Chevaliers de l'Eclipse
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -50%
-50% Baskets Nike Air Huarache Runner
Voir le deal
69.99 €

One Shot du Daloka des forêts

3 participants

Page 2 sur 2 Précédent  1, 2

Aller en bas

One Shot du Daloka des forêts - Page 2 Empty Re: One Shot du Daloka des forêts

Message par DALOKA Mar 22 Mai - 16:38

Le Candidat idéal



Un claquement métallique de verrou résonna en un écho dans la large salle de l'observatoire quand l'alousien referma la porte derrière lui. Du côté opposé à la porte, sur un solide échafaudage de bois sombre, un homme aux longs cheveux bruns et aux lunettes rondes, remarquant sa présence, éloigna  son regard de la mécanique du télescope qu'il manipulait avec soin qui contrastait totalement avec son attitude nonchalante, moqueuse, et même rustre selon certains standards. Lektor se retourna et l'intégralité de son corps faisait maintenant face à l'homme lézard qui s'avançait de son habituel pas silencieux et prudent, comme quelqu'un susceptible de se faire attaquer à tout moment, même s'il gardait un sang froid parfait.
– Sana m'a prévenu que vous vouliez vous entretenir avec moi, dit U.A, de sa voix grave et sérieuse.
– C'est juste, répliqua le chef des gardiens de fer, presque dans un rire, avant de retourner son attention vers le télescope en croisant les bras. Tu devrais jeter un œil au ciel avec cela un jour. Je te passerais les clefs de la salle, un jour.
– Les observer ainsi causerait une si grande différence? J'ai souvenir que Sana clamait être déçue.
– Ah ! Tu aurais peut-être plus de maturité pour comprendre ? Ou plutôt tu ne t'attendrais pas à quelque chose d'extraordinaire, comme elle. Moi, cet outil me fascine. Ce qu'il y a de triste en revanche, c'est que je sais que même moi, je mourrais avant de savoir réellement ce qu'est une étoile.
Et il regardait bien l'appareil avec une mélancolie que U.A identifia parfaitement. Le regard levé vers Lektor de l'homme lézard se perdit un instant dans le vague. Le télescope avait été la création commune du Sum Nimium et de cette femme, Roberta Hulgens. Quasiment personne ne savait quelle relation avaient-ils, à l'exception de Krakendorf, Sana, et par leur biais, lui. Il n'était pas sans savoir qu'elle était morte et dans quelles circonstances, pourtant… Lektor ne semblait guère secoué par cela. U.A était un peu perdu, il ne saisissait pas grand-chose de ce genre de rapport, mais son comportement contredisait à l'évidence ce qu'il avait appris.
– ...Veuillez m'excuser si cela est hors de propos, mais vous n'avez pas réagi suite à l'incident chez Refinia. Je veux dire, à part en réajustant le niveau de dangerosité de Lucius Fledermaus et de Kazhaar Dyra.
– Et ça t'étonne ? Ou bien c'est une complainte de Sana ?
– Je sais que cela touche un sujet personnel, aussi je n'insisterai pas, mais c'est une véritable interrogation de ma part. Néanmoins il est vrai qu'elle est agacée par votre… Manque de changement de comportement ? Je m'attendais à ce que vous ordonniez une réplique immédiate, c'est ainsi…
– Que la plupart auraient réagi ? Soupira Lektor, les mains sur les hanches. Cela ne te ressemble pas vraiment. Tu as ton propre mode de pensée, alors n'essayes pas de te calquer sur les autres. Et puis tu commences à être trop vieux pour ça. Néanmoins… Il faut sans doute que je t'explique quelques choses à ce sujet. Ne restes pas planté là: monte à mon niveau.
Sans particulièrement en voir l'intérêt pour cette conversation, afin de cesser d'observer le Sum Nimium d'en dessous, U.A gravit l'échelle de l'échafaudage pour arriver auprès de Lektor, l'égalant en taille. Leurs regards se croisaient maintenant sans que l'un ou l'autre n'ait à incliner son cou.
– Les saints dorés sont pour le moins bénis, en terme de longévité, mais je reste un vieux. J'aurais 94 ans d'ici peu et ce n'est pas rien… Conséquemment l'amour pour moi n'est peut-être pas la même chose que pour les gens dans la vingtaine, même si mon caractère est aussi à blâmer. Bien sur, ce n'est pas vraiment un bon justificatif pour ne pas vous montrer une petite larme quand mon amie meurt, mais ce serait ignorer de nombreux détails. Et être un peu trop romantique, aussi.
Disant cela, Lektor prit place devant le télescope, et continua sa conversation tout en le réglant.
– Roberta était une vampire. De plus de 250 années en tant que telle, par ailleurs. Tu dois avoir une petite idée du nombre de gens qu'elle a du tuer, pas vrai ?
– Si l'on considère le régime usuel des vampires…
– Au moins trois milliers de personnes. Et c'est uniquement les personnes nécessaires à sa survie. Pour être franc, nous pourrions doubler ou tripler ce nombre. Bien entendu, j'ai tué tout les résidents de la forteresse des saints dorés, où nous logeons actuellement… Il va sans dire que je ne suis pas l'homme idéal pour parler de cela. Néanmoins, que Roberta ait été mon amie ne change pas grand-chose au fait qu'elle pouvait-être mon ennemie mortelle si les événements le voulaient, en tant que personne si dangereuse et ne faisant en rien partie des gardiens de fer. J'étais prêt à la tuer moi même. J'ai peut-être l'air d'une raclure sans cœur… peut-être le suis-je quelque peu, d'ailleurs, mais ma vie privée et mon rôle de chef des gardiens de fer sont deux choses différentes selon moi. Ainsi strictement rien ne justifierai une vendetta des gardiens ou même de moi seul envers Lucius. Particulièrement quand Refinia m'a demandé de ne pas m'en mêler, et elle aimait Roberta cent fois plus que moi. Chose réciproque d'ailleurs : Roberta m'aurait tué si Refinia le désirait, ceci sans une once d'hésitation. C'est le genre de relation que nous avions, et ça ne nous posais aucun problème. Quand à mon manque de… Réaction, je suppose qu'il se justifie moins. Mais je suis comme ça. Pourtant même moi, parfois, je pleure, tu sais ? Ca peut-être devant un rien, une brise de vent qui me rappelle quelqu'un de parti ou une de mes erreurs. Alors je pleure non pas pour une personne mais pour plus que je ne peux en compter. Pour ceux que je n'ai pas pu sauver, pour Karla, et même Jigen en quelque sorte, ainsi que par dessus tout pour tous les gardiens morts en mission… Et quand ça arrive, autant te dire que je préfère me cacher. Quitte à créer un portail.
Il avait achevé sa phrase sur le ton de la plaisanterie, mais cela n'avait pas éteint le silence dérangeant que sa tirade avait posé. Avec un air étonné, il leva le nez du télescope, tournant la tête vers U.A qui ne s'était pas déplacé d'un pouce.
– Peut-être avais-je l'air un peu trop dramatique ? Dit Lektor en haussant un sourcil. Ce genre de discours n'est pas vraiment de mon ressort… Et je ne t'ai pas demandé pour ça, de toute façon. Néanmoins, que tu montre ce genre de considération pour les sentiments d'autrui… Tu as parcouru un long chemin U.A.
– Cela ne veut pas dire que je les saisis toujours.
– Très sincèrement, étant donné qu'une bonne partie de notre personnel est constitué de gens tout aussi étranges, je ne sais pas si je pourrais trouver quelqu'un apte à tous les comprendre naturellement. L'intérêt que tu portes à savoir ce qui passe par la tête de quelqu'un est ici plus que suffisant. Associé à ton sang froid, cela fait de toi l'un des meilleurs éléments.
U.A hésitait grandement à demander dès maintenant la raison de cet entretien. Il pressentait que quelque chose d'importance lui échappait totalement. Peut-être désirait-il juste un dialogue cordial ? Cela ne lui ressemblerait que trop peu… Lektor s'était redressé et avait de nouveau croisé ses bras. La lumière des torches nocturnes se reflétait dans ses yeux dorés à travers ses lunettes, et il prenait soudainement un air bien plus sérieux.
– Tu n'es pas sans savoir que je suis très préoccupé par ce qu'il se passe à Hiranyakashipu et dans la zone alentours. A chaque nouvelle que j'obtiens, le constat de la situation empire, et ce n'est pas l'Iris qui aurait la capacité d'y faire quoique ce soit… La secte d'Al Hamriyah devient un soucis secondaire, à côté. La moitié de la montagne a été détruite, il y a eu une gigantesque explosion non loin d'Algor, Lys est mort et sa sarth a disparue… Cela risque de demander une sacré intervention, et… je sais ce que tu penses. Tu crois que je vais te demander d'y aller, pas vrai ? La vérité est plutôt que je risque de devoir m'y rendre moi même. Et vois tu, je ne suis pas immortel… Enfin, je n'ai aucunement l'intention d'y passer et j'ai de longues années devant moi, cependant il n'empêche que prendre ce genre de mesure est une prudence dont je ne peux pas me priver.
– J'ai bien peur de voir où vous voulez en venir.
– Je veux que tu prennes la charge de leader si je meurs. Tu ne t'en sens pas capable ?
– Me donner à moi la responsabilité sur un groupe si large, cela me semble quelque peu…
– Absurde ? Je ne vois pas en quoi. Je te l'ai dit : tu as des qualités nécessaires pour servir de chef aux gardiens de fer, cela au moins temporairement. Tu n'es pas sans savoir que Sana a une intelligence exceptionnelle, et une bonne volonté équivalente, néanmoins elle n'a pas les aptitudes dont tu dispose. Son manque d'objectivité pourrait lui faire défaut et elle est encore jeune. Peut-être aura t-elle les capacités d'avoir le contrôle total des gardiens de fer un jour, mais ce n'est pas aujourd'hui.
– Sauf votre respect, peut-être que votre choix est hâtif.
– Tu penses vraiment que je te désigne par sympathie ? C'est très mal me connaître. En vérité il n'y a pas vraiment un autre gardien apte à cette tâche… Cependant, il se peut aussi que tu n'aies pas envie de ces responsabilités, aussi je ne t'oblige à rien.
  Dis moi quand tu auras fait ton choix.
*

La jeune femme au teint mat faisait face à l'homme lézard noir qui la dépassait presque d'une tête, un couteau en main, son expression mêlant sa détermination et la pression qu'elle ressentait. U.A semblait parfaitement calme, même si son expression n'était pas des plus évidentes à déchiffrer. Contrastant totalement avec cette tension des deux adversaires qui se regardaient droit dans les yeux, une femme blonde à la peau pâle et parcourue par de multiples points de sutures était allongée le ventre contre le plancher de la salle d'entraînement, ses jambes battant légèrement l'air alors qu'elle avait le regard plongé dans un livre, semblant a priori n'accorder aucune attention à ce qui se trouvait en face d'elle.
– Et… C'est parti ! Dit la damoiselle au teint cadavérique sans lever les yeux. La jeune femme à la peau de bronze s'élança la première… Et quelques instants plus tard, U.A, se tenant dans son dos, l'avait désarmée et avait le bord de la lame émoussée sur le cou de cette dernière.
– C'est déjà fini ? Fit remarquer la lectrice, levant légèrement la tête.
– Tu es trop agressive, dit U.A d'un ton plein de reproches en lâchant Sana, qui répondit tout d'abord en faisant la moue avant de détacher ses longs cheveux noirs. Tu négliges ton entraînement au corps à corps. Tout gardien de fer a besoin de bonnes bases en différents types de combats rapproché, et même une mage peut-être prise par surprise.
Sana, serrant les dents avec une expression agacée, leva alors la main pour faire apparaître dans l'air des lettres lumineuses. C'était sa façon de communiquer, à elle qui était muette.
« Mon temps de réaction est amplement suffisant pour pouvoir me défendre sans jouer les gros bras ! »
– Je pourrais te tuer deux fois avant que tu ne lances un sort. Et Platine te bats même en étant dans son état normal, qui plus est.
La concernée, qui écoutait la conversation au lieu de lire à présent, pouffait avec un sourire en coin, ce qui ne manqua pas d'agacer Sana.
– Même si tu as d'autres occupations que les missions, reprit U.A, tu es importante pour l'organisation. Tu dois savoir survivre par toi même.
« Si tu t'inquiètes pour moi tu n'as qu'à rester en tant que garde du corps. » Écrivit-elle avec un sourire.
– Cela est hors de question, répondit-il brutalement, la faisant soupirer. Qui plus est Lektor veut que je t'entraîne à l'auto défense, alors tu n'y réchapperas pas. Ta sécurité m'importe également à moi tout comme à tout les gardiens.
« La seule raison pour laquelle j'accepte ça, c'est parce que c'est toi. Nous n'avons pas beaucoup d'occasions de parler. » Fit Sana, signifiant son agacement en plaçant les poings sur ses hanches.
– Ce n'est pas exactement faux, étant donné que tu ne pars pas en mission avec moi. Néanmoins je voudrais te parler en privé aujourd'hui, si cela n'entre pas en contradiction avec l'état actuel de ton emploi du temps, bien entendu.
« Vraiment ? » Écrivit-elle hâtivement, exprimant un sourire gêné. Ses mains se perdirent dans  l'air un bref instant.
– Un problème ?
« Non pas du tout ! » Parvint-elle à faire communiquer en grandes lettres, semblant toujours un peu déstabilisée. « Je peux être à l'extérieur ce soir, quand j'aurais fini de ranger les derniers dossiers... ».
– Parfait dans ce cas, on en a fini pour aujourd'hui. Platine, c'est à ton tour à présent.
Platine se releva en refermant son livre, tandis que Sana s'en allait, le pas presque sautillant, dessinant un « A ce soir ! » qui s'éleva comme une traînée de poussière lumineuse sur son chemin avant qu'elle ne s'échappe de la salle.
Un couteau d'entraînement en main, Platine, sa sœur adoptive en tant que porteuse du nom Hiil, se tenait à présent prête dans une position maladroite et même, à vrai dire, un peu ridicule.
– Ta posture ne correspond déjà pas, dit U.A en contenant son exaspération. Tu devrais toi aussi prendre cela au sérieux.
– Aaah, désolée… Fit-elle mollement avec un sourire embarrassé, tenant d'imiter U.A. Je n'applique pas toujours bien… Parce que j'en ai pas vraiment besoin.
  U.A était forcé d'admettre, que, contrairement à Sana, Platine avait des aptitudes physiques extraordinaire et une endurance hors du commun. Qui plus est, malgré ses réflexes très lourds, elle savait prendre parfois de bonnes initiatives… Sans compter que personne ne lui demandait en vérité de s'entraîner.
– Si tu n'as pas besoin de ce genre d'exercice régulier pourquoi es tu donc là ? Répondit-il, se contredisant quelque peu par rapport au sermon qu'il avait fait à Sana.
– Eh bieen comme ça je peux te voir, non ? C'est pas bien différent d'elle.
– Pourtant, tu devrais réaliser que le temps que tu passes avec moi est assez supérieur au sien. A vrai dire la seule membre des gardiens de fer qui se trouve avec moi plus souvent doit probablement être Rage, et ceci principalement parce que nous collaborons fréquemment.
– C'est normal de vouloir passer du temps avec une personne qu'on aime ! Et je t'aime ! Au moins à 90 sur une échelle de 100, à ce point je peux tuer qui tu veux !...
Les discours sur l'amour de Platine n'avaient jamais réellement parut bien sensés aux yeux d'U.A… Mais cette explication lui semblât raisonnable. Après tout il avait constaté que les gens aimaient entretenir leurs liens sociaux, pour la plupart, et que cela favorisait l'attachement. Vu que Platine harcelait certains autres gardiens d'une manière similaire, cette situation était relativement logique. Même si cela lui faisait perdre du temps d'un certain point de vue, il était prêt à l'accepter.
  Quand ils débutèrent, c'est cette fois U.A qui passa à l'offensive. Platine était physique supérieure à lui, ainsi, si elle le saisissait, elle l'emportait… Mais ses réflexes lents lui permirent de rapidement lui passer le couteau sous la gorge à travers son angle mort aisément exploitable, ceci avant qu'elle ne se retourne vers lui. Dans ce type de combat simulé, il était très avantagé… Mais en combat à mort sa victoire n'était pas sure. Il lui faudrait très probablement la décapiter d'une attaque, ce qui demandait bien plus de recul dans le coup, et n'était pas possible à la dague de toute façon. En l'occurrence, il ne s'inquiétait pas du tout pour Platine, pas comme il pouvait le faire pour Sana. U.A se contenta de corriger de nouveau sa posture et de lui recommander de se soucier avant tout des coups fatals, avant de répéter quelques autres sessions d'entraînement. Elle ne gagna pas une fois, mais cela était suffisant pour aujourd'hui.
– Eeh, U.A, dit Platine avec un grand sourire plein de curiosité, l'exercice fini. Pourquoi veux tu voir Sana en privé ?
– C'est en rapport avec une décision du Sum Nimium… Qui pourrait grandement la concerner. Qui plus est, elle reste une figure importante de notre organisme, ceci me paraît donc raisonnable. J'éviterais de donner des détails pour l'instant, en revanche. Tout ce que j'espère c'est que cela ne la heurtera pas trop… Par ailleurs, quand je lui ai demandé cette conversation, elle m'a semblé se comporter assez bizarrement. Je crains de l'avoir par mégarde intimidée… Pourquoi ris tu ?
– Ooh, pouffa t-elle de rire, une main sur ses lèvres. Tu as beaucoup à apprendre, professeur U.A...
– … ?
Alors qu'elle était d'habitude honnête à un point qui dépassait même les pires moments d'incompréhension de l'homme lézard, elle le regardait cette fois avec une certaine mesquinerie en se moquant de son ignorance à lui…. En effet, malgré ce que disait Lektor, s'il ne comprenait à rien à ceci il devait très probablement avoir encore beaucoup à apprendre.
*

