou approcha sa tête d’elle afin de la presser à répondre.
« Je veux une arme puissante, qui m’aidera à chasser un monstre. J’échangerai ma vie contre votre don. »
« Et pourquoi donc ? »
« Pour la justice. Je veux réparer une faute qui a été faite. »
Le dragon resta un instant silencieux, ses quatre fixaient à présent communément la jeune fille alors qu’il pensait profondément. Un dragon pouvait prendre son temps à penser lorsque rien ne le pressait, des heures et parfois des jours.
« Tu mens. » Affirma t-il après quelques minutes seulement. « Je ne vois en toi aucune conviction. Dis-moi la vérité. »
« Alors c’est pour la vengeance. La faute a été faite envers moi, et je dois apaiser ma colère. »
« Tu mens. Aucune rage ne bouillonne en ton cœur. Dis-moi la vérité. »
« Je l’admet, c’est pour la gloire. Je veux que mon nom soit acclamé parmi les miens, et craint par mes ennemis. »
« Encore un mensonge. Aucune ambition ne secoue tes membres. Réfléchis mieux à ce que tu me réponds, cette fois, car ma patience est à bout. »
Alors la jeune fille se tût, et sachant que sa vie ne tenait plus qu’à la satisfaction de Therebor. Elle réfléchit longuement et sans se presser, comme un dragon, et chercha en son cœur la réponse la plus franche. Après plusieurs heures, où Therebor ne la quitta pas d’un œil, elle finit par répondre d’une confiance nouvelle.
« C’est pour le pouvoir. Je veux être capable de me protéger, tout autant que de vaincre autrui. »
« Hmph. En es-tu certaine ? »
« Oui. »
« Cette fois au moins tu n’as pas l’air de mentir, aussi je me contenterai de cela. »
Therebor leva une de ses patte griffues vers les multiples armes qui étaient plantées dans ses murs, en saisissant une poignée qu’il serra avec force, tordant et brisant l’acier d’excellentes armes runerims, l’écrasant jusqu’à composer un bloc vulgaire d’armes écrasées entre elles. Posant avec attention ce tas d’épées et de lances sur le sol, il souffla dessus un jet de flammes et le métal fondit, au cœur même de l’enfer il se remodela selon la volonté de Therebor. Lorsque le feu cessa de hurler, un trident ardent se dressa dorénavant sous le museau du dragon. Ses trois piques se rejoignaient en un même point, les deux pointes sur les côtés du trident se tordant en deux angles droits jusqu’à toucher la pointe du milieu. Therebor cracha et souffla sur le métal chaud pour le refroidir, et il prit alors une teinte pure et blanche : dans un grand sourire, il incita la jeune fille à se saisir de l’arme.
Mais le trident, fait entièrement d’acier, était lourd, et sa forme étrange. La jeune fille, qui peina à soulever l’objet, se demanda comment pouvait-on transpercer un monstre avec ce fer : les trois pointes, communément jointes, ne rentreraient-elles pas avec plus de difficulté dans la chair ?
« J’ai réalisé cette lance en accord avec tes paroles : indécise. » Ricana Therebor. « Une pointe pour la justice, une pour la vengeance, une pour la gloire, et chacune d’entre elle dérangera l’autre pour se planter dans les flancs de ton ennemi. Cette arme est puissante, incassable, et peut venir à bout des démons même… Mais il te faudrait une force colossale pour en tirer profit! »
Disant cela, Therebor prolongea son immense rire grave, alors que la jeune fille réalisa avoir été à moitié dupée par un choix à moitié fait et une arme à moitié parfaite.
« A présent, tu m’offre comme entendu ta vie. Tu es ma propriété, jusqu’à la fin de tes jours. »
Ce jour là, la jeune fille se jura de ne plus jamais signer d’entente avec un dragon. Cette jeune fille, peut-être l’avez vous deviné, était la sorcière Iaggill : celle même qui a guidé Noir-Martel à l’arme qui vaincra Therebor, le dupant à son tour. Par mégarde, il lui enseigna la sagesse des dragons.