U.A était, sans surprise, en avance, autour des portes extérieures de la forteresse des gardiens de fer alors que la nuit commençait à tomber. D'ici, il avait une excellente vue sur le reste des montagnes de la bordure Tarodienne. Ce lieu était réellement isolé du reste de Nurenuil, ce qui se conformait à la revendication des gardiens de ne faire partie d'aucun état… U.A lui même était bien loin d'être familier avec les nurenuiliens, contrairement à Sana qui elle s'était toujours activement intéressée aux différentes cultures. Oui, quand bien même il avait une dizaine d'années de plus, elle était bien plus mature que lui sur certains aspects… Le verdict de Lektor était-il réellement sage ? Même si ses pensées divaguaient, elle revenaient toutes inévitablement à ce même point.
Sana finit par arriver, ou plutôt accourir, essoufflée. Malgré l'effort physique, elle s'efforçait de ne respirer que par le nez ; U.A savait que c'était pour éviter de révéler à tout prix l'absence de langue dans sa bouche. Il aurait voulu dire que cela était insignifiant à ses yeux, et qu'il trouvait même ce comportement absurde, cependant il l'avait déjà fait. Il savait donc également à quel point Sana trouvait cela humiliant de révéler qu'elle était « difforme », un sentiment que l'homme lézard n'avait jamais ressenti de sa vie pour des raisons assez évidentes. Pour autant, jamais elle n'avait été dérangée par les difformités d'autrui : n'était-ce pas contradictoire ?
« Excuses moi, je suis un peu en retard ! » Écrivit-elle avant de se courber d'excuse, son corps faisant voler en éclat les lettres lumineuses qu'elle avait invoqué devant elle. U.A remarqua qu'elle n'était pas dans sa tenue habituelle ; il n'avait pas beaucoup d'intérêt envers la chose mais à l'aspect du tissu et aux bijoux, tout comme à l'aspect de sa peau et de ses cheveux, c'était le genre d'habillement qu'elle portait pour les rendez vous avec certains membres de la haute société de divers pays. U.A savait qu'il ne mettait guère les gens à leur aise, mais était-ce nécessaire d'être si formel ?
« Et si nous marchions un peu ? » Ajouta t-elle « J'ai passé la journée auprès d'un bureau, cela me ferait grand bien. »
U.A n'avait bien entendu rien contre, lui même prenait plaisir à se décontracter ainsi sans tâche à accomplir. Même s'il était d'habitude seul. Ils descendirent tout deux, s'éloignant des torches de la forteresse, arpentant les passages escarpés et légèrement feuillus de la montagne. Il n'oublia pas le but de cette conversation.
– J'ai eu hier une conversation avec le Sum Nimium. Il voulait me désigner comme son remplaçant, au cas où il lui arriverait quelque chose.
Sana, qui marchait devant, fit volte face vers U.A, l'expression étonnée, mais tout à fait sérieuse. Elle continuait d'avancer en marche arrière, sans faire attention à autre chose qu'U.A à première vue.
« Et tu as accepté ? »
– Pas encore. Mais j'ai l'intention de refuser.
Sana, croisant les bras, fut un instant songeuse. Avant d'exprimer une mine agacée en haussant ses épaules.
« Il m'estime donc incapable d'assumer ça toute seule. »
– C'est bien le cas. Mais gérer les gardiens de fer n'est pas une tâche adaptée à une seule personne, je comprends la nécessité de séparer leader et administrateur.
« Tu as raison. » Finit-elle par écrire, avec un sourire de résignation. « J'ai déjà du mal à gérer mon travail actuel et profiter de mon temps libre… Mais alors, pourquoi voudrais tu refuser ? »
– Nous possédons tous des facultés très différentes. Je ne crois pas être adapté à diriger.
«  On dirait une mauvaise excuse. Si tu es juste trop fainéant pour assumer ces responsabilités, dis le tout de suite ! » Répliqua t-elle avec l'expression d'une colère soudaine, avant de trébucher sur les reliefs escarpés, bien incapable de prendre garde à l'irrégularité du terrain tout en fixant U.A. Alors qu'elle chutait en arrière, ce dernier la rattrapa, la saisissant par la main avant de la ramener contre lui.
– Si tu manques tant de prudence, tu devrais suivre mes conseils avec bien plus d'attention.
Sana, semblant à nouveau légèrement troublée, resta un instant près de U.A, sa poitrine touchant la sienne, avant de finalement reculer dans un léger raclement de gorge et d'indiquer de son index un relief rocailleux où ils pourraient s'asseoir pour converser. Il lui aurait suffit de regarder devant-elle, mais cela importait au final peu à U.A.
« Je peux te donner des conseils moi aussi, tu le sais ? » Reprit-elle une fois qu'ils furent assis. « Les nobles naissent pour régner, mais entre nous il n'y a pas de pareille caste. Tu peux apprendre à devenir un bon meneur si tu complète les qualités que tu as déjà par d'autres, j'en suis convaincue. Ca me ferait immensément plaisir de te venir en aide tu sais ? Tu es volontaire pour me donner ces cours, et en plus d'être un peu ingrate, je ne t'aide en rien…
  Je m'en sens un peu coupable. »
– Admettons que je puisse apprendre à mener, Sana. Il y a des individus qui apprendraient certainement cela mieux encore. J'ai l'impression que c'est un choix qui s'est fait hâtivement, je ne connais même pas d'autres candidat.
« On ne dirait peut-être pas, mais parmi ceux qu'on a sorti des laboratoires de Jigen, tu es peut-être de loin l'un de ceux ayant le plus grandi depuis cet enfer. Comment penses tu être agent de troisième niveau ? Certes, nous pourrions prendre un humain normal comme il y en a pas mal à présent chez nous, mais il échouerait à comprendre véritablement l'organisation et à se faire comprendre de certains de ses membres. A comprendre ceux que l'on aide. Nous ne faisons pas qu'exterminer les parias, nous les aidons chaque fois que nous le pouvons, c'est ce qui nous différencie de paladins ou d'inquisiteurs. Je pense que les défauts caractérisent ce que nous sommes encore mieux que nos qualités, et je pense que c'est pour tes défauts que tu es le candidat idéal. Alors la seule véritable question c'est : est-ce que tu veux porter ce rôle, ou non ? »
– … Je ne sais pas.
Agacée, Sana se leva pour donner de faibles coups de poings sur le torse d'U.A. Non, c'était plus de l'exaspération que de l'agacement. Sans ouvrir la bouche, elle exprima un cri de rage.
« Si tu ne sais pas, je vais savoir à ta place ! Je veux que tu sois désigné comme leader remplaçant ! Je t'y force ! Quand tu es forcé dans une situation, c'est là que tu sais ce que tu désires vraiment. Je vais faire de ta vie un enfer jusqu'à ce que tu acceptes, alors protestes donc ! »
– Si je ne suis pas dérangé par l'idée d'être forcé dans ce rôle, je serais volontaire ? Cela ne me semble pas correct, cependant je ne vois aucune raison de protester… Non, disons que je n'ai aucun sentiment qui ne m'en donne envie. Mais c'est insuffisant. Qu'en penses tu réellement ?
Sana se calma en se rasseyant, esquissant un sourire le regard tourné vers U.A. Il ne se sentait véritablement pas capable de prendre cette décision seul, c'était là la raison pour laquelle il avait voulu lui parler en premier lieu ; il était persuadé qu'elle saisissait certaines choses mieux qu'il ne le ferait jamais.
« Je n'ai pas envie d'envisager un scénario sans Lektor… Personne ne le veut. Mais cela reste une possibilité, malheureusement ; il est considérablement fort, mais non immortel. »
Elle joua un instant avec ses doigts entremêlés, comme en proie à une hésitation.
« Si cela arrive, je ne peux démentir que j'aurais besoin de quelqu'un auprès de moi. Je n'en aurais pas la force autrement… Et j'aimerais que ce quelqu'un, ce soit toi. Tu as pas mal de défauts, mais c'est pour ces défauts que je t'aime. »
  Un silence s'installa durant lequel U.A resta pensif. Il ne savait pas s'il était bien sage de mêler un parti tierce à cela, peut-être s'était il trompé… Cependant il se sentait, sans savoir exactement pourquoi, soulagé. Dans cet instant sans bruit, Sana passa ses bras autour de lui, l'étreignant en fermant les yeux. U.A n'était pas particulièrement dérangé. Ce moment s'allongea, et au fil de sa réflexion, ressassant en lui les mots de Sana, il finit par considérer l'idée sous une autre lumière. Il estimait toujours qu'il existait certainement plus qualifié que lui, mais porter cette responsabilité le mettait à présent bien moins mal à l'aise. Il avait l'impression de manquer cruellement d'objectivité quand à cela.
  Mais il fut tiré de cette pensée par quelque chose de moins compréhensible encore. Toujours collée à lui, Sana, qui passait une main sur le cou de l'homme lézard, posa un instant ses lèvres sur le museau d'U.A, faisant place à un silence plus imposant encore. Le regard incompréhensif d'U.A sembla la ramener à la réalité, et, tremblant comme une feuille, elle se retrouvait à nouveau dans un état de gêne et d'épouvante semblable à celui de cet après midi.
« C'était trop tôt ? » Écrivit-elle dans des lettres hâtives, déformées, et difficilement lisibles. Elle semblait prête à défaillir, et, alors que ses mains s'apprêtaient à écrire autre chose, elle se leva brutalement, avant de courir sans se retourner, semblant même utiliser le vent pour la pousser plus loin encore. En quelque instant, U.A était dorénavant tout seul dans la nuit. Seul et surtout perdu.
*

U.A poussa les portes du bureau du Sum Nimium, sachant très bien que ce dernier y serait présent, l'attendant. Lektor, en effet, était installé de manière nonchalante dans son fauteuil, le visage reposant sur son poing droit, alors qu'il avait le regard plongé dans un livre particulièrement massif. Il leva ses yeux d'or immédiatement, lui adressant un sourire alors que les cinq doigts de sa main droite tapotaient contre le solide bois du bureau.
– Tu m'as l'air d'avoir pris une décision, dit-il avec satisfaction, tandis que l'homme lézard avançait jusqu'à se retrouver debout face au chef des gardiens de fer. Il ne prit pas la peine de prendre un des sièges disposés sur les côtés de la grande salle pour s'asseoir.
– C'est le cas. Cependant, j'ai moi même une question à vous poser avant cela, répondit-il vivement, et avec un fond de sécheresse dans la voix.
Suis-je un candidat idéal parce que je ne comprends pas l'amour ?
Lektor haussa un sourcil, frappé de silence un instant, avant que ses lèvres ne soulevèrent en un incontrôlable rictus qui devint par la suite un fou rire sincère. Il dû remonter ses lunettes de ses doigts.
– Oh bon sang, souffla t-il, reprenant sa respiration. Penses tu donc que je sois machiavélique à ce point ? Mon pauvre, qu'est-ce qui t'as fait passer cette idée par la tête ? Platine t'as retourné le cerveau avec son charabia, ou bien…
A voir son allure moqueuse, il avait en vérité parfaitement deviné ce qui était en question.
– Je m'étais demandé si vous m'aviez choisi non pas pour ce que j'avais, mais ce qui  me manquait. Peut-être estimiez vous que je n'avais pas certaines faiblesses que Sana avait.
– L'Amour n'est pas une faiblesse. La petite Platine a des idées loufoques mais non sans un fond de vérité : il est ce qui met en mouvement un bon nombre de nos actions. Je ne suis pas idéaliste, parce que certaines choses ont une priorité absolue sur les sentiments, mais dire que l'amour c'est une faiblesse… C'est peut-être tout simplement admettre la sienne.
Et si tu n'y comprenais réellement rien tu ne te poserais peut-être pas ces questions. Alors, es tu dérangé par les sentiments de Sana ? Dis moi, je brûle d'impatience !
Il jubilait comme un enfant, visiblement très amusé par la situation.
– Ne vous moquez pas de cela je vous prie. Jamais je n'ai fais de différence entre elle et bien d'autres gardien, mais cela n'est pas réciproque… Le déséquilibre de ce rapport semble me mettre dans ce que je qualifierais comme une position inconfortable.
– Bien, bien, n'en parlons plus, il y a matière plus importante pour l'instant... Alors U.A, acceptes tu ma proposition, ou non ?
– Il y a plus de dix ans, j'ai juré de tout faire pour aider chacun des membres de ce refuge. Je pense pouvoir considérer que, dans la pire des situations, prendre la direction des gardiens s'inscrirait dans cette promesse. J'ai bien entendu, et réfléchi les raisons qui vous poussaient à ce choix, ainsi, j'accepte. Cependant… J'attends de vous que vous ne vous relâchiez pas pour autant, Sum Nimium.
– Allons bon, fit-il en s'appuyant dans son fauteuil. Crois moi U.A, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que jamais tu ne t'asseyes à ma place. Jusqu'au bout.
DALOKA
DALOKA
Grand Cracheur d'encre

Messages : 2271
Date d'inscription : 01/12/2010
Age : 27
Localisation : Près de toi, toujours très près de toi 8D...

Feuille de personnage
Nom des personnages: TROP

Revenir en haut Aller en bas

One Shot du Daloka des forêts - Page 2 Empty Re: One Shot du Daloka des forêts

Message par DALOKA Dim 3 Juin - 20:46

Antagoniste

Un golem ne se faisait pas en un jour. C'était une sorte de dicton, un savoir élémentaire de tout golemancien à enseigner aux novices: contrairement à beaucoup d'autres magies, la golemancie dans son usage pratique demandait immensément d'application. L'enchantement en lui même se révélait être une tâche mineure face à la conception du golem en lui même, qui pouvait prendre en elle même une à plusieurs années. Un travail autant coûteux en temps qu'en moyen par ailleurs, puisque certaines de ces créations contenaient des matériaux précieux…
Malgré tout ces obstacles devant le travail d'un golemancien cependant, l'idée, ou même l'inspiration, était bien le plus effrayant pour Maria Limstella. Peut-être était-ce une particularité partagée avec son frère, mais façonner un golem avait toujours été pour elle rien de moins qu'une activité artistique en plus de thaumaturgique. Et usuellement, son imagination bien nourrie lui apportait bien vite une image en tête, les limites techniques seules la stoppant.
Afin de ne déranger en rien son processus de pensée, l'atelier de Maria Limstella était toujours dans un ordre exemplaire qui méritait amplement les compliments de ses collègues. Malgré l'espace plus que raisonnable que lui permettaient ses moyens, une large fenêtre autorisant même une luminosité idéale, elle avait vite fait de le remplir de ses étagères de parchemins et de quelques livres ainsi que de tout ce qui lui était nécessaire à son travail. Maria divisait les lieux de ce laboratoire en environnements précis : bureau, table de croquis et de runes sur laquelle étaient étalées un bon nombre de feuilles déjà remplies, une zone où entreposer l'essentiel du matériel, et une zone d'assemblage où se trouvait la dalle ronde vouée au tracé des cercles magiques nécessaires aux rituels et enchantements. Cette rigueur démontrait bien qu'elle n'était pas devenue ce qu'elle était uniquement par chance ou par statut, et sa réputation avait d'autant plus gonflée depuis qu'elle était une des mages officiellement en contact avec les êtres magiques qu'étaient les titans.
Cependant… Même si elle était supposée créer un corps pour un de ces esprits, rien n'avait encore abouti. Maria ne parvenait véritablement pas à faire avancer son travail, pour une raison qui cessait depuis longtemps d'être un mystère. La mage ne créait pas seulement un golem, elle créait un corps pour autrui, une enveloppe dans lequel un être devrait vivre. Cela avait autrement plus de poids que tout ce qu'elle avait pu envisager auparavant, et l'empêchait total de se jeter dans cette création à corps perdu… Maria soupira en achevant un autre croquis qui ne lui serait sans aucun doute d'aucune utilité lui aussi. Elle savait très bien qu'une année seulement, car cela était fort peu dans la vie d'un mage, s'était écoulée depuis, mais ne pouvait s'empêcher d'être emplie de frustration en songeant au cas de Lotus, un titan qui avait été réalisé avec une insultante aisance selon elle, partiellement à l'aide de chairs. Une chose que permettait l'association entre mages humains et naosiens. Qui plus est, avec la naissance de Lothbrok, elle avait été en quelque sorte déjà dépassée par un membre de sa famille… Même post mortem.
Comment faire un corps idéal, ou du moins qui conviendrait parfaitement à son porteur ? Sans même connaître ce dernier en plus… Maria ne savait pas sur quel critère insister, bien qu'elle n'avait certainement aucune envie de faire un golem de combat. Alan et Lise étaient suffisants en la matière, et cela ne l'intéressait aucunement dans ce cadre là.
Par les dieux. Est-ce qu'une mère serait dans un tel état d'hésitation, si elle avait quelconque pouvoir sur l'apparence de l'enfant qu'elle portait ?

Sa réflexion lui avait coupée toute envie de retenter un croquis… Et l'heure avait déjà dépassé midi, qui plus est. Peut-être était-ce une bonne idée de prendre à l'extérieur son déjeuner, et une conversation avec un collègue l'éclairerait peut-être. Cette idée finalement choisie, Maria s'habilla de son uniforme gris et noir de mage et se coiffa en disposant cette couette sur le côté droit de sa tête qui lui était comme une signature, avant de sortir… Cependant, quand son nez pointa à l'extérieur de ses appartements, une rencontre inattendue déjà se profilait déjà sur le chemin pavé, à quelques dizaines de mètres dans le paysage citadin. Elle reconnaîtrait cette personne aisément, même à cette distance… Maria ne savait nullement si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle, mais la coïncidence avec les pensées qui l'habitaient semblait presque trop grande…
Parce que le nom de la femme aux longs cheveux blancs qui s'approchait à chaque instant était Limstella Luciane Boldgate. Nulle autre que sa mère.

Quoi de plus de naturel pour une mère de rendre visite à sa fille prodigieuse. C'est certainement ce qu'elle aurait répondu si Maria lui avait demandé les raisons de sa visite, ce que la jeune femme n'aurait jamais osé faire. Demander une chose pareille était chez les Boldgate un signe d'irrespect total. Cependant, cela ne changeait pas le fait que Limstella Luciane n'allait normalement pas rendre visite à sa fille directement dans ses appartements. Cela imposa un certain changement de programme : Maria était dorénavant nez à nez avec sa mère, assise à la table d'un restaurant d'Axaques bien plus luxueux qu'elle n'en avait l'habitude malgré son propre budget. Ceci sans doute parce qu'elle vivait partiellement ici. La jeune mage n'aurait pas pu dire qu'une telle situation la dérangeait, après, elle aimait et admirait sa mère, mais elle devait admettre malgré tout qu'être seule avec cette femme d'un sérieux tranchant mettrait n'importe quel individu sous pression.
– Tu dois être très occupée en ce moment, fit la femme aux cheveux blancs, saisissant son couteau et en observant la surface de manière méticuleuse, comme pour tenter de repérer la moindre impureté. J'espère néanmoins que tu continues à faire attention à ton frère.
– Bien sur. Je ne suis jamais bien loin d'Alfred, et il est adulte à présent.
– Adulte mais toujours extrêmement sensible. Je n'ai pas à définir ce que mon enfant fait de sa magie, mais peu importe la voie que l'on peut choisir l'on est forcément exposé aux dangers ou aux jalousies. Il a besoin de garder cela en tête.
– Vous n'avez pas tout à fait tort… Mais ceci mis à part, qu'est-ce qui vous amène à Axaques ? Si c'était uniquement pour me voir, j'imagine que j'en aurais été prévenue…
– Une convocation de Balthazar Iraeuz, prononça t-elle le nom de l'Archimage doyen de la cité des mages, faisant pivoter son couteau en passant légèrement son doigt sur la lame. L'Archimage Zwillinge n'a plus donné signe de présence depuis un an, et Esteban Adamas qui la connaît bien dit qu'il pourrait lui arriver malheur… Ainsi, j'ai été désignée comme la prochaine Archimage directrice du départements des artefacts.
Elle ne faisait preuve ni de surprise, ni d'émotion, mais Maria était silencieusement admirative. Voilà qui était bien digne de sa mère ! Elle était après tout la meilleure golemancienne d'Axaques, et peut-être bien du monde entier. Cette dernière ne fit que reposer le couteau à coté de son assiette, les deux coudes à présent sur la table nappée de velours.
– J'ai toujours été la principale concurrente à Zwillinge pour ce titre, répondit-elle comme pour appuyer son manque d'étonnement face à la chose. Mais contrairement à elle je n'aime pas assez la rivalité… J'imagine qu'elle serait furieuse à mon égard si je lui avais volé cette place. Force est de constater de toute façon qu'elle méritait amplement le titre… Jusqu'à maintenant. Je ne sais pas exactement ce qu'elle a fait, mais cela n'a pas plu à ses confrères.
Mais parlons de toi ma fille, tu n'es pas en reste après tout. Je tiens à te dire que je suis extrêmement fière de ton implication avec les projets liés aux titans, tu as été exemplaire quand nous avons réactivé le golem de Ragnar Albert. Comment avancent donc tes recherches ?
Limstella Luciane avait visé un point sensible avec la précision d'un archer d'élite. Elle ne pouvait rien savoir de son blocage créatif, cependant, peut-être parce qu'elle restait après tout en toute circonstance sa mère, elle avait fait preuve d'une prescience à nouveau presque effrayante. Ou peut-être Maria échouait absolument à dissimuler cela. Les serveurs apportèrent à ce moment les plats chauds, et Limstella s'évertua bien vite à découper soigneusement la viande, constatant avec un fin sourire que le diagnostic qu'elle avait fait de l'objet était correct en voyant l'aisance avec laquelle on coupait la chair saignante. Sa mère avait toujours eu ce regard particulier pour les objets, et trouvé une certaine satisfaction à voir un outil accomplir entièrement la tâche pour laquelle il avait été construit.
– J'échoue à trouver quel corps serait idéal en premier lieu, déclara Maria avec un air hésitant. Je ne peux m'empêcher de penser aux conséquences s'il ne convient pas. Peut-être même que s'il ne convient pas il ne sera au final jamais habité.
– Tu prends en considération les sentiments de ce qui n'est pas encore né ? Répondit Limstella après quelques bouchées de viande consommées avec appétit. C'est admirable de ta part, mais peut-être mal considéré Maria. Les humains ne choisissent pas leur corps non plus, et ils commencent à forger une partie de leur personnalité avant même qu'ils n'aient le temps de développer la hantise de ce dernier. Certes les titans ne sont pas des enfants, mais le cas de Lothbrok indique bien selon moi que l'esprit du titan est en partie façonné par son corps. Je crois qu'il est tout bonnement impossible de prédire à l'avance si l'entité s'y plaira ou non, et que la question ne devrait pas empêcher l'avancement de ton travail.
Tout objet a une fonction, et tout corps est un objet. Ainsi, quand je créé un golem, je caractérise tout d'abord mes objectifs, qui ont besoin d'être clairs et non hypothétiques, avant de créer le cheminement idéal pour aboutir à ce dernier. C'est de cette manière que les formes les plus efficaces sont obtenues.
– Donc je devrais me demander à quoi servira ce corps ?…
– Quelle est sa fonction précise, en effet. De cette manière, tu pourras exclure de nombreuses idées et te focaliser sur l'essentiel. Bien entendu, c'est également un véritable travail et non un exercice ou une expérience : tu devrais prendre en considération ce en quoi tu excelles.
Et Maria excellait dans l'imitation de l'anatomie humaine. La plupart de ses projets étaient humanoïdes, et certains golemanciens reprochaient le manque de robustesse de ses créations dans leur structure. Néanmoins, copier l'humain avait toujours été dans son idéal… Songeant à cela, Maria attaqua également son assiette en plein milieu de sa réflexion, afin d'éviter que le tout ne refroidisse. Son regard se perdit quelques instants néanmoins sur le contrebas du balcon où était installée leur table, et plus exactement vers les gens qui allaient et venaient sur les pavés, diverses expressions aux yeux et à la bouche. Quelle était la fonction qu'elle voulait à attribuer à ce corps ?… La chose devenait à présent plus claire.
C'était un corps pour vivre. Pas pour servir ou se battre, mais pour vivre.
Mais ses productions étaient imparfaites. Il lui faudrait quelque chose apte à se fondre dans cette foule… Et que lui manquait-il alors… L'exactitude de la proportion, oui, cela allait sans dire, mais ce n'était qu'un détail mineur qu'elle respectait déjà. Non, l'essentiel et qui n'était pas là, était l'expression du visage. Mais recréer un visage, apte à s'animer et imiter les expressions humaines, cela lui demanderait un travail monstrueux… Il lui faudrait un modèle. A ce moment là, Maria manqua d'avaler de travers, avant de boire entièrement son verre d'eau.
– J'ai trouvé mère ! S'exclama t-elle joyeusement, reposant le verre sur la table avec force. Si je veux créer un corps pour vivre parmi nous, je n'ai qu'à copier celui d'un humain… Celui que je connais le mieux et que je peux observer à loisir, le mien !
– Hm… Songea avec hésitation sa mère, déplaçant une de ses longues mèches blanches. Ce n'est pas bête. C'est même plutôt sensé, pour ce qui est de l'aspect pratique… Néanmoins, je ne saurais te recommander d'entreprendre cela.
– Pourquoi ? Exprima Maria avec une déception désespérée. Elle était persuadée d'avoir mis le doigt sur quelque chose d'intéressant.
– Tu ne serais pas la première a avoir tenté une réplique de toi même. Bien entendu, si tu as l'intention d'aller aussi loin, la tienne sera incomparable à tout ce qui a été fait auparavant en matière de golem… C'est une raison de plus pour te mettre en garde. Il y a quelque chose de malsain dans la modélisation d'un golem à partir de soi même. Le résultat pourrait véritablement t'horrifier.
– Que devrais-je faire dans ce cas ? Utiliser un cobaye serait éprouvant…
– Tout à fait. Mais je ne t'oblige en rien : tu es une mage adulte et indépendante. Si c'est ce que tu désires faire, alors fait le, de plus ce serait mentir que de te dire que je ne ressens aucune excitation à l'idée d'un tel projet. Seulement nous devons, précisément parce que nous sommes des mages, être conscients des conséquences de l'usage de notre art… Je sais très bien que certains ici admirent Arond Vinnairse, parce j'ai été vantée toute ma vie pour être sa nièce, cependant je refuse de le considérer comme un modèle en sachant l'abomination qu'il est.
Maria aussi était fréquemment complimentée pour sa filiation à l'archimage renégat, mais jamais elle n'en avait tenu rigueur, même si il était certain qu'elle préférait être comparée à sa mère ou à d'autres membres prestigieux des Boldgates… Ayant déjà presque fini son repas, Limstella s'essuya les lèvres avec un un sourire amer.
– Je ne lui pardonnerai pas d'avoir tué mon père, déclara t-elle. Et tout le monde a toujours semblé l'oublier…
En écoutant cette phrase pleine de rancune, la jeune fille réalisa qu'il n'y avait probablement pas de mage détestant plus Arond Vinnairse que sa mère. Pour cette raison, Limstella Luciane avait toujours rejeté les mages qui avaient offert non juste leur esprit mais aussi leur cœur entier à la magie. Une source de conflit avec l'archimage Zwillinge, qui embrassait les idées contraires.
– Dans tout les cas, reprit-elle  si tu as l'intention de porter ce projet jusqu'au bout malgré mon avertissement, tu ne pourras certainement pas créer un visage animé avec tes matériaux habituels, sauf si tu as l'intention de fabriquer une monstruosité irritant le regard. Qu'as tu l'intention de faire quant à cela ?
– Zut… C'est bien vrai. Peut-être que cela n'est même pas réalisable avec les moyens actuels nous disposons…
– Je crois pourtant que nos parents Vinnairses ont développé des matériaux très intéressants sur le projet abandonné des bêtes alchimiques, répliqua Limstella, les coins de ses lèvres se soulevant légèrement de nouveau. Notamment un métal changeforme et réactif.
– Mais… Oui ! Pourquoi n'y ai-je pas pensé plutôt ? Si je lui formule une demande, je suis sur que le comte y répondra ! Nous sommes cousins après tout… Mais pourquoi me dire cela ? N'étiez vous que peu engagée à m'encourager ?
– Damoc Vinnairse a perdu sa petite sœur dans d'horribles circonstances, à cause de son grand-père. Nous partageons souvent les mêmes opinions. Il a beau être un homme d'une grande bonté, il ne t'aidera que s'il ne voit rien d'assez malsain dans ton projet. Je vous ai peut-être interdit beaucoup de choses par le passé, à toi et à ton frère, mais je te crois assez mature pour affronter les conséquences de tes actes. Néanmoins !…
Sous l'éclat autoritaire de sa mère, Maria rentra sa tête dans ses épaules, s'attendant à une forte réprimande soudaine…
– Ton plat va être froid, et c'est manquer de respect au restaurateur que de le laisser ainsi. Tu ferais bien de continuer à manger.

Ces mots échangés et le repas achevé, Maria dû dire au revoir à Limstella qui était déjà appelée en dehors de la cité, mais ce ne fut qu'encore plus fermement convaincue que sa mère était l'une des plus grandes mages du pays. Il fallait maintenant que la jeune magicienne retourne à son travail sans plus tarder, si elle voulait espérer l'égaler un jour.
En premier lieu, il lui fallait entrer en contact avec son cousin, ce pourquoi elle s'installa sur son bureau afin d'écrire une lettre qui serait en destination du comté Vinnairse. Elle fut la plus claire et la plus honnête possible quand à ses intentions, et n'hésita pas à s'étaler en quelques explications sur la nature des titans dans une tentative de captiver le destinataire. Damoc Vinnairse était quelqu'un de compréhensif, et elle était certaine de trouver les mots pour le convaincre de l'importance du projet, non de seulement de manière générale, mais aussi par rapport à elle même, car les dieux seuls savaient combien tout cela lui tenait à cœur.
Cette lettre, dans laquelle elle avait placé toute son excitation, finalisée, Maria avait encore de nombreuses heures à dépenser dans sa journée… Ce qui ne signifiait qu'une chose : son travail commençait véritablement dès maintenant !

Afin de commencer ses croquis, Maria commença à prendre ses proportions exactes. Ce n'était pas la première fois, puisqu'elle l'avait déjà fait afin de prendre des références anatomiques pour certains croquis de golems, qui étaient tous basés sur la structure humaine depuis son entrée dans le troisième rang. Cependant cette fois, ce fut avec bien plus d'attention : elle comptait après tout se ''répliquer''. Elle commença également à faire des dessins détaillés de son propre visage et de plusieurs différentes expressions. Cela avait un côté amusant, mais Maria ne pouvait en aucun cas nier l'étrangeté de la chose… Est-ce qu'il y avait quelque chose de narcissique dans cet acte ? Si elle était magicienne ou alchimiste dans un conte pour enfant, elle risquait d'être punie à la fin uniquement dans le but de servir de morale à l'histoire. Et Maria avait toujours détesté ce genre de conte. Cela devenait comme un défi de prouver qu'elle était capable de faire fonctionner cette chose et de se tenir victorieuse à la fin du récit.
Quand elle reçut une réponse du comté Vinnairse, ses études avaient déjà bien avancées. Non seulement sa tableau à croquis croulait sur les dessins d'elle même, mais elle avait poussé le vice jusqu'à créer un moule pour réaliser une sculpture de son propre visage. Maria commença réellement à  trouver tout cela perturbant quand elle finit par se dire que n'importe qui qui serait entré dans son atelier dans son état actuel se serait posé de sérieuses questions quand à son état mental… Non pas que la quantité d'ouvrages qu'elle avait emprunté sur les muscles faciaux arrangeait grand-chose à l'affaire.
Cependant Damoc Vinnairse avait accueilli son idée à bras ouverts ! Il semblait enjoué de voir que Maria travaillait à trouver des usages non guerriers à la golemancie, lui qui méprisait la violence. Dans sa lettre, il l'informa sur le projet finalisé par son père, celui de la bête alchimique Aurium. Depuis le temps, les mages au service de la famille Vinnairse avaient développé des variantes, et il était tout à fait possible d'en changer la coloration et la texture, même si l'objet était originellement métallique. Il acceptait donc de collaborer, et un échantillon ne devrait pas tarder à arriver chez Maria. La chance était de son côté, et Maria ne pouvait être plus comblée de joie !

Quatre mois s'étaient écoulés depuis qu'elle avait reçu le matériel des Vinnairses, et Maria ne voyait pas encore le bout de son travail. Construire et assembler le corps du pantin était facile, car cela n'était guère différent de ses précédents golems, d'autant plus qu'elle avait demandé à son frère Alfred Francis de contribuer à cela, sachant qu'il était bon artisan, économisant ainsi énormément de temps. Elle n'avait d'abord pas l'intention de le faire participer à son étrange projet, afin d'éviter des remarques sottes, mais le jeu en valut la chandelle, la mécanique de ce golem étant étudiée avec excellence… Cependant, quant il s'agissait de parvenir à créer un enchantement composé suffisamment complexe pour reproduire correctement son visage et ses expressions… Maria avait réellement l'impression de s'attaquer à quelque chose qui ne correspondait en rien à son niveau de magie. Son frère ne pouvait pas l'aider et à vrai dire même ses professeurs n'y comprenaient pas grand-chose quand elle en était venue à demander leur aide… Ah ! Si seulement l'archimage Zwillinge était là ! Elle avait toujours le génie pour les projets les plus fous. Maria s'était habituée à dormir peu, elle qui prenait scrupuleusement soin de sa santé. Les recherches avaient avalé ses exercices physiques quotidien, et quand elle parvenait à trouver le sommeil, elle n'était capable que de rêver de parties de corps de pantins imitant son physique ainsi que de son visage. Son propre reflet se réfléchissant dans d'autres miroirs et ceci à l'infini. Des visions pour le moins glauques, elle ne pouvait plus le nier. S'être observée sous tout angle et sous toute expression devant le grand miroir qu'elle avait installé dans son atelier avait réellement un effet pervers, mais elle ne pouvait pas se permettre de renoncer. Ce projet était capable de dépasser cette satanée magie de chair naosienne, elle en était certaine !

Après deux mois de plus, elle parvint enfin à des résultats potables. Afin de mieux comprendre comment fonctionnait la matière Aurium, elle avait tenté de la maîtriser comme le faisait Mercurius Vinnairse, qui avait hérité du premier modèle complet utilisé jadis par Durand, son grand père. Non pas avec un enchantement, mais avec sa propre magie. Elle se sentit fort stupide de ne pas avoir fait ça en premier lieu : cette matière magique était contre toute attente aisée à manipuler. Avec beaucoup de dévouement et de patience, l'on pouvait obtenir des formes complexes, et elle avait enfin réussit à imiter une couleur, une texture et une souplesse proche de la chair humaine. En retenant ces enseignements, la disposition des enchantements fut un peu moins tortueuse. Elle finit par obtenir un visage avec lequel elle produit de nombreux tests. Après avoir refaçonné ce dernier entièrement encore des dizaines de fois, Maria tomba finalement sur un résultat fulgurant et estima que la pièce maîtresse de son chef d'œuvre était finalement prête.
Le corps creux, à l'apparence de pantin articulé, avait été entièrement recouvert de la matière miracle -elle en avait réclamé des quantités supplémentaires-, voilant les articulations mécaniques qui aidaient le tout à se soutenir correctement. La tête était naturellement le plus complexe : elle fournit au corps de golem une mâchoire ainsi que des dents en ivoire, imitant cette fois le crâne humain, avant d'encore une fois recouvrir le tout d'aurium. Et le plus gros du travail, pour ce qui était du corps en tout cas, était fait. L'illusion était très bonne, même les orbites encore vides. Bien entendu, le corps nu était dénué de choses comme des organes génitaux ou de mamelles -et pourquoi en aurait-il besoin de toute façon ?-, et en observant correctement, on pouvait voir que cette peau n'en était pas une. Impossible de reproduire des détails comme la pilosité ou des aspects trop pointus de l'épiderme humain. L'œil avisé ne serait pas trompé, mais d'autres ne s'interrogeraient guère même en remarquant ces petites absences. Le manque de chaleur du corps était peut-être le point qui démarquait le plus sa poupée, et on pouvait ajouter à cela une myriade de manques n'appartenant eux aussi pas au domaine du visuel comme l'odeur par exemple, cependant Maria n'avait aucune idée de comment insérer cela dans un golem déjà bien trop complexe. Ce qu'elle venait de faire dépassait déjà l'entendement à vrai dire, et elle le pensait sans se jeter des fleurs.
Afin de finaliser le tout, Maria lui ajouta une chevelure blanche, et lui façonna deux yeux bleus… Et le résultat était bluffant. Peut-être trop. C'était comme si elle se regardait dans un miroir -et elle l'avait assez fait ces derniers temps pour se souvenir de cette exacte sensation-. Bien entendu, elle s'était toujours considérée comme une beauté même sans s'en vanter excessivement, alors cela n'était en rien un échec. Elle aurait dû sauter au plafond devant la quasi perfection de sa réussite…
Mais c'était trop dérangeant.
Après quelques tests d'expressions du golem, Maria s'imaginait déjà un titan lui ressemblant exactement lui faire la conversation, et les mots de sa mère lui revinrent à l'esprit. Cependant, il était beaucoup trop tard pour y changer grand-chose : elle avait peur qu'en changeant ne serait-ce qu'un petit détail du visage, son travail, qui semblait être le résultat d'une divine providence à présent, ne soit ruiné. Tant pis. Elle assumerait les conséquences de s'être copiée, mais… Elle changea néanmoins la couleur des cheveux et des yeux. Des cheveux blonds, et des yeux d'or de vraie citrine. Cela ne changeait rien au visage, mais la soulageait déjà.

A présent, il fallait l'enchanter pour en faire un golem intelligent et indépendant… Une chose malheureusement hors de ses compétences, même si l'admettre était difficile. Il lui faudrait faire des progrès monstrueux en la matière pour achever son golem par elle même, et elle était trop impatiente de voir le résultat final. Cela prit un mois de plus pour achever l'intelligence du golem, en copiant -honteusement-  les schémas qui avaient été construits par l'union des différents golemanciens du projet Sanctica pour créer l'intelligence du titan Lotus. En vérité, cet enchantement était, sans un titan pour l'animer, proprement inutile. On pouvait dire qu'il avait été uniquement fait pour eux.
Ainsi, son golem était complet ! Enfin ! Maria avait envie de rire, véritablement comme un savant fou, et elle l'aurait fait si elle n'était pas bien trop éreintée. C'était comme si la fatigue d'une année entière retombait sur ses épaules d'un seul coup pour totalement l'écraser… Elle avait installé les runes appropriées dans l'intérieur du crâne du golem, où se trouvait son enchantement principal, et cela seul suffit à l'achever. Quand cela fut fait, elle ne put que traîner les pieds vers son lit et s'y effondrer comme une enclume, sans prendre la tête de refermer la porte de sa chambre.

Ce ne fut que quand qu'elle se réveilla qu'elle réalisa qu'elle ne s'était pas changée avant de s'endormir, première chose qu'elle remarqua en regagnant conscience. Cependant cela était loin de grandement lui importer, elle pouvait bien se permettre un tel écart après avoir été si épuisée par le travail. Elle avait tant dormi qu'il faisait jour depuis longtemps, et en jetant un regard sur l'horloge de sa chambre, Maria constata qu'en effet il était déjà 16 heures. Ce qui signifiait qu'il était temps de ranger la masse de travail qui occupait les tables de son atelier ! Voilà une activité qui saurait bien réveiller son esprit. Se levant et étirant ses membres, elle avait encore le cœur débordant de fierté : réussir un tel projet, voilà qui était digne de la plus jeune mage de 3ème rang d'Axaques ! Et future plus jeune mage de 2ème rang, assurément !…
La magicienne ouvrit donc la porte de l'atelier qui était lui aussi à nouveau illuminé par la lumière du jour. Son regard se tourna tout d'abord vers les feuillets et les livres qu'elle avait emprunté et devait rendre au plus vite, quand elle en aurait fini ici… Mais en glissant vers cette table, son regard s'était égaré ailleurs, apercevant furtivement une image plus que singulière. Ses yeux retournèrent vers l'apparition, et clignèrent deux fois, avant de fixer ensuite le lieu où était normalement allongé le mannequin… Et de retourner à nouveau vers l'escalier qui remontait le long de son étagère à livres.
Sa création, le golem, le corps toujours nu et immaculé, avait les deux pieds sur les marches de l'escalier de bois, un épais tome entre ses mains. Ses deux yeux dorés étaient également tourné vers Maria, qui était-elle toujours sous le choc : elle venait tout juste de l'achever, et il s'était manifesté si tôt ?
– Paresseuse fille qui sommeille encor ! S'exclama soudain le golem, tendant un bras vers Maria une joie dessinée sur son visage. Cette dernière avait presque oublié que le golem avait également sa voix. Déjà le jour brille sur son manteau d'or !
– Es tu… Un titan ?
– Titan… Répéta la créature, un instant songeuse. Oui, Titan ! C'est ainsi que l'on nomme cela ! Oui cela est vrai !
– Oh bons dieux, expira Maria, observant les environs sans savoir comment se comporter. Je n'avais pas prévu cela, tout est encore en désordre et… Attends, tu sais parler ? Je veux dire, notre langue ?
– Oui ! S'exclama le golem en descendant les escaliers, avant de lever les yeux au ciel, réfléchissant à nouveau. La providence de ces objets me fait le don de votre langage ! Cela est vrai !
– Tu veux dire que… Tu apprends à parler grâce à ces livres ? C'est absurde ! L'intelligence de ce golem est vierge et tu dois avoir… Une dizaine d'heures tout au plus !
– Je ne mens pourtant point, oh créateur ! Quelques livres m'offrirent la puissance de la langue. Des explications, sans doute, sont de bonne augure pour dissiper ce mal entre nos âmes. Hm… Les mots me manquent !
C'était étrange. Elle s'attendait à voir un nouveau né, mais la chose s'exprimait avec assez d'éloquence. De plus… Maria semblait en effet bien reconnaître les mots qu'elle disait. A vrai dire, elle l'avait salué précédemment en plagiant sans honte les paroles d'un opéra.
– Bon… Commençons simplement. Quel titan es tu ?
– Ah !… Voilà précisément ce dont j'étais partis en quête dans cette archive à mots, ce…
– … Dictionnaire.
– Ce dictionnaire oui, cela est bien clair. Je suis Antagoniste, c'est le mot qui me coiffe le mieux. Le reflet dans le miroir, révélant ce qui est vrai, celui qui s'oppose aux hommes et qui pour cela les connaît si bien !
Antagoniste, donc… Il lui fallait un vrai nom, et elle ne comprenait pas exactement en quoi cela montrait sa capacité incroyable pour apprendre à formuler des phrases cohérentes dans un langage inconnu en plus ou moins dix heures. De plus, le caractère exubérant du golem qui imitait son corps la dérangeait un peu. Elle n'allait pas lui expliquer de prendre des habits, ou quelque chose du genre, mais en revanche, ses exclamations dès le réveil étaient quelques peu embarrassantes.
– Bien… Je suppose que nous avons besoin d'une longue conversation, fit Maria avant de se diriger vers les sièges de son atelier. Voudrais tu t'asseoir ?…
Elle fut interrompue par le golem qui déjà, saisit une chaise pour la lui présenter.
– Non, non ! Nul besoin, je suis ton humble serviteur !
… Sans doute la créature ne ressentait-elle de toute façon pas le besoin de s'asseoir. Maria prit place sur la chaise sans discuter, ses yeux ne se détachant pas de l'humanoïde aux yeux d'or qui bougeait dorénavant avec une liberté totale. Et en profitait, d'ailleurs.
– Je sais que ce n'est pas l'idéal pour commencer un contact mais… Es tu féminin ?
Les yeux un instant étonnés, le titan observa un instant son corps de la tête aux pieds.
– Ma foi, je n'en sais malheureusement rien ! Tu parles sans doute des dames et des sieurs, mais j'échoue à saisir totalement le sens de tout cela… Je suis ton humble serviteur, nommes moi comme tu le désire !
– Puisque je t'ai modélisée à partir de moi, disons que tu es féminin, cela sera une question de plus en dehors de mon esprit…
C'est vrai que ce n'est pas en lisant des textes aléatoires qu'elle comprendrait bien pourquoi les humains étaient divisés ainsi… Surtout s'ils étaient prudes. Si l'Antagoniste n'était pas satisfait de cela, elle n'aurait qu'à le lui dire et… Devrait-elle lui expliquer ce genre de choses ? Non non, autant lui donner un livre de biologie animale, Maria n'oserait jamais. De toute façon elle n'était même pas capable de ce genre de choses, alors l'importance était moindre !
– Je ne comprends toujours pas comment tu peux me parler ainsi, fit Maria en se concentrant à nouveau sur la conversation. Est-ce lié à ton pouvoir ?
– Cela est vrai ! L'Antagoniste est capable de… Comment le dire ? S'accoupler à quelqu'un ?
– Je… Ne pense pas que ce soit approprié. Tu veux dire se lier ?
– Exact ! Mais point comme les sieurs et les dames, soit prévenue ! Disons que l'Antagoniste peut saisir les sentiments d'autrui en son cœur, et parce que je suis accouplé…
– … Lié.
– Lié à toi, chaque fois que je découvre un mot, le sens, qui est en ta mémoire, me vient comme un instinct… La conséquence de cela est que l'Antagoniste a la fâcheuse manie, en comprenant un ensemble de caractères, d'obtenir certains traits de caractères opposés. Cela est dans sa nature.
– C'est pour cela que tu es exubérante ?…
– Je n'en sais que trop rien ! Je n'ai été lié qu'à toi, créateur, je suis incapable de comprendre de façon absolue l'effet de l'Antagoniste sur ma propre âme.
– Peut-être que tu es si servile à cause de ça… Murmura Maria. Dis moi, que penses tu de toi même ?
– Comment ? Ne suis-je pas mis à ta guise ? Qu'importe donc ce que je pense de mon être !
– J'insiste !
– Hmm… Quand la question se pose dans mon esprit, je me vois comme manquant d'élégance et d'esprit. Une vermine rampante si je dois me comparer à toi!
Maria claqua sa langue d'agacement. C'était donc bien vrai ? Elle était si prétentieuse que cela ? Décidément, même sans en avoir conscience, la titan avait dit vrai sur elle même : elle était un miroir. Si Maria lui jetait quelque chose, elle risquait de se voir renvoyer la vérité sur elle même.
– Tu sembles dans l'embarras… Dieux ! Comment m'excuser ? Pardonnes moi, je ne voulais pas…
– Ce n'est pas la peine vraiment ! Répondit Maria avec un sourire embarrassé, levant ses paumes alors que le golem allait s'approcher t-elle -pour une étreinte ? Elle n'était pas très tactile, maintenant qu'elle y pensait…-.
Dis moi plutôt si ton pouvoir ne consiste qu'en cela… Ou autre chose.
– L'Antagoniste est d'une grande puissance ! Ou sans aucun pouvoir même devant le plus bas vermisseau… Quand je me lie à un être, il comprends ses pouvoir, pour peu qu'ils soient… Hm… Prodigieux ? Miraculeux ?
– … Magiques.
– … Magiques, c'est cela ! J'obtiens ensuite le miroir de ces pouvoirs, ceci avec une puissance égale ! Une force excellant au duel, sans doute. Je suis surprise que vous ne m'ayez pas façonné un corps de soldat.
– Tu aurais préféré cela ?…
– En rien ! L'opposition n'est pas uniquement le combat par les armes et le sang. N'est-ce donc pas vrai, créateur ?
– Je préférerais que tu cesses de m'appeler ''créateur'', je me sens encore comme un vieux nécromant d'opérette…
– Ah ! Devrais-je vous trouver un sobriquet qui vous sied mieux ?… Hm… Madame ? Ou bien peut-être Mon Ange ? Ma seule et unique ? Ma bien aimée…
– Tu ne comprends pas totalement le sens de ces mots, n'est ce pas ?… Tu devrais juste m'appeler Mar-
– Maître ! Voilà qui est idéal ! Mes plus plates excuses, les précédents mots ne reflétaient en rien mon infériorité par rapport à vous…
Maria soupira un grand coup. Elle n'avait pas envie d'insister : maître était déjà bien plus correct à son oreille que créateur. La titan ne semblait en effet pas totalement saisir tout les mots qu'elle employait… Maria doutait que sa personnalité se construise uniquement en opposition à quelqu'un, puisqu'elle était capable d'apprendre et d'évoluer. Cette capacité de lien lui permettait sans aucun doute d'assimiler certains concepts à une vitesse peu imaginable pour un esprit presque vierge, une aptitude extraordinaire. Et qui n'était pas dénuée de sens : elle était supposée devenir le miroir égal de quelqu'un. Néanmoins plusieurs questions trottaient toujours dans son esprit… En y réfléchissant, Maria traçait des cercles autour de la poupée nue, l'observant de la tête aux pieds une main sur le menton.
– Tu es capable de te lier à d'autres personnes, n'est-ce pas ?
– Cela est vrai ! Mais j'ai le sentiment de ne pouvoir me lier qu'à un seul être dans le même temps… C'est ce que l'Antagoniste dit.
– Et… Antagoniste est un mot particulier. Es tu certaine de l'avoir bien choisi ? Cela voudrait dire que tu t'opposes à la personne à laquelle tu es liée.
– L'Antagoniste sait par instinct ce qu'il est, rien n'est plus clair ! Néanmoins, tu dis vrai. J'aurais tendance à être, non pas toujours l'ennemi, mais le rival de mon âme sœur…. Tu fais exception maître. C'est toi qui m'a façonné, il me semble impossible de m'opposer à toi.
Peut-être que ce titan pouvait se révéler dangereux… Même si ce n'était pas envers Maria. Elle semblait dévouée, et guère méchante avec cela… Mais comment déterminer si cela n'était pas uniquement dû à sa nature, l'Antagoniste ? Quoique Maria n'était nullement une personne odieuse -enfin, elle osait l'espérer-. En tout cas, il lui faudrait effectuer des tests pour déterminer quels étaient les caractères persistants de sa personnalité : n'était-elle qu'un miroir d'autrui ? Et par ailleurs, une autre question la tracassait…
– Dis moi… Je vois que tu t'agites dans tout les sens et que tu t'observes, permets moi donc de te poser cette question. Ce n'est pas grave si tu ne sais pas quoi en penser, mais… Apprécies tu le corps que je t'ai construit ?
Les coins des lèvres de la poupée se soulevèrent, et elle posa sa paume droite sur sa poitrine, avant de tendre le bras gauche vers Maria, la jambe gauche également à l'avant de son corps dans une posture dramatique. Elle recopiait, à coup sur, quelque didascalie qu'elle avait dû lire quelque part.
– Si je l'apprécie ? Je l'aime de mille feux, et d'une douleur à déchirer les chairs de ma poitrine ! Oh maître ! Comment donc te remercier et te maudire d'incendier ainsi mon regard et mon cœur ?
– Il te faudra écouter d'autres personnes converser… Si tu t'exclames toujours de cette façon, on te jettera d'étranges regards. Même en sachant que tu es un golem. J'ai encore beaucoup de questions, et je voudrais aussi que tu fasses certaines choses, si tu le veux bien… Néanmoins avant cela, il te faudrait un nom. Tu ne sembles pas entièrement te considérer comme l'Antagoniste, n'est-ce pas ? Dans ce cas, puisque ton corps est construit à partir de l'alchimie… Chrysopée. Qu'en pense tu ? Je vais t'appeler ainsi à partir de maintenant.
– Chrysopée, prononça t-elle, la bouche ronde comme sous l'admiration. Oui, Chrysopée ! Voilà qui est parfait maître. Pourriez vous le redire ?
– Hm ? Oh, si tu acceptes ce nom cela est loin d'être la dernière fois que tu l'entendras, Chrysopée.
Elle l'avait quand même redit pour lui faire plaisir. Malgré son comportement, sa création avait une immaturité qui la rendait quelque peu attachante en même temps… Lui donner un visage aidait cependant grandement à créer de l'empathie, une idée qu'elle avait hâte de tester en faisant rencontrer d'autres personnes à Chrysopée. Cette dernière répétait son nom avec un certain engouement. Sans doute plus elle entendait un mot en étant liée -ou synchronisée, elle préférait ce terme- avec elle, plus le sens lui apparaissait clair… Cependant, Chrysopée ne pouvait probablement pas comprendre le sens d'un mot que Maria ne comprenait pas en étant synchronisée avec elle. Elle ne pouvait également capter que le sens du mot selon Maria. Malgré ces limites, quelle capacité extraordinaire en soit ! La mage ne connaissait pas l'entièreté des pouvoirs de l'Antagoniste, à vrai dire cela semblait uniquement faire partie de sa véritable aptitude, mais ces capacités d'apprentissages inattendues offriraient une croissance terriblement rapide au titan. Par son grand-père ! Elle avait encore tant de questions, tant de choses à faire, son travail ne faisait véritablement que commencer ! L'excitation qui la prenait était plus intense encore que lors de l'éveil de La Dame. Véritablement, jamais elle ne s'était sentie autant vivante qu'en ce moment, malgré tout, elle n'avait aucune envie d'être cet alchimiste obtenant un mauvais sort à la fin de l'histoire, d'autant plus que cette vision manquait cruellement d'élégance. Chrysopée était un être pensant et, très véritablement, doué d'émotion. L'accabler de tests pourrait la mettre sous pression et allait absolument contre le sens de l'expérience que Maria avait réalisé en lui conférant ce corps. Sa puissance potentielle n'était qu'une raison supplémentaire de correctement la traiter.

Chrysopée nommée, c'est Maria qui commença plutôt à répondre à ses questions. La titan avait en vérité une idée assez vague de la situation qui lui avait donné naissance, tout comme de sa nature de titan ou de ce qu'était l'Antagoniste : la personnalité du golem nouveau né était totalement devenue celle de la titan, qui devait son comportement et son savoir à sa synchronisation avec Maria… Pour autant, et heureusement, Chrysopée ne semblait aucunement apeurée dans un monde qui lui était totalement inconnu. La jeune Boldgate décida qu'il était temps de fournir à la poupée des habits : même si elle ne ressentait aucun besoin de se dissimuler et était dépourvue des parties les scandaleuses du corps humain, cela aurait été étrange qu'elle se promène nue. D'autant plus qu'elle restait modélisée à partir du physique de Maria, conséquemment la faire se balader en exhibitionniste était absolument hors de question ! Chrysopée fut donc affublée d'un des uniformes qu'avait Maria, cela lui permettrait de ne pas trop se faire remarquer. La poupée aux cheveux d'or et aux yeux ambrés avait maintenant la typique veste noire d'Axaques et la longue jupe grise que portaient les filles et les jeunes femmes, avec en dessous les collants noirs appropriés. Maria, qui s'était changée également par la même occasion, attacha ses cheveux blancs et blonds sur le côté droit de sa tête comme elle en avait l'habitude, mais, alors qu'elle avait le regard porté sur son miroir, elle vit que derrière elle… Chrysopée faisait de même, attachant ses cheveux elle à gauche. Maria la fusilla du regard sans en avoir conscience.
– … Plaît-il, maître ?
– Evidemment, tu as appris comment faire ça en me voyant, soupira t-elle en se frottant les yeux.
– Ah ! Milles excuses ! Comme une flèche l'envie soudaine m'a transpercé l'esprit !…
– Ca ira, dit la mage en portant un sourire rassurant. Tu es très jolie comme ça -non pas que ce soit surprenant-. Mais il faudra que je te trouve d'autres coiffures, tout de même.
  Partageant la même taille et le même visage, elles avaient vraiment l'air similaire dans le miroir, surtout avec la même tenue. C'était moins effrayant qu'elle ne le pensait. Chrysopée était destinée à évoluer, à découvrir et singer beaucoup d'autres êtres… Et a devenir tout sauf une réplique de Maria. C'était du moins ce qu'elle pensait maintenant. En irait-il toujours de même ? En vieillissant avec Chrysopée à ses côtés, elle aurait après tout un perpétuel rappel d'une jeunesse éteinte et de sa propre mortalité. Encore une fois, est-ce que les enfants faisaient de même ?… Maria devait garder ces questions en tête, pour les poser à sa mère à qui elle avait hâte de présenter son ultime création.
Saisissant la main de Chrysopée, Maria l'attira vers la porte menant à l'extérieur. Elle en tourna la poignée, laissant la lumière dorée de l'extérieur se glisser dans la maison.
– Le monde, tu le verras, est assez différent des livres. Tu as pu le voir à travers la fenêtre, n'est-ce pas? Mais il est bien plus vaste.
Et elle tira Chrysopée dans ce monde si vaste. Chaque personne était forcément la somme de sa confrontation avec le monde et autrui, et elle se demandait fortement quel individu résulterait de ce calcul. Une question soudain l'inquiéta… Pourquoi l'Antagoniste ? Ne devrait-elle pas craindre ce nom ? Ou bien l'Antagoniste seulement était ici celui qui pousse au mouvement le protagoniste, et le pousse à révéler ce qu'il est vraiment ? Peut-être pouvait-elle, à travers Chrysopée, en savoir plus sur l'humanité même. Les possibilités étaient infinies, se rassura t-elle, même si elle risquait fortement d'être un fauteur de troubles.

Un Golem ne se faisait pas en un jour… Un savoir élémentaire à golemancien qui se respectait, en tant qu'enseignement de patience. Cependant, il y avait également une variante de ce dicton, que sa mère aimait toujours employer, et qui peut-être enseignait plus encore.
Un Golem n'est jamais terminé.


Dernière édition par DALOKA le Dim 17 Juin - 23:26, édité 1 fois
DALOKA
DALOKA
Grand Cracheur d'encre

Messages : 2271
Date d'inscription : 01/12/2010
Age : 27
Localisation : Près de toi, toujours très près de toi 8D...

Feuille de personnage
Nom des personnages: TROP

Revenir en haut Aller en bas

One Shot du Daloka des forêts - Page 2 Empty Re: One Shot du Daloka des forêts

Message par DALOKA Dim 17 Juin - 23:25

Antagoniste: Or et Mercure


La cérémonie de la remise des premiers diplômes était, pour les apprentis mages qui étudiaient à Axaques, le moment sans aucun doute le plus attendu. Il signifiait l'entrée dans le 5ème rang, l'entrée dans le véritable monde de la magie, et était le résultat de quatre années acharnées de travail. Quatre années où presque aucun sort ne fut lancé, et où tout effort fut concentré pour maîtriser ce qui n'était que les bases des arcanes. Pourtant, pour ces jeunes gens de quinze années pour les cadets et dix sept pour les aînés, cela était la véritable ouverture d'une porte, la reconnaissance de leur talent. Plus rien après ce jour ne serait jamais pareil.
C'était un sentiment que Mercurius Vinnairse rejetait totalement.
Contrairement à ses jeunes amis, le jeune lumieux issu de grands sangs, guère grand mais aux traits délicats, considérait avec une nonchalance totale le bout de papier qu'on leur avait donné en guise de récompense. Il ne s'en cachait même pas, malgré l'euphorie générale qui ébruitait le couloir qui longeait la salle de cérémonie. Ceux qui avaient échoué n'y étaient même pas conviés, et devaient déjà préparer leurs bagages pour traverser le lac et retourner chez eux entreprendre une voie de vie plus triviale.
– Tu ne seras donc jamais satisfait ? Rit Carl, un des aristocrates qui accompagnaient en permanence Mercurius.
– Satisfait de quoi ? De ça ? Répliqua t-il avec mépris en levant le diplôme enroulé près de son visage. Ce n'est qu'une manière de signifier que l'étudiant a le potentiel d'être mage. Rien de plus. A l'échelle du monde magique nous ne sommes rien, 5ème rang ou non, puisque les autorisations légales de manier la magie ne sont conférées qu'au 4ème rang. Alors peut-être certains pourraient se qualifier en effet de mage… En attendant certains qui sourient aujourd'hui se retrouveront eux aussi sur les quais dans deux ans.
– Oui… Se refroidit bien vite Carl. Je suppose que tu as raison.
– Notre Mercurius voit toujours les choses ainsi ! Dit d'une voix criarde Adèle, une blonde de grande taille même si elle était dans les cadettes des classes. La rose de la troisième classe a toujours des épines si tranchantes !
– Qui utilise encore ce surnom, que je le tue? Fit Mercurius en plissant les yeux d'une colère contenue.
– Ah !… Je l'ai appris récemment, je voulais juste un peu te taquiner… Je ne le referais plus, promis.
– Ce n'est rien, sourit-il finalement, avant de lever la main vers Adèle pour, bien qu'elle était plus grande que lui, lui caresser la tête. Evites juste de m'appeler par ce surnom efféminé, d'accord ?
Adèle hocha la tête en rougissant devant la voix soudainement douce de Mercurius. Elle lui mangeait assez facilement dans la main, ce n'était pas vraiment la peine de s'énerver contre cette dernière… Il n'empêchait que Mercurius détestait rencontrer ce surnom, aussi méliorative l'intention fut-elle. En raison de sa petite corpulence et de ses traits fins, on l'avait appelé comme ça il y a trois ans. Bon, il estimait que son visage se distinguait assez à présent, et était plus celui d'un beau garçon destiné à être bel homme, mais malheureusement pour ce qui était de la taille les filles de son âge l'égalaient souvent, et il détestait qu'on le lui rappelle.
Malgré cela, de toute façon, de par la puissance de son rang et par la puissance concrète qui était entre ses mains, il n'avait pas de difficulté à imposer son respect. Ou pour l'expliquer de manière bien plus explicite, la plupart de ses camarades nourrissaient pour lui un mélange de peur et d'admiration. Il était l'héritier du comté Vinnairse, et malgré sa jeunesse possédait la bête alchimique Aurium. Même certains mages confirmés le craignaient et il n'hésitait pas à en tirer avantage : il avançait dans Axaques comme dans une petite promenade de santé. S'il le voulait il pouvait même s'arranger pour cesser de travailler, et obtenir tout de même des résultats parfaits en trichant sans qu'on ne le réalise. Du moins la tâche ne lui semblait pas difficile. Pour certains il aurait été certainement une sorte de petit malfrat : il n'hésitait pas à menacer pour obtenir ce qu'il voulait, et l'on lui offrait des faveurs pour obtenir son aide, notamment parce qu'il avait le secret d'obtenir des choses tout à fait interdites aux élèves. Selon lui, il utilisait simplement tout ses moyens à sa disposition. Son père l'avait envoyé à Axaques, et non pas convié un mage pour des cours à domiciles, afin qu'il se sociabilise, hors il était un haut noble. Il lui semblait assez naturel de dominer les gens… On pouvait bien penser ce qu'on voulait, c'était ainsi que s'orchestrait la réalité en dehors du lac, et il était hors de question qu'il se rabaisse au niveau des autres uniquement pour passer une scolarité paisible et droite.
– Au fait Carl, fit Mercurius alors que lui et son groupe sortaient dans un jardin intérieur du bâtiment, touffu de plantes vivifiées par la magie. Malgré cette histoire de diplômes, tu t'es renseigné sur les derniers ragots ? Dis moi tout.
Mercurius adorait savoir les bruits qui couraient, et Carl, assez curieux et intrépide, était parfait pour l'en informer sans qu'il n'ait à se renseigner lui même.
– Hmm… Il paraît que Limstella Luciane Boldgate a été conviée par les archimages, c'est sans doute important.
– Ma grande tante… hmf, je suis content qu'elle ne soit pas venue donner un cours, elle m'a rendu la vie impossible cette séance de l'année dernière.
– Mais à propos de ça, Maria a construit un golem plutôt extraordinaire. Je suis étonné que tu n'en ai pas entendu parler, ton père lui a fournit un exemplaire d'Aurium pour sa confection.
– Ca c'est intéressant. Dis m'en plus.
– Elle présente son golem à des élèves une fois par jour depuis le début de la semaine… C'est un golem intelligent, donc interagir avec des gens doit être important, je crois. C'est incroyable, il ressemble vraiment à un humain. On risque très vite de ne parler que de cela.

Et cela intriguait également Mercurius. Il n'avait néanmoins en vérité qu'un intérêt distrait pour les avancées de la golemancie, mais qu'une Boldgate ait fait appel à la science de la famille était une toute autre histoire. D'autant plus qu'il s'agissait de Maria… La femme qu'il s'était juré de conquérir.    Il avait toutes les raisons pour voir cela de ses propres yeux. Maria Limstella Boldgate était l'une des seules personnes pour qui il nourrissait une forme d'admiration. A vrai dire, il ne serait guère fou d'admettre qu'elle le surpassait en beauté, talent, ainsi qu'intellect, car si il y avait une réelle rose à Axaques c'était-elle. La rose blanche et or. La mage si talentueuse qu'elle était passée du 5ème rang au 3ème, sous accord exceptionnel d'un archimage rien de moins. Voilà quelque chose qui était extraordinaire, et méritait la fierté… Personne n'ignorait son nom, c'était l'idole que les jeunes observaient avec envie et les vieux avec espoir. Rien n'était plus digne de désir. Mercurius n'avait strictement aucun intérêt pour la bande de jeunes damoiselles issues d'étages variables de l'aristocratie qui lui collaient aux basques, elles pourraient se prostituer à lui qu'il n'y toucherait même pas. Une seule méritait son regard, et il nourrissait clairement l'intention qu'elle accepte de devenir sa femme et d'être sienne. Bien entendu, compte tenu des bonnes relations entre Vinnairse et Boldgate et du fait qu'il y avait entre eux juste assez d'écart dans les arbres familiaux pour que l'on invoque pas l'inceste, il aurait été assez évident de convaincre son père d'envisager le mariage… Mais il ne voulait rien de cela. Ou plus exactement, tricher ici n'aurait aucune valeur. Il fallait que Maria lui offre son cœur d'elle même, ou bien il n'y aurait strictement gloire, pas plus que l'amour réciproque qu'il désirait.
Le lendemain, Mercurius se rendait seul à la salle que Maria Limstella avait emprunté pour ses démonstration, prenant inutilement la peine de passer la main sur son col et sur ses cheveux, qui étaient courts et proprement coiffés vers le côté droit de son visage. Il avait honte d'admettre ce manque de confiance en soi, mais cela valait la peine d'être paranoïaque ici en toute circonstance. Maria était une dame de la plus grande qualité qui était après tout.

Quand il entra, ne passant pas inaperçu puisque quelques regards sur la dizaine de personnes en présence se retournèrent vers lui, il s'assit sans dire un seul mot vers un des sièges du fond de la salle. Il n'avait pas l'intention, à priori, de faire autre chose qu'observer tout d'abord. Maria avait de toute façon remarqué son entrée, même sans interrompre son discours. A côté d'elle se trouvait une chose pour le moins perturbante… Une jeune femme blonde, avec la même taille que Maria ainsi que le même visage. Et même à proprement parler, les exactes mêmes proportions. Même sans l'observer de près, ces détails suffirent à lui faire signifier qu'elle n'était en vérité pas une jeune femme mais bien le golem dont il était ici question. Difficile de croire en la voyant que la surface de son corps était faite d'Aurium… Mais, cette prouesse mise à part, voir qu'une telle chose ressemblait autant à Maria était particulièrement dérangeant. Les yeux portés sur la mage et son clone, il se mit à écouter son discours.
–… En plus de cette faculté d'apprentissage, Chrysopée est également capable de magie. Quand elle se synchronise avec quelqu'un, vous voyez… Ah, une démonstration sera plus simple.
Maria saisit alors un livre et le tendit en l'air, avant de le lâcher. Pourtant il ne chuta pas, mais flotta dans l'air à la place. Soulever un livre était de la télékinésie relativement basique.
– Maintenant, Chrysopée, je t'en prie…
– Tout de suite, maître ! Répondit la poupée avec joie avant de tendre les mains vers le livre. Il flottait toujours dans les airs… Ou plutôt, il avait cessé de flotter et était à présent totalement immobile. Maria frappa légèrement le livre, qui ne bougea pas d'un pouce.
– La télékinésie, si doit englober tout sorts y correspondant, confère par magie du mouvement à un objet. Chrysopée vient de supprimer tout mouvement ce même objet, qui est à présent incapable de tomber… Elle obtient des capacités magiques opposées à la personne avec laquelle elle se synchronise. C'est une capacité très vague en soi, mais de mes observations, elle a tendance à obtenir une magie qui ''retire'' ce que confère la magie du mage avec lequel elle est synchronisée. Inversement, si cette magie elle même retire quelque chose, Chrysopée pourra le créer… Comme dans le cas des magies qui retirent ou créent de la chaleur par exemple. Ca ne s'applique pas vraiment à toutes les écoles de la même façon, je ne l'ai pas encore confrontée avec un illusioniste, par exemple. Oh, et sa puissance est strictement égale au mage en question… Cela signifie que si nous nous battions pour ce livre nous pourrions y passer des heures sans succès jusqu'à que j'épuise toute ma magie. Cela signifie aussi que, synchronisée à un non mage, elle n'aura absolument aucun pouvoir magique…
Voilà donc là où j'en suis. A présent, si vous le voulez bien, je voudrais que vous interagissiez avec Chrysopée. Cela aide grandement mes recherche et contribue à son apprentissage. Elle n'a encore qu'une semaine et est un peu étrange, cependant, elle adore communiquer. N'ayez pas peur si elle se synchronise avec vous, vous ne vous en rendrez même pas compte. Oh, et pardonnez la si elle est un peu… Irritante parfois.

Mercurius avait quelque peu cessé de faire attention au contenu des paroles de Maria vers le milieu de son discours. Même s'il conservait son air relativement désintéressé, son regard était porté sur la silhouette de la mage… Ah ! La revoir ravivait son désir, même lors de cette attitude professionnelle. Comme il languissait le jour il pourrait la tenir entre ses bras… Ces sentiments, néanmoins, ne faisaient également que renforcer le profond malaise qu'il avait en observant Chrysopée, qui faisait maintenant la conversation à quelques mages de 5ème rangs portés volontaire. Le tempérament de Chrysopée semblait changer fréquemment, était-elle lunatique à cause de son apprentissage particulier ? Partie du discours dont Mercurius n'avait d'ailleurs entendu que quelques mots en entrant dans la salle précédemment.
– Je ne pensais pas que tu viendrais, fit Maria en s'éloignant du golem et des étudiants pour venir à la rencontre de Mercurius, qui ne s'était pas levé. Tu n'es pas venu pour m'importuner, pas vrai ?
Elle disait cela avec un humour presque affectueux, et Mercurius ne savait pas si elle se moquait de lui ou non. Maria savait ce qu'il pensait d'elle, après tout elle avait forcément lu les lettres qu'il lui avait envoyé… Cependant, jamais elle n'abordait le sujet ouvertement Il ne lui en voulait pas particulièrement, parce que l'exiger d'elle aurait été disgracieux et il ne se le permettrait pas.
– Ton utilisation d'Aurium est très intéressante, complimenta Mercurius. Je n'imaginais pas qu'il était possible de produire une telle prouesse… Si il y avait néanmoins bien une mage apte à faire cela, c'était bien toi, et nulle autre.
– Eh bien… Merci du compliment, sourit-elle finalement, avant un instant d'hésitation probablement dû à son ton mielleux. Rien n'aurait été possible sans ton père cependant. Et toi, ne viens tu pas de passer au 5ème rang ? Mes félicitations !
– Oh… Ce n'est pas grand-chose. Je serais méritant de compliments lorsque je serais arrivé à ta hauteur.
Le féliciter pour une chose si basique, qu'elle avait elle même réussit en un tour de main… Sa bonté fit un peu bondir son cœur. Personne ne portait mieux le mot noblesse.
– Mais tant que tu es là, pourquoi ne pas interagir un peu avec Chrysopée ? Je vais aussi chercher quelque chose à la bibliothèque… Et je ne devrais pas la laisser sans surveillance. Tu peux bien faire ça pour moi ?
– Mais bien évidemment.
– Tu me sauves ! Dis lui bien que je ne veux pas qu'elle parte, d'accord ? Elle a tendance à n'en faire qu'à sa tête.
Maria s'en alla alors avec empressement, et Mercurius poussa un discret soupir attristé. Maria était bonne avec la plupart des gens, ainsi, même si il était honoré qu'on lui fasse confiance, cela ne signifiait nullement que sa considération pour lui était particulière. Néanmoins, pourrait-il l'accompagner dans son travail à présent ? Ah… Bien sur il risquait de croiser Alfred, son misérable perdant de frère qu'elle se coltinait tout le temps… Et puis non, agir en tant que collègue ne ferait sans aucun doute rien avancer, au contraire.
Mercurius resta donc assit, surveillant du regard les jeunes mages et la poupée, sans lui même intervenir. Ils prenaient des notes attentivement, visiblement très impressionnés par le moindre mouvement de la réplique de Maria. Chrysopée passait très rapidement d'introvertie à extravertie, de dynamique à posée, et parfois encore entrait dans des débats et disputes avec des élèves qui n'en tirent guère compte longtemps, avant tout fascinés par la créature. Ces derniers, ayant achevé leurs interrogatoires, finirent par s'éloigner un à un pour discuter entre eux du sujet… Et Chrysopée finit alors par marcher vers lui. Mis à part ses cheveux blonds qui tombaient sur ses épaules, et ses yeux dorés, c'était la jumelle craché de Maria.
– Eh bien ? Tu es le seul encore à ne m'avoir adressé de ta bouche aucun mot.
– Ne fais pas attention, je suis là uniquement pour te surveiller et ta créatrice ne devrait pas tarder à revenir. Restes juste sage et ne sort pas d'ici, compris ?
– Non non non damoiseau ! J'insiste mille fois s'il le faut, échangeons donc quelques mots… Par quel nom te fais tu donc appeler ?
Sa voix était relativement calme et sure d'elle. Marquée d'une profonde humilité, mais non sans force derrière elle… Encore une intonation différente. Il n'avait pas vraiment envie de parler à un golem, mais cela déplairait à Maria qu'il l'ignore…
– Mercurius Vinnairse.
– Hmm… Mercurius, dit-elle, avant de répéter ce nom. Mercurius, Mercurius… C'est donc toi. Oui, cela convient à merveille. J'affectionne particulièrement ton nom.
Il ne comprenait pas pourquoi elle avait répété son nom, mais sa posture elle aussi avait changé. Elle se tenait de manière droite et alerte… Malgré une sérénité parfaite.
– Ma famille est une famille d'alchimiste, cela ne me surprend pas que tu trouves ce prénom idéal, répondit-il, se surprenant à engager la conversation.
– Ah, mais ce n'en est pas l'unique raison, fit Chrysopée avec un sourire en coin, avant de passer la main dans ses cheveux. Le mercure, n'est-ce pas le métal des commerçants et des voleurs ? Voilà bien un nom qui épouse la forme de ton âme.
– Et qu'insinue tu par cela ? Rit Mercurius.
– Ce que j'insinue… Fit-elle, ayant maintenant disposé ses cheveux vers le côté gauche de sa tête. Est que ce nom est pour le mieux choisi pour un commerçant et un voleur, rien de plus ni de moins. Ton nom est déjà parvenu à mes oreilles, comme celui du fripon parvenant toujours à sortir immaculé, car son talent pour la séduction et l'esquives n'ont d'égal que chez un serpent.
– Où est-ce que tu as appris ça, golem ? Dit-il en se levant, son ton devenant bien plus sombre.
– Mes excuses, je n'ai fait que me fier aux bruits qui couraient, dit-elle en courbant la tête. Si cela peut apaiser ton âme, ce n'est pas de la bouche de mon maître que j'ai ouï des injures à ton égard.
– Comment ça, si cela peut m'apaiser ?
Il perdait le fil de la conversation face à un satané golem. Combien de choses cet être d'une semaine savait il ?
– J'ai découvert vos lettres dans les appartements de mon maître, dit-il à voix plus basse, avant de constater qu'il n'y avait plus grand monde dans la salle.
– Quoi ? Elle… Les a gardé ? Dans tout les cas, oublie cela, et n'en parle à personne.
– Cela n'était pas mon intention, cependant, suis je puis me permettre un commentaire… Il serait impertinent de ta part de continuer à tenter de captiver son cœur, d'autant plus que cela t'accablerait de fatigue sans en voir aucun fruit.
– Un golem ne devrait pas se mêler de ce genre d'affaire, fit-il en fusillant Chrysopée du regard, se contenant avec peine.
– Je dis cela pour ton bénéfice avant toute chose. Inconsciente de ce que cela impliquait, j'ai interrogé mon maître sur ces lettres… Les faits sont ainsi : elle ne sait comment réagir de manière appropriée. A ses yeux, les huit années qui vous séparent font de toi un enfant incapable de distinguer l'amour des désillusions. Qui plus est tu est véritablement indigne d'elle, car mon maître n'est pas une dame à apprécier les subterfuges, pas plus qu'elle ne pardonnerait le crime. Ta main se retrouvera toujours comme celle de l'homme qui désire tenir dans ses mains la lune… Elle se refermera dans le vide, et ses phalanges glacées lui rappelleront sa solitude, oui, cela est on ne peut plus vrai ! Pour cette raison, je te recommanderais de ne plus tourner autour de mon maître.
C'en était trop. Comment cette chose pouvait-elle se permettre de l'insulter ainsi ? Les dents serrées, la mâchoire tremblante, Mercurius appela le nom d'Aurium sans réfléchir aux conséquences, et une masse de liquide doré apparut entre lui et Chrysopée, se dirigeant vers la poupée avec l'intention de la menacer et la tenir en respect… Mais le métal, avant de rencontrer cette dernière, se stoppa net. Chrysopée, qui n'avait pas bougé d'un pouce, eut un sourire en coin qui donna envie à Mercurius de la frapper directement, même si elle avait le visage de Maria. Conscient que ce serait inutile, il se retint.
– Un simple golem ne devrait avoir aucun mot à dire quand à cela, tenta t-il de se rassurer, exprimant un sourire nerveux.
– J'ai bien peur qu'il y ait méprise… N'as tu pas connaissance de la participation de mon maître au projet sanctica ? Je suis l'Antagoniste, un Titan. En d'autres termes, mon cher et tendre damoiseau, cela signifie que je n'ai en rien à jalouser ton existence ! Moi, l'humble serviteur de Maria Limstella Boldgate, suis tout à fait digne de me dresser à ses côtés.
– Un… Quoi ?
Mercurius était frappé de silence, comme si la foudre l'avait heurté de plein fouet. Aurium se rétracta. Un titan ? Il n'était pas totalement ignare. Des annonces officielles avaient été faites l'année dernière sur la nature de ces êtres magiques… Cela signifiait que depuis le début, il ne parlait pas juste à un outil, mais à un être magique… En d'autres termes…
Il n'avait jamais été le supérieur dans cette conversation.
– Ah ! Sache que je ne nourris aucune haine envers toi, fit Chrysopée en s'approchant du garçon et en posant ses deux mains sur son épaule. Bien au contraire, néanmoins cela est la nature de l'Antagoniste, de se dresser entre toi et l'objet de ton désir. Sans doute comprendras tu la couleur bénéfique de mon geste.
– Si tu as dis que j'étais le mercure… Fit-il d'une voix tremblante. Alors tu es l'or, n'est-ce pas ?
– Oui, oui cela est vrai ! Dit-elle avec délectation en approchant son visage de celui de Mercurius. Sans doute est-ce pour cela que la synchronisation entre nos âmes m'est si profondément agréable !

Toujours déstabilisé, Mercurius ne sut que répondre face à des paroles qu'il ne comprenait aucunement. La conversation s'interrompit ici, car Maria revint un épais livre dans les mains, ses halètement légers révélant son empressement.
– Oh, vous conversiez… Fit-elle, avant de remarquer la tension ambiante et l'expression inhabituelle de Mercurius. Quelque chose ne va pas ?
– Non, se ressaisit soudain brusquement Mercurius, échouant à dissimuler totalement son trouble. Non… J'étais tout simplement perturbé par combien elle avait l'air humaine. C'est très impressionnant.
– L'enchantement était une torture à composer, dit-elle avec satisfaction. Je comprend que le résultat puisse t'effrayer, néanmoins… Chrysopée, nous devrions y aller. Tu me raconteras l'essentiel de tes conversations.
– Bien, maître, fit poliment Chrysopée en courbant légèrement l'échine, avant de suivre Maria qui s'éloignait dans le couloir… Non sans avoir tout d'abord jeté un regard à Mercurius accompagné d'un sourire plein d'assurance qu'il ne saurait interpréter exactement.
Le jeune mage s'était fait humilié, ou plutôt s'était humilié lui même, devant cette créature indescriptible qui lui inspirait maintenant de l'effroi. Les dents serrées par la rage, il envoya son poing contre un mur, la douleur qui résulta ne l'impact ne faisant qu'attiser encore plus sa colère et sa honte. Jamais il ne restait paralysé ainsi, pas même devant ses meilleurs professeurs ! Sa fierté était en ruine, et le titan avait quelque chose de malsain qui le révulsait profondément. D'autant plus que la poupée avait clamé, avec sa voix faussement noble et chevaleresque qui lui vrillait les tympans, être digne de se tenir aux côtés de Maria. Etant donné sa loyauté apparente, un tel propos ne l'aurait normalement pas dérangé, mais le contexte imposait une autre connotation qui lui était insupportable. Etre dépassé, non, seulement rivalisé par un être débarqué dans ce monde il y avait moins de dix jours, quand il nourrissait ses sentiments depuis des années, n'était pas acceptable. L'orgueil de Mercurius ressurgit alors tout d'un seul, enragé face à la propre morosité de sa pensée. Comment rester inactif devant cela ? Cela aurait été la pire erreur possible, il devait agir comme un homme le ferait, non pas courber l'échine.
Il devait restaurer son honneur.

*
Axaques avait un certain nombre de parcs dispersés dans la ville, bien souvent occupés par des plantes de diverses endroits du continent dont la croissance était aidée par la magie. En plus de servir de lieu de recherche occasionnel sur les magies liés à la flore, ils étaient un lieu de détente fréquemment fréquentés par tout âge… A l'exception des heures comme celle ci où la nuit dominait sur la ville. Même s'il s'agissait d'Axaques, les traditions impériales étaient fortes dans les esprits, et peu de gens songeaient à sortir de chez eux une fois vingt deux heures passées. Encore moins un jeune homme de l'âge de Mercurius, qui était pourtant assit sur un des bancs de pierre, au beau milieux des animaux nocturnes et des arbres qui ombrageaient la lumière glaciale de la lune. Non pas que cela lui posait quelque problème : il s'était toujours joué habilement des règles quand cela le servait bien, cependant, s'il voulait profiter uniquement de la nuit ou accomplir des choses non permises par le code, il ne serait pas seul. L'extérieur était en effet de nuit une bonne occasion d'échapper à l'autorité, et il avait déjà accompli des trocs sous le manteau ainsi… Sans doute était t-il réellement un commerçant et un voleur.

Une autre silhouette se profila, son ombre grandissante en avance sur ses pas, et Mercurius serra les poings en entendant le son des chaussures sur le chemin pavé. L'individu qui causait cette réaction nerveuse était pourtant bien celui qu'attendait Mercurius, puisqu'il s'agissait de Chrysopée qui, alors qu'elle avançait d'un pas digne et détendu vers le jeune homme, arrangeait de nouveau ses longs cheveux blonds vers le côté gauche de son visage, lui donnant cet air noble et affûté qui le faisait tant trembler.
– Tu aimes bien mimer, dis moi, fit Mercurius dans un sourire plein d'ironie, les poings toujours serrés sur ses genoux. Même si tu ne me ressembles en rien ainsi...
– Allons, suis-je donc en disgrâce dans cette allure ? Répondit Chrysopée en étendant les bras.
– Non. Tu as même une certaine classe, néanmoins… Je préfère quand tu laisses retomber tes cheveux sur tes épaules, cela te donne un air plus innocent. J'espère que tu n'es pas venue afin que je commente ton apparence.
– Nullement ! Dit la poupée dans une révérence. Je réponds avec humilité à ton appel, Mercurius.
– J'étais certain que tu viendrais, après ce que j'ai entendu à ton sujet. Il était proprement impossible que tu refuses.
  Disant cela, Mercurius se leva et saisit deux objets enveloppés de tissus qui étaient jusqu'à alors disposé à côté de lui sur le banc. Sa main ganté attrapa le voile noir qui recouvrait l'un des longs objets, le retirant en le déroulant soigneusement pour laisser place à la vision de l'acier. Le jeune noble avait à présent dans ses mains une rapière, et s'approcha de Chrysopée pour lui tendre ce qui était certainement la seconde arme.
– Néanmoins, la question se pose quand au fond de tes pensées, fit le golem. J'ai toujours la ferme conviction que mes mots étaient justement placés lorsque que j'ai considéré ton âme comme celle d'un marchand et d'un voleur. Que ton âme soit hardie au point de défier quelqu'un en duel !… Une telle chose ne semble guère dans ta nature.
– Ca ne l'est pas. Cependant je ne peux accepter une défaite totale. Quand bien même j'ai courbé l'échine en dialogue, j'ai un honneur d'homme à défendre… Je trouve ça puéril moi même, de me battre en duel pour une dame, mais je veux bien accepter cela si ça défend ma fierté.
– Me battre pour mon maître ? Comme cela est ridicule. Je n'ai absolument aucun désir d'obtenir plus d'amour d'elle que je n'en ai déjà !… Non, la servir est déjà amplement suffisant à mon cœur.
Disant cela, Chrysopée révéla également l'arme identique à celle de Mercurius et la regarda avec une fascination que son attitude et sa prestance ne dissimulaient nullement. Sans était-ce la première fois qu'elle tenait un tel objet dans ses mains, même si elle en savait la signification.
– Si j'ai manifesté ma présence en cette nuit, reprit-elle, c'est parce que ma nature me le dicte. Je suis véritablement honorée d'être défiée, rien ne reconnaît plus mon existence, mais je n'ai nul orgueil à nourrir.
– Bien évidemment, souffla Mercurius avec agacement. Cependant je ne suis pas fou, nous nous arrêtons au premier sang… Ah, non, plutôt, à la première éraflure du moindre habit. Dans le cas contraire, cela ne serait pas juste : je n'ai aucune chance de te blesser avec une arme.
C'était la seule solution qu'avait trouvé Mercurius. Il aurait désiré au fond de lui être capable de contenir sa frustration, de l'accepter comme une chose immature et passagère. Il était le futur comte Vinnairse, être aussi sanguin était ridicule… Mais cela était plus fort que lui, quand bien même il savait que dans tout les cas Maria viendrait à apprendre cela et qu'il le regretterait. Mercurius détestait cet aspect de sa personnalité, il préférait largement être un mur indomptable comme Aurium, mais c'était un homme de chair et de sang et qui n'avait en rien les années nécessaires pour que cela ne lui paraisse comme son monde s'effondrant devant ses yeux. Il n'avait jamais eu aucune difficulté à quoique ce soit, et il avait besoin de se prouver que cela ne commencerait pas aujourd'hui. Tapotant la lame dans sa main gauche, il s'éloigna de quelques pas. Cette chose, titan ou pas, n'avait au final réellement que quelques jours d'expérience de la vie, et n'était en rien moins immature que lui...
– Tu n'as jamais fait d'escrime, cependant sache que je me suis dispensé de la plupart de mes cours… Qui plus est, si j'ai bien compris, ta capacité te fera acquérir instinctivement mon expérience, n'est-ce pas? Tu n'as pas beaucoup de chemin à parcourir, cela me paraît donc équitable.
– Je n'y vois rien à redire.
– Cela ne devrait pas durer longtemps non plus, fit Mercurius en se retournant vers elle après s'être éloigné de trois mètres.  Je te donnerai tout de même un avantage… Je devrais te donner deux… Non, trois coups pour l'emporter. Et si tu tombes, je te laisserais naturellement te relever.
Ce n'était pas de l'arrogance. Chrysopée ne s'était jamais battue, contrairement à lui. L'avantage devait être significatif pour que sa victoire ait une quelconque valeur.
– Avant de commencer, continuons un peu notre dialogue d'il y a quelques jours, si tu le veux bien… Si ma compréhension est juste, tu adores Maria, au moins autant que moi si ce n'est plus selon toi. Et la servir est ta plus grande joie, n'est-ce pas ?
– Oui, cela est vrai ! Il n'y a point de sentiment plus pur, car je lui dois tout. L'avenir de ma race même est insignifiant, en comparaison du bien être de mon maître. Il n'existerait pas de plaisir plus exquis que de l'assister pour toute mon existence !
– C'est intéressant, fit Mercurius avec un léger sarcasme, tapotant de nouveau la lame de l'épée. Une goutte de sueur coulait de sa tempe jusqu'à sa pommette. En tant que golem, tu es excellente… Néanmoins tu n'en es pas exactement un. Es tu certaine que tes sentiments, ainsi que leur pureté, resteront toujours les même envers elle ?
– Eh, quoi ? Pour quelle raison cela ne serait-il pas le cas ? Assurément, mes sentiments sont vrais.
– Comment peux tu dire ça en étant synchronisée avec moi ?… Comme tes mots le disent, je suis un escroc. Quoi de plus naturel que tu devienne un chevalier en réplique, si tu es bien l'Antagoniste ? Cependant, je crois que tu fais également une terrible erreur… Je ne pense pas vraiment que tu sois opposée à moi en tout point, non, tu es l'Antagoniste, et pas l'Inverse, n'est-ce pas ? Est-ce que par hasard, tu jugeais que, parce que j'aime Maria, tu devrais la détester ? Si ce cas était vrai, alors ton état actuel serait en effet la preuve que tes sentiments seraient fixes… Mais pour s'opposer à moi en particulier, être un rival amoureux est on ne peut plus parfait, Chrysopée. Qui plus est, ta soumission si ''pure'' également n'est-elle pas une opposition ?
Mercurius semblait reprendre le flot de la conversation en main, ceci même si il ne savait en rien si cela était une bonne idée d'être si provoquant. Ses deux yeux dorés maintenant portés sur lui, Chrysopée adoptait une expression stoïque et sérieuse.
– Puisque je suis un voleur, je désire acquérir Maria. Oui, pas devenir son loyal serviteur, mais la faire mienne, corps et âme entièrement. Toi, tu dis être satisfaite de vivre dans son ombre… En cela nous nous opposons strictement. N'est-ce pas ce que tu désires ? Je me demandais pourquoi tu disais te sentir si bien, ne serait-ce pas car ton cœur est apaisé par cela ?
– Je ne saisis rien à ce que tu dis là, Mercure ! S'énerva finalement Chrysopée, avant de pointer le jeune homme de son épée. Commence le combat, au lieu de déblatérer tes paroles pleines de poison.
– Je crois avoir touché un point sensible. Tu ne le comprends peut-être pas, mais tu as peur que tes sentiments ne soient pas sous ton contrôle. Plus exactement… Tu dois avoir peur qu'un jour, tu en vienne à te synchroniser avec quelqu'un qui te fasse haïr Maria.
– Je crains fort que tes paroles  sombrent dans le ridicule. C'est de mon créateur, de mon maître dont tu parles.
– Tu devrais pourtant passer une main sur ta tête Chrysopée… Tu fais le même visage que moi face à toi il y a peu.
– Silence ! Cria t-elle, avant de poser sa paume sur sa bouche, surprise de son exclamation. Nous devrions commencer à battre le fer dès maintenant…
– Tu as on ne peut plus raison…
Même si cela semblait être uniquement un pari fou sans base solide, Mercurius avait réussi à déstabiliser Chrysopée. Il avait accompli ce qui devait être son talent, en tant que commerçant et voleur. Pourtant, la poupée, frappée d'une expression d'étonnement, touchait son visage de sa paume, visage sur lequel finit par un apparaître un sourire qui n'était pas signe de confiance de soi ou d'arrogance. C'était un rictus de joie et de fascination. Mercurius ne comprenait pas exactement ce bond d'humeur de Chrysopée, qui semblait pour le moins perturbée, mais il n'avait aucune intention de considérer ses sentiments, particulièrement quand il lui avait déjà offert une large marge d'avance. Sans prévenir, il commença le combat, et d'un estoc érafla une partie de la veste de sa poupée, sa lame ne blessant néanmoins pas son corps.
– Deux de plus et c'est ta défaite, fit-il, reculant en arrière après cette attaque en traître. Je ne vais pas te laisser t'extasier.
– Oui, c'est juste… Fit Chrysopée en imitant la posture d'escrime de Mercurius, qui lui donnait bien plus de prestance qu'à lui. Elle passa à l'attaque, et il para aisément. Malgré tout, les coups de combat étaient terriblement brouillon et en rien digne d'éloge, même des plus prosaïques. Un duel d'amateurs qui imitaient des escrimeurs de manière insultante. Chrysopée ne faisait que la même attaque téléphonée qu'était celle de Mercurius, ceci trois fois de suite, même si la dernière était bien plus adroite que les autres. Mais ce qui était plus perturbant, c'était le sourire extasié de la poupée qui n'en finissait pas.
– Ah ! Je me sens tant en vie ! Dieux, quel est ce sentiment ? Batailler avec ma moitié… Me complète absolument !
– Ce n'est pas parce que tu n'as pas besoin de respirer que tu peux raconter des âneries ! Grogna le jeune homme, en vérité réellement effrayé par la folie soudaine de cette poupée lunatique.
– Cette ivresse, cette euphorie !… Comment telle plénitude pourrait s'abattre sur mon âme innocente ? Serait-ce, cela aussi, de l'amour ?
Cette abomination parvenait à présent à bloquer les coups que portait à présent Mercurius. Non seulement parce que ce discours le sortait de sa concentration, mais aussi parce que le fossé entre eux se remplissait trop rapidement… Même s'il était conscient d'être un novice. Le jeune homme et la poupée, dont le niveau d'adresse ne dépassait pas celui de la bleusaille d'un point de vue militaire, commençaient néanmoins à s'asséner des coups dont la violence et le manque de finesse était un véritable crachat au visage de l'escrime impériale. Mercurius tentait d'en finir le plus vite possible, alors que Chrysopée était dans une rage combative véritablement jubilatoire. Ce qui devait arriver, après un échange si maladroit, finit malgré tout par arriver : un estoc passa à travers l'absence de garde du jeune homme et le toucha. Mais il ne s'agissait pas d'une éraflure : la lame avait transpercé un côé de son abdomen, et le jeune noble tomba sur son postérieur sur les pavés, ne se rendant compte que quelques secondes plus tard que du sang jaillissait de la plaie dans sa veste. Passant sa paume dessus avec curiosité, il finit par s'éveiller à la douleur. Le fluide corporel de son ventre lui semblait être comme du feu liquide, et encore une fois, il ne savait pas comment réagir. Des larmes coulaient de ses yeux, mais sa bouche restait ébahie, et fixée dans cette unique expression. Il se sentit défaillir, et la partie supérieure de son corps bascula en arrière, le plaquant dos au sol. Mercurius avait, comme son grand-père jadis avant lui, de poser le pied sur un terrain qui n'était le sien, et était puni pour sa prétention de l'exacte même blessure. Quelle ironie. C'était donc ainsi que l'on se sentait après une défaite totale…
– … Lèves toi, dit Chrysopée, les bras le long du corps, devant Mercurius qui serait bientôt allongé dans une petite flaque de sang.
– Me lever ? Tu plaisantes j'espère ?
– Lèves toi, Mercurius ! Cria t-elle, plus suppliante qu'autoritaire. Cela n'est pas juste ! Je me dois également de te frapper trois fois pour l'emporter !… Et le duel ne peut continuer si tu n'es pas debout.
– Sérieusement ? Fit Mercurius dans un rire qui lui était douloureux. Tu n'as jamais vu de sang avant ?… Je pourrais mourir dans mon état, tu sais ?
Après une humiliation pareille, peut-être méritait-il la mort après tout, aussi soudaine et ridicule soit-elle.
– Tu ne peux pas périr ici ! Gémit Chrysopée, paniqua en lâchant l'arme qui chuta au sol. Son visage était terrorisé. Comment pourrais-je être ton ennemie alors ?
– Tu es vraiment un golem idiot… Comment ai-je pu perdre contre ça… C'est vraiment lamentable.
Par les dieux… Cette blessure était atroce et il se sentait faible. Malgré ce qu'il avait pensé par fierté, mourir ne lui semblait plus désirable. Ou était-ce uniquement l'instinct de survie ? Il voulait au moins revoir les yeux de Maria si il y passait, et pouvoir lui dire tout en personne cette fois… Et au moment où il se disait cela, il avait un visage similaire à elle penché sur le sien et mort d'inquiétude. Le tenant dans ses bras, la poupée ne savait nullement quoi faire devant un phénomène qui lui était totalement inconnu. Avant qu'il ne s'évanouisse finalement, il se surprit à avoir pitié d'elle.

*
Maria n'avait jamais autant détesté être dans le bureau d'un archimage. Une personne aussi scrupuleuse qu'elle sur le règlement n'avait à vrai dire presque jamais eu à se trouver en face d'un mage d'autorité dans ce genre de circonstance, cependant, elle savait aussi que s'en plaindre aurait été le sommet de l'irresponsabilité. Ses erreurs étaient réelles, et elle était prête à les assumer. L'Archimage Esteban Adamas, malgré son titre, avait un bureau de taille assez modeste, de manière correspondante au vieil homme robuste aux mains calleuses qui se tenait assit devant-elle, la chemise blanche qu'il portait ne dissimulant que peu sa musculature qui l'imposait dès un premier regard comme un homme d'autorité, même s'il faisait l'exacte même taille que Maria. Bien que son visage était stoïque, il passa une main sur son crâne chauve, puis sur sa barbe grise et courte, comme si il était embêté par la situation.
– Bien… Commença t-il. Limstella aurait dû te prendre en charge, mais elle n'est pas officiellement archimage avant la cérémonie alors, même si je ne dirige pas ton département, tu es temporairement ici sous ma responsabilité et jugement. Objection à cela ?
– Aucune.
– Récapitulons donc, Maria… Le golem que tu as créé, et sert d'hôte à un titan, s'est retrouvé dans une confrontation avec Mercurius Vinnairse et l'a gravement blessé… Fort heureusement, ce dernier est bien vivant et n'a pas d'organe endommagé en plus de s'en tirer sans séquelle grave, néanmoins, un élève a tout de même été placé en explicite danger de mort. Tu comprends bien qu'un rappel à l'ordre est requis.
– Absolument, cependant, je tiens à appuyer que Chrysopée ne peut en être tenue responsable ! Elle ne comprenait pas ce qu'impliquait son acte, et a même transporté Mercurius en sang jusqu'à moi.
– Il a déjà été considéré que tu avais l'entière responsabilité sur les actes de Chrysopée. Mercurius a également témoigné son implication… D'autant plus que Chrysopée abrite tout de même un titan, nous ne nous permettrons pas pour cela de la détruire ou de l'enfermer. Néanmoins, ces événements nous prouvent un danger potentiel : et si Chrysopée se synchronisait avec un mage puissant ? La situation, si elle tourne de la même façon, pourrait être catastrophique… Prévenir cela va de la sécurité de tous. Mais je ne peux pas confier Chrysopée à un autre mage : ce serait trop hasardeux, et non moins dangereux. En revanche, à partir de maintenant, il est hors de question que tu laisses Chrysopée sans ta propre surveillance. Tu devras également surveiller absolument toutes ses synchronisations, et ne la laisser s'approcher d'armes sous aucun prétexte… Par ailleurs, tu n'as plus la permission d'emprunter une salle pour ce genre de démonstrations publiques, et ceci jusqu'à ce que nous considérions que Chrysopée ne représente en rien une menace. De manière similaire, jusqu'à ce que moi, ou bien Limstella, en décide autrement, il te sera interdit de passer l'examen du 2ème rang. Ce genre de chose arrive fréquemment. Je ne serais surpris que certains désirent éviter à tout prix un ralentissement de la progression d'une mage de ton talent, néanmoins, je considère que toute erreur mettant en danger la vie d'autrui mérite sanction, ceci même si ta carrière fut strictement parfaite avant cela. Je sais que tu as la maturité pour le comprendre, et que ta mère approuvera cette décision par ailleurs.
– Je le comprends, archimage, dit-elle, courbant légèrement l'échine. C'était frustrant, mais étant donné son âge, cela ne semblait pas une punition impitoyable… Maria n'avait rien à redire quant à ce jugement.

Ceci conclut, Maria fut libérée de cet entretien. En sortant du bureau de l'archimage, elle se retrouva nez à nez avec Chrysopée qui, le regard et les épaules abattues, semblait tenter de se faire minuscule alors qu'elle l'attendait dans ce couloir.
– Pardonnez moi Maître ! S'exclama t-elle,  la voix larmoyante. J'ai porté honte et disgrâce sur votre nom…
– C'est pardonné, fit Maria dans un sourire chaleureux avant de soudain enlacer Chrysopée -ce qui ne lui était pas habituel…-. Ce n'est pas de ta faute.
– L'effroi me saisit tant, Maître !… Je ne sais plus dans quel état me qualifier de moi même… Et si j'en venais à ne plus vous aimer ? J'ai envie de mourir quand la pensée me vient. Quand j'ai croisé le fer avec Mercurius je me sentais si satisfaite… Je pensais comprendre l'Antagoniste mais ce n'est pas le cas, point du tout ! Hélas, je ne sais plus ce qui m'arrive…
– Tout va bien Chrysopée. Je vais m'occuper de toi à présent, et je vais répondre à ces questions. Et tu ne devrais pas t'en faire pour ton amour, non ? Si tu crains de perdre ces sentiments à tout moment, alors il n'y a pas de meilleure preuve… Et peu importe ce qui arrivera, je te chérirai toujours, Chrysopée. J'ai placé mes efforts mais aussi mon âme, au sens spirituel, en toi.

Maria avait payé les pots cassés de ces événements, mais ils n'avaient pas été sans fruit. Chrysopée savait maintenant que contrairement à elle les autres pouvaient saigner et dépérir, et à quel point cela était plus terrifiant que ce qu'elle avait imaginé dans les livres, et plus important encore, elle s'était mise à développer des doutes sur sa propre personne, des doutes qui lui amenaient colère et peur et qui la rapprochaient donc d'un véritable humain. Même après s'être détachée de Mercurius, ces émotions subsistaient, même si elle ne les comprenait pas… Cela, en un sens, rassurait profondément Maria. Cependant, pourquoi sur le quelque nombre de personnes déjà testées, la réaction de ce qu'on pouvait nommer son instinct n'avait jamais été si forte qu'avec Mercurius ? Il y avait certainement des degrés différents… Non, la synchronisation n'avait aucune raison de changer, mais peut-être, puisque la personnalité de la poupée n'était pas entièrement soumise à son concept, la réaction quand à la synchronisation elle variait selon une sorte de comptabilité psychologique… La jeune mage avait encore beaucoup de choses à étudier sur Chrysopée.

Malgré tout, il y avait quelque chose qu'elle devait régler également avant toute chose. Même si elle n'en avait aucune envie, car elle avait aussi une part de responsabilité non négligeable dans cet autre problème.
Quelque temps après avoir quitté le bureau de l'Archimage, elle était à présent devant la chambre de l'infirmerie où se reposait Mercurius Vinnairse, en convalescence bien que parfaitement conscient. Maria avait demandé aux infirmiers si elle pouvait le voir, et son état était apparemment assez stabilisé pour une visite. Elle ne voulait pas emporter Chrysopée avec elle pour cette conversation, ce pourquoi elle lui demanda d'attendre ici et de l'appeler si quelque chose n'allait pas. Par la même occasion, elle incanta un sort sur le golem qui lui permettrait de savoir si elle s'éloignait même l'espace d'un instant. Ceci fait, elle frappa donc à la porte et entra pour voir Mercurius, alité, bandé, et enveloppé dans les draps blancs de son lit. Ce dernier tourna son regard vers elle quand elle entra, le regard d'abord plein de surprise, avant de reprendre un peu plus de contenance.
– Je ne m'attendais pas à ta visite…
– Eh bien, me voilà, fit-elle en refermant derrière la porte, l'expression neutre.
– Tu me vois flatté de ta visite, sourit Mercurius, détournant le regard au fur et à mesure que la mage s'approchait. Je suppose que tu es en colère contre moi, n'est-ce pas ?
– Oui, mais je ne suis pas quelqu'un qui giflerait un convalescent pour autant. D'autant plus que c'est également ma faute si cela est arrivé, je tenais donc à m'excuser… J'ai réellement honte de ce qu'il s'est passé.
– Ton golem… Je veux dire Chrysopée, est à l'extérieur, n'est-ce pas ? Pourquoi ne la laisses tu pas venir ? Je m'en moque.
– Je ne pense pas que vous remettre en contact soit une sage idée, du moins pas tant que je n'ai pas une meilleure compréhension de ses changements comportements. Néanmoins, Mercurius, pour ce que je voulais te dire sa présence n'est nullement nécessaire… Après tout, cette histoire n'était pas à propos d'elle, n'est-ce pas ? Mais à propos de toi. Je ne penses pas que tu te préoccupais tant de Chrysopée… Mais plutôt que tu as lancé cette mascarade pour te prouver quelque chose à toi même. C'est pour ça que j'ai envie de te gifler, même si je ne renie pas que rien ne serait arrivé sans plus de prudence de ma part. En tout cas, cette conversation te concerne toi et moi, non Chrysopée.
– Que veux tu dire ?… Demanda vaguement Mercurius, qui sentait que son cœur pendait au bout d'une corde.
– Je suis venue pour te rejeter, dit-elle fermement après s'être raclée la gorge. Même si suppose que ce n'est pas vraiment la bonne manière de le dire… J'ai passé deux ans à t'ignorer, alors que je lisais bien tes lettres.
– Allons, es tu saine d'esprit ? Dit ironiquement Mercurius, malgré un fond de douleur dans la voix. Je suis déjà faible et cela pourrait sans doute m'achever… Au moins mes lettres t'ont plu assez pour ne pas que tu t'en débarrasse.
– J'aime les compliments, surtout bien mis en forme, admit-elle en jouant avec les cheveux de sa couette d'une de ses mains. Et tu écris particulièrement bien, mieux que moi. J'en enrage, mais je suis romantique alors ces archaïsme me plaisent un peu…
– Alors pourquoi un rejet si catégorique ? Sans même un doute ? Tu n'as personne, à ce que je sache, sauf si elle…
– Je t'arrête de suite, le coupa t-elle en croisant les bras. Cet incident t'as peut-être retourné le cerveau, mais évite de m'imaginer dans une relation ambiguë avec Chrysopée. Je préfère laisser tes désillusions malsaines -et plutôt inquiétantes- là où elles sont. Tu as raison, je n'ai personne. Non pas que ce soit grave, ma mère s'est mariée à trente ans après tout, et s'est d'abord concentrée sur l'étude de la magie, mais je l'ai déjà dit : je suis une romantique. Ce n'est pas pour ça que je te rejette… Pour commencer, et je sais que tu détesteras que je le rappelle, tu es bien plus jeune que moi, tu n'étais qu'un enfant à mes yeux quand tu es entré à Axaques. Ensuite et surtout, je n'aime pas ton tempérament par rapport aux autres… Axaques n'est pas une cour politique. Je n'ai pas l'impression que tu ne me connaisses très bien en tant que personne… Avec tes problèmes d'ego, nous nous disputerions tout le temps, et c'est le dernier couple que je voudrais former. Je n'ai aucune envie de répéter ce qu'il s'est passé, par exemple, dans ma famille, et finir seule car j'ai choisi le mauvais conjoint… Enfin, je ne ressens rien pour toi au-delà de la sympathie… Je regrette de devoir dire cela, mais c'est la vérité.
– Tu vas me faire pleurer, vraiment. C'est comme si tu mettait à fondre les débris de ma fierté, Maria… Mais au fond, je m'en doutais. Tu ne m'as jamais vu comme un homme au final et juste comme un cadet.
– Cesse donc d'être soucieux de ta virilité ainsi !… Grogna Maria. Tu vois, c'est ce que cela donne quand nous parlons à cœur ouvert.
– J'ai donc totalement perdu, rit sombrement Mercurius.
– Que tu le formule ainsi me tape vraiment sur les nerfs… Je ne te détestes même pas pourtant, mais parfois tu es…
– Insupportable ? Oh, le mercure est également toxique après tout.
Maria contint un lourd soupir. Mercurius, elle le savait, avait des principes et un certain honneur, une chose qu'elle respectait chez lui même si il fallait admettre qu'il se moquait bien des règles. Il n'était pas mauvais, mais suffisait de faire vaciller son orgueil pour le faire vaciller en enfant capricieux ; le voilà qui serait certainement capable de dénigrer sa propre personne tout en pourtant ce sourire ironique au visage. Elle ne pouvait même pas concevoir l'idée d'être dans une relation romantique avec lui.
– Si c'est tout ce que tu as à dire, alors je ferais mieux de m'en aller. Au revoir, fit-elle en tournant les talons, comptant bien se diriger vers la sortie sur le champ.
– Attends !… Je peux te dire quelque mots avant que tu ne partes, non ?
– J'écoute, mais j'ai la main sur la poignée.
– Tu as visiblement toujours su ce que tu pensais de moi, en plus de ce que je pensais de toi… L'inverse n'est pas vrai, du moins ne l'était pas jusqu'à maintenant.
– Et donc ?
– Il a fallut cette satanée poupée pour y changer quelque chose… C'est un vrai fauteur de trouble, n'est-ce pas ? Et elle y prend du plaisir, en plus. Mais c'est peut-être mieux que l'ignorance. La prochaine fois que tu as un gentilhomme comme moi aux basques, tente d'être moins polie avant qu'il ne s'empale en ton nom.
– … Tu as peut-être raison, admit-elle. Je ne suis pas très adroite quand la romance sort de mes livres, néanmoins… Ne blâmes pas les autres pour ton caractère. Et d'ailleurs, un gentilhomme ? Et puis quoi encore ?

Sur ces mots, elle sortit et referma la porte derrière elle. L'espace d'un instant, elle s'interrogea sur le sourire que Mercurius portait durant la conversation… Etait-ce juste une façade où était-il... heureux de s'être battu, du moins d'avoir obtenu des résultats de ce conflit, même au prix d'une blessure ? Maria Limstella Boldgate secoua sa tête, repensant à ses idées le jour même de la création de Chrysopée. L'opposition pouvait en effet réveiller quelqu'un -surtout à la fierté mal placée- ou bien débloquer une situation par le chaos, mais ce moteur ne valait pas la peine de mettre son intégrité physique ou sa vie en jeu, si chevaleresque cela paraissait. Mercurius aurait pu mourir, et il n'y a aucune évolution possible six pieds sous terre… Pour autant, est-ce que la particularité de Chrysopée pouvait-être utile bien utilisée ? Ces pensées en tête, elle fixait Chrysopée, qui pencha son visage sur le côté d'un air interrogateur et innocent.
– Je suppose que tu n'as pas de réponse à mes questions ? Soupira t-elle. Les recherches sont loin d'être terminées.
DALOKA
DALOKA
Grand Cracheur d'encre

Messages : 2271
Date d'inscription : 01/12/2010
Age : 27
Localisation : Près de toi, toujours très près de toi 8D...

Feuille de personnage
Nom des personnages: TROP

Revenir en haut Aller en bas

One Shot du Daloka des forêts - Page 2 Empty Re: One Shot du Daloka des forêts

Message par DALOKA Jeu 26 Déc - 18:12


Marianne



– Nikolas Gilabert ?
– Disparu.
– Stav Roussa ?
– Il a tenté de fuir lorsque tout a tourné au vinaigre… Ce monstre de Miguel l’a poignardé sur le champ. Pauvre gosse...
– Victor Agramonte ?
– Décapité lors de l’attaque des Fauconneaux.
– Antonia Galana ?
– Une jambe infectée, on a pas pu la sauver. Elle est morte de ses blessures hier soir.
– Nous y sommes depuis cinq minutes lieutenant. Mieux vaut que nous parlions directement de ceux qui sont encore en vie.
– … Bien monsieur.
Le lieutenant Nikitas prit une inspiration, ses doigts tremblant en tenant la liste. Alors qu’ils étaient dans une maison de campagne miteuse, Lupe se rangeait derrière son bureau de fortune, impassible. Le lieutenant parcourut les noms en ravalant sa salive. Le chanceux avait survécut à l’opération, mais en était visiblement terriblement affecté. Tiendrait-il le coup ? S’il n’en n’était plus capable, cela s’avérerait problématique…
– Didac Casaus, Anthony Calazas, Justin Romero et son frère… Tous revenus intacts. Et on a récupéré Margarita Pepide ce matin… Oh… Oh putain…
Nikitas sanglota. Il était vieux, bien trop vieux pour ça. Lupe aurait cru que son expérience de soldat  le rendrait solide, mais cela n’avait rien à voir avec la guerre qu’il avait mené contre l’Empire.
– Vous l’avez récupérée? Vous voulez dire qu’elle a été capturée ?
– Oui, mais elle est revenue d’elle même. Ces salauds, ils l’ont attrapée pour la faire parlée, et loin de se contenter de la tabasser et de lui arracher des dents… La petite... Ils l’ont… Les fils de…
– Pas besoin de ce genre de détails lieutenant, dit Lupe en levant la main. Dire cela ne vous fera pas du bien, et n’est pas le plus important.
– Pas le plus important ? C’est pour ça que j’ai toujours été contre les femmes à l’armée ! Pas le plus important vous dites? Merde ! Moi j’en ai la gerbe…
– Calmez vous lieutenant. C’est la guerre. Son sexe et son âge n’ont strictement aucune importance… Comment se porte t-elle ?
– Elle est en vie, et… Prête à retourner au combat.
– Bien. Je la verrai cet après midi, elle a un rapport à me faire en personne sur son évasion et mérite quelques félicitations. Elle a traversé l’enfer.
– Je ne comprends pas comment peut-elle vouloir y retourner aussi aisément.
– Alors c’est que vous n’avez plus cette flamme que la prochaine génération a, lieutenant. Je pense qu’il n’est plus la peine que vous participiez à de telles opérations… N’est-ce pas ? Allez vous reposer.
– J’en suis désolé, commandant. C’est trop…
– Vous pouvez aider la cause de multiples façons, ne vous sentez pas coupable.
Le lieutenant Nikitas partit, laissant Lupe seul dans son bureau obscur et poussiéreux. Il soupira, passant sa main dans ses cheveux courts… Il demandera à Miguel son propre rapport, interrompre ici la conversation était plus sage.
D’autant plus qu’il savait déjà avoir perdu deux tiers de ses hommes.

*

En 1870, Lupe rentrait d’une mission importante à l’étranger. Une mission dangereuse à Scarrath qui impliquait des naosiens et une secte de fanatiques de dieux déchus. Folle histoire.
Il avait quitté sa maison plus d’un an. Lorsqu’il partit, sa femme avait un nourrisson dans les bras, une fille. Marianne Andromes était une créature âgée de deux ans lorsqu’il la tint à son tour enfin dans ses larges mains, alors qu’il réalisait enfin réellement l’existence de sa propre fille.
– Ca alors, écarquilla t-il les yeux, se tournant vers sa femme au visage rayonnant. Elle a ton nez.
Ce n’était pas du tout le cas, comment pouvait-il comparer le visage d’une si petite chose à celui d’une adulte ? Mais la remarque fit plaisir à sa femme. Il était absent depuis si longtemps, il devait montrer qu’il prêtait attention, qu’il était ému, et heureux. Voilà quel était son rôle en tant que père de famille.
La petite créature riait en agitant ses bras. Elle ne vit pourtant pas son père pendant la majorité de sa brève vie, il s’attendait à un accueil plus rude. Ses mains petite et potelées tentaient de toucher son visage bien trop éloigné.
C’était étrange.
Lupe s’était préparé en tout point à assumer le rôle de figure paternelle comme son père l’avait fait avant lui, donnant à son pays une future magnifique femme qui donnerait à son tour de futur magnifiques enfants. Telle était la loi de la nature, cela allait de soi. Mais alors qu’il tenait le petit animal fragile, il ne put nier son émotion et réprimer son sourire, un sourire honnête ce fois.
Elle était si fragile.
Tellement qu’il avait peur de la briser.
Et pourtant tout les pères devaient protéger ces enfants, jusqu’à jour où ils seraient flétris, tremblants, pourris dans leur corps et leur cervelles. Lupe ne put s’empêcher de voir en cela une forme de beauté.
La créature qu’il devait protéger. Sa Marianne.
Il se laissa porter par ce sentiment de béatitude naturel, sain, et par dessus tout, juste, lui qui n’avait jamais trouvé les enfants autre chose que laids.

*

Lupe dénicha Miguel, hélas ce dernier ne pourrait pas lui rendre son rapport.
Après tout, il gisait actuellement au bout d’une corde. L’ancien agent de la Veille patriotique, le colosse parmi les meilleurs, s’était pendu sans dire un mot à qui que ce soit à une branche assez solide pour supporter son poids. Le pauvre larron avait le visage déformé par l’asphyxie, accentuant encore plus la laideur de ses traits rayés de cicatrices. Quoiqu’il avait toujours été affreusement laid, le Miguel, monstre de muscle comme de graisse à la mâchoire immense, aux regard affreusement vide et fixe, à la voix insupportable. Se pendre n’avait pas changé grand-chose.
A ses pieds était assit Joseph Sévérin-Marceau, au contraire plutôt beau malgré son œil en moins et sa barbe de trois jours. Un homme élancé et musclé, de bonne éducation, qui n’aurait clairement pas été resté célibataire dans d’autres circonstances que la guerre.  Il observait le spectacle du géant pendu, image surréaliste, sans aucune émotion sur son visage.
– Comment cela a pu arriver ? Souffla Lupe sans détacher son regard.
– Je me disais la même chose, répondit Joseph. Pense-tu ? La machine à tuer de la Veille finit ses jours ainsi. Je ne savais même pas qu’il avait des sentiment…
– C’était le meilleur de notre formation, j’ai étudié à ses côtés. Mais il faut croire qu’il avait ses faiblesses.
– Regarde le donc ! Fit Joseph dans un rire amer. Lui même qui me disait d’avaler mon poing quand je refusai de pactiser avec les vampires pour conserver notre couverture à Fanglen. Il faut croire que ce n’est pas si aisé de serrer les dents lorsqu’on vend sa morale : détendez votre mâchoire et voilà votre âme qui s’en va.
– Une idée de ce qui l’aurait fait craquer ? Quelque chose de particulier ?
– Rien n’était particulier pour Miguel. L’assassinat ? C’était exécuté. La torture ? Pas de problème. C’est un vieillard ? Une femme ? Un enfant ? Je m’en charge.
– Tu étais avec lui et Nikitas, et tu le connais mieux que le vieil homme. Tu as bien une idée.
– La dernière chose qu’il a fait, c’est tuer Stav. Le garçon d’origine scarrath, à peu près 17 ans… C’était un traître, tu le sais ?
– Nikitas n’en a pas fait mention… Cela explique l’arrivée inopinée des Fauconneaux, il a dû vendre notre plan à l’Empire.
– Nous l’avons découvert alors qu’il tentait de prendre la fuite, et l’avons rattrapé… Il fallait le tuer, mais personne ne se portait volontaire et le temps comptait. Miguel s’est désigné. Il voulait le faire lui même, sentir la jeune chair mourir sur le fil de son couteau. En bonne et due forme, il l’a égorgé.
– Avait-il une relation particulière avec Stav ?
– Lui ? Non. Si je dois expliquer cela… C’est que c’était la goutte qui a fait déborder le vase. Miguel était un type robuste, mais pas insensible dirait-on. Aussi grand soit son corps, il y a une limite aux horreurs qu’il peut contenir. Pour la cause, il accumulait, accumulait, goutte à goutte sans jamais rien rejeter… Ce qui devait arriver arriva, il explosa. Et on en est là… Je me demande ce qui lui traversait l’esprit. En quinze ans je ne l’ai pas considéré comme mon ami, pas une fois. Peut-être aurais-je dû.
– Aide-moi à le descendre, nous allons l’enterrer maintenant.
– Comment ça maintenant ? Se leva Joseph, étonné.
– Il n’y a personne, dépêchons nous. Je ne peux pas le faire seul, le bougre est bien trop lourd.
– Attends Lupe, je ne te suis pas… Cet homme, qui a sacrifié tout pour waien, n’aura pas de funérailles correcte ?
– Miguel était inflexible en toute circonstance, je ne peux laisser son image être ternie. Cela affecterait trop le moral des troupes.
– N’était-ce pas ton ami ? Ton camarade ? C’est ça qui te préoccupe, le moral des troupes ?
– Joseph, répondit Lupe, l’air grave en posant une main sur l’épaule de Joseph. Miguel était mon ami, mon frère d’arme. Je veux qu’il soit mort comme il a vécu, en patriote. C’est ma façon de le respecter, et c’est ce qu’il aurait souhaité.
Le borgne resta silencieux un instant. Lupe lut dans ses pensées aisément : Joseph hésitait à le frapper. Et Lupe se laisserait faire, si c’était ce qu’il fallait pour déchaîner ses émotions. Se prendre un coup de poing par un lieutenant n’était pas un problème tant que personne ne le voyait.
– Lupe, qu’est-ce que nous sommes exactement ? Dit finalement Joseph. Avant, j’étudiais pour me lancer dans la politique. Je voulais changer les choses, offrir plus de droits aux citoyens, combattre les dogmes, faire en sorte que chacun puisse s’émanciper de sa condition pour devenir ce qu’il souhaite. Je voulais me battre pour ce futur ! Et que reste t-il de ça ? Je désirais la liberté et le progrès, à présent je fais des compromis avec des bandits, avec des monstres mangeurs d’hommes, et j’envoie moi même à la mort des enfants qu’on aurait jamais laissé rejoindre l’armée auparavant! Mon père était juge, je croupis dans un maquis. J’avais la tête pleine de rêves, je piétine ceux d’autrui  et je ne fais plus que des cauchemars. De toute la dignité que j’ai pu avoir dans ma vie, il ne reste que des miettes. Alors dis moi Lupe, que suis-je ?
Lupe soutint le regard de Joseph, et lui répondit sans hésitation.
– Un soldat, Joseph. Voilà ce que tu es.

*

Le jour avant l’opération, Lupe en discutait encore les derniers détails. Il s’agissait du kidnapping d’une aristocrate en visite à Childil. Miguel et Nikitas livreraient l’assaut avec leur groupe dans la ville grâce aux informations obtenues de leurs espions, lui et Joseph attendraient cachés sur la route d’échappatoire… Lupe n’était pas dupe, même si c’était son propre plan, c’était un choix risqué.  Tout pour avoir un otage, et pour la symbolique aussi.
Joseph lui faisait face sur la table où était étalé un plan dessiné de Childil. Levant le regard du plan, il changea de conversation lorsque tout fut clarifié.
– Ta famille va bien ?
– Pourquoi cette question Joseph ? Répondit Lupe, interloqué. C’est une affaire privée.
– Vous habitiez à Childil avant, et tu n’as pas l’air de partir leur rendre visite, où qu’ils soient.
– Tu sais très bien que ce n’est pas possible. J’ai trop de responsabilités ici, et je suis recherché.
Qui plus est il n’avait pas à se poser ce genre de questions : même lui ne savait pas où se cachait sa famille, qu’il avait dissimulée sous de faux noms dans un lieu paisible au sud du pays…
– J’essaye d’être sensible, fit Joseph en tournant la tête vers le colosse qui attendait à la porte de la tente, comme une gargouille. Pas comme lui.
– Me voilà touché Joseph, dit Lupe avec un grand sourire. Mais c’est inutile, vraiment. Une fois que nous aurons récupéré nos droits, j’aurais tout le temps d’embrasser ma femme et ma fille.
Ces mots prononcés, il alla voir Miguel qui était trempé jusqu’aux os. Une pluie battante ravageait l’extérieur.
– Ils t’attendent tous, dit-il de sa voix grave et sèche, à peine humaine. Tu devrais leur faire un discours… La moitié n’ont jamais fait une telle opération. La plupart sont des civils.
– Tu as raison. Je vais improviser quelque chose… La journée risque d’être difficile.
Il sortit sous le torrent extérieur, laissant la pluie tremper ses cheveux, couler sur son visage et le long de sa redingote.  Des dizaines de silhouettes l’attendaient groupées avec impatience, et Lupe les dévisagea une à une. La plupart étaient des civils. Le temps étaient difficiles, seule une petite portion d’entre eux étaient d’anciens soldats, et les anciens agents de la veille étaient encore plus rares… Ils formaient toujours des agents, mais les conditions rendaient leur entraînement difficile. Il fallait faire avec les moyens du bord, improviser.
Il devait leur improviser un discours. Quelque chose pour les faire rêver. Rêver était important quand on allait très probablement mourir. Il contempla ces têtes courageuses qui avaient sacrifié leur sécurité pour se battre au nom de leur liberté et de Waien. Marianne avait 18 ans cette année. Plus d’un tiers d’entre eux étaient plus jeunes qu’elle… Tous des enfants. Leurs visages étaient si purs, si ingénus. Pas de rides, presque pas de barbe pour les garçons. Tous des Mariannes.
Ils allaient mourir, très probablement, même en cas de succès. Son plan était à ce point risqué. Toutes ces Mariannes allaient être broyées par la vie jusqu’à ce qu’avec leur sang et leur pus l’âme fut éjectée de leurs carcasses, alors que lui devait persister pour la cause et continuer son rôle de commandant. Était-ce normal ? Ou plutôt, était-ce juste ? Il devait, en tant que père, les protéger. Par ses actes, il les assassinait.
Et pourtant, cela était juste.
C’était le rôle des pères que d’offrir aux enfants un meilleur futur. Une tâche bien plus digne que de simplement les protéger. Il les tuait, mais sauvait leur liberté. Les valeurs du pays devaient être défendues quoiqu’il arrive, car elles garantissaient l’avenir des générations futures… Il ne pouvait pas se limiter à un point de vue basique. Pour tout autre homme, protéger viscéralement ceux qu’il voyait sous ses yeux était noble et admirable, mais le commandant, lui, devait voir à travers ces corps, à travers la vie, afin de protéger quelque chose de plus grand.
Laissant flotter un silence devant ses troupes, Lupe retira ses lunettes, les essuya, les replaça sur son nez.
– La cible que nous devons capturer est Eliane Friedsang. Vous connaissez peut-être vaguement ce nom par des légendes, des belles histoires d’hommes affrontant des monstres… Néanmoins, cette jeune femme est également une lumieuse, le gratin de la noblesse, descendante d’Haynailia Ier. En bon terme avec le Grand Diplomate, d’une famille qui s’est faite propriétaire de terrains à l’ouest de la capitale. De la terre Waienne.Ce sont des gens comme cela qui dirigent le monde. Des hommes et des femmes à la grande histoire, une histoire vieille de plusieurs siècle qui leur donne le privilège de régner sur ceux à la lignée insignifiante. Pour eux, le passé est divin.
Qu’est-ce que cela fait de nous mes amis ? Des gens nés pour faucher leur champ, cultiver leur pain, le servir dans leurs plateaux. Des gens nés pour écouter sans répondre. Des gens dont l’avenir est aussi insignifiant que le passé.
Leurs visages étaient graves. Il avait excité en eux la colère.
– Si c’est ce vous êtes dites moi, pourquoi êtes vous ici ? Sous cette pluie, les armes prêtes à être saisies ? Pourquoi n’êtes vous pas auprès de vos moulins et de vos ateliers ? Vous le savez. C’est parce que vous êtes des braves. Si vous m’écoutez à l’heure actuelle, c’est parce que vous avez refusé d’endurer, vous avez refusé de plier ! L’Empire se moque de nos piètres 90 ans d’histoire, comme si nous n’étions que des enfants. C’est parce qu’il nous craint. Nous seuls sur tout le continent, nous avons renversé les dogmes des naissances ! Nous seuls avons permis au travailleur de décider de son destin ! Nous portons en nous le sang de Waien, une histoire brève par sa durée, immense par sa grandeur. C’est cela que vous a choisi de défendre, et c’est parce que vous avez choisi de le défendre que vous êtes des braves.
Il mentait.
Ils n’avaient rien choisi, mais avaient été convaincus par cette force superbe qu’était le patriotisme. Par ses paroles. Voilà comment l’on menait une guerre. Mais il était nécessaire de les faire se sentir importants, grandioses.
Il pouvait en rajouter.
– Dans douze heures vous serez au beau milieu du camp ennemi. Un combat sanglant éclatera à l’instant ou vous poserez la main sur votre cible… Le sang coulera. Pourtant, lorsque je vous vois, ma confiance en notre réussite est totale. Je sais que, qu’importe les obstacles, vous redresserez, comme vous vous êtes redressés après la défaite du pays ! Je sais que vous n’avez pas abandonné, que vous affronterez la mort même avec ses yeux de glace, que vous faites confiance en vos camarades, et vous soutiendrez les uns les autres jusqu’à la fin ! Mais, plus que tout, je sais que même dans le trépas vous resterez dignes, et serez à jamais immortels à travers les mémoires comme à travers les royaumes des dieux. Vous êtes des grands, de la trempe des révolutionnaires. Vous êtes des héros.
C’était faux.
Personne ne se souviendrait de leurs noms, ils n’étaient personne. Malgré leurs regards passionnés, leurs yeux émus, ils n’étaient que des fonctions pour la nation. Des engrenages essentiels, mais qui s’effaceraient des mémoires. Un héros ne pouvait pas être un anonyme.
Dramatiquement, Lupe leva bien haut les bras comme pour attraper un rêve de ses mains. Il n’y pensa pas de suite en faisant ce geste, mais il eut l’espace d’un instant l’impression d’avoir Marianne entre ses doigts, si petite, si douce, et faible.
Il faisait tout cela également pour elle, son plus profond désir était que sa fille vive dans un monde où Waien était Waien, pas une chose sous le joug des aristocrates. Pour sa Marianne, Lupe était prêt à en jeter dans les flammes des dizaines, des milliers. Les Mariannes devant lui, qui buvaient ses paroles. Les Mariannes de ses ennemis. Pour sauver la sienne, il était prêt à voir mourir toutes les autres.
– Mes amis, notre guerre est une guerre de libération, une guerre juste. La bannière glorieuse de notre ancêtre, Arnalion Posthelios, flotte au dessus de vous ! Votre objectif est l’annihilation du pouvoir impérial en votre maison !
Et enfin, il conclut sur un salut militaire que le groupe porté par ses mots, le torse bombé, lui rendit communément.
– Vive Waien !
Il dit, et ils répétèrent en chœur.

*

Miguel fut enterré dans le secret, accueilli dans une fosse boueuse et isolée, éloigné du camp où se reposaient ses camarades blessés. Selon la version officielle, Miguel Antonio Alba aurait été envoyé accomplir une mission top secrète, serait capturé, et mort en prison sans avoir laissé échapper un seul mot, même sous la torture. C’était gros, mais personne n’avait aucun moyen de le vérifier, et il avait finalement convaincu Joseph de rejoindre sa version des faits.
Son vieux camarade deviendrait un exemple de patriotisme, pas de lâcheté. C’est ainsi que les choses devaient être. Des funérailles sans cadavre et dans une meilleure forme seraient organisées plus tard.
– Je ne sais pas pourquoi je t’ai aidé, rit Joseph qui contemplait avec tristesse l’absence de pierre tombale. J’imagine être allé trop loin dans le combat pour reculer à présent...
– Tu es un type bien Joseph, tu sais ce qui doit être fait.
– Je me le demande… L’opération était un fiasco total, l’aristocrate s’est échappée, et on peut s’estimer heureux de ne pas avoir vue notre cachette débusquée.
– Nous allons tout de même devoir retourner à Fanglen, c’est plus prudent. Si nous sommes attaqués dans les prochains jour, nous sommes morts… A Fanglen, les autorités sont dépassés par les événements. Nous allons rester calmes un moment, le temps de recruter des nouveaux.
– Des nouveaux ordres du haut commandement ?
Lupe ne put s’empêcher de rire légèrement en entendant cela, alors qu’il bourrait une pipe pour y mettre feu d’un sort d’étincelle. Sans répondre, il prit une puis deux bouffée.
– Il n’y a plus de haut commandement Joseph. Ce sont des vieillards qui ont lâché l’affaire, pour ceux qui n’ont pas été arrêtés. Je n’ai reçu aucun ordre depuis un an.
– Alors depuis le début ces opérations sont ton initiative ?
– Naturellement. J’essaie de prendre contact avec les autres branches… Celle de Drundalore n’est plus. Reste Chênefort, Faranoth, Caraldis, et nous à Fanglen. Je ne peux pas annoncer de suite que nous allons devoir nous débrouiller sans les anciens…
– Il faudra bien le faire un jour.
– Bientôt Joseph. Après une défaite, le temps serait mal choisi.
– Je l’imagine bien…
– Au fait… Fit Joseph, songeur, le regard de son œil unique plongé dans le vide. Que deviens ta famille ?
– Nous avons déjà eu cette conversation, non ?
– Possible.
Et Lupe n’avait toujours pas à répondre quoique ce soit. Un long silence s’imposa, Lupe consommant le tabac de sa pipe alors que Joseph se taisait, ne semblant attendre aucune réponse particulière. Peut-être était-ce leur minute de silence à ce bon vieux Miguel, qui n’avait pas de famille lui. Un vrai patriote, Miguel. Il n’avait qu’une Marianne : son devoir.
– Ma fille me déteste, rit Lupe, brisant soudainement le silence. Il rit avec ironie, comme s’il prononçait quelque chose d’absurde. Pour elle je suis un monstre, c’est ce qu’elle m’a dit dans sa dernière lettre. Un imbécile d’homme qui ne pense que par l’épée.
– Mince… Tu dois avoir envie de lui coller une gifle.
– Non, pas particulièrement. A vrai dire, peu importe ce qu’elle peut bien penser de moi… Cela n’a jamais été ma préoccupation. En tant que père, il faut faire ce qui est bon pour ses enfants avant toute chose, qu’importe ce qu’ils pensent. C’est mon rôle… Par ailleurs, nous devrions y aller. On va s’interroger sur notre absence.
Lupe tourna les talons et rebroussa donc chemin. Il repensait, amusé, aux mots pleins de biles de sa fille naïve. Sa Marianne qui ne connaissait pas le monde, quand bien même était-elle lettrée, intelligente, brave, et il n’en doutait pas, magnifique. Peut-être qu’un jour, lorsqu’il aurait sauvé sa Marianne, lorsqu’elle aurait un peu plus grandi, elle comprendrait que tout cela était pour elle.
– Eh, Lupe, l’interpella Joseph derrière lui.
Lupe se retourna, haussant un sourcil.
– Et toi, tu aimes ta fille ?
– Bien entendu.
Quelle question idiote.


Dernière édition par DALOKA le Mer 14 Avr - 10:52, édité 2 fois
DALOKA
DALOKA
Grand Cracheur d'encre

Messages : 2271
Date d'inscription : 01/12/2010
Age : 27
Localisation : Près de toi, toujours très près de toi 8D...

Feuille de personnage
Nom des personnages: TROP

Revenir en haut Aller en bas

One Shot du Daloka des forêts - Page 2 Empty Re: One Shot du Daloka des forêts

Message par DALOKA Jeu 23 Jan - 11:34

Au bout de leurs chemins


Le 12 Juillet 1874, le lendemain de la terrible bataille de Futsei que l’on nomma le Crépuscule d’émeraude, l’Empereur Laurence d’Haynailia, neuvième souverain de l’Empire, mit à genoux les chefs des clans bériliens et les intégra à sa nation. Par cet acte, il unifia toutes les provinces du continent d’Eclipse, demeure des hommes, ainsi que toutes les îles alentours à l’exception des archipels Naosia et Kobolds. Ce jour là, le conquérant déclara solennellement la fondation de l’Empire Haynailien d’Eclipse. Débuta alors une ère de prospérité, enrichie par le libre échange, et couronnée de paix. Tous n’apprécièrent pas le début de ce règne, mais nul ne fut apte à contester le pouvoir de Laurence, Roi de lumière, élu à l’esprit d’aigle et au cœur de dragon.

Voilà ce que l’on inscrivit dans les livres d’histoires, comme le début d’une nouvelle ère. Les frontières furent déchirées, et les prosélytes de la lumière de l’Empereur furent autorisés à parcourir tout les pays. Des mécontents furent fait, mais qu’était donc l’humiliation, face à la richesse, la paix, et un meilleur futur pour ses enfants ? Le peuple fit son choix, certains plus vite que d’autres. Une nouvelle génération s’accoutuma à l’Empire, mais ce ne fut pas le cas pour tous. Certains ne digéraient pas la défaite, d’autres aspiraient de retourner à certaines traditions. Leur souvenir de leurs nations était bien trop vif.
Mais d’autres encore, en voulaient à l’Empereur pour des raisons que le soldat ou le citoyen ne sauraient comprendre.


1888, fin de l’hiver. L’Empire avait déjà treize ans, et à Gahartelle venaient certaines des personnes les plus importantes du monde, à l’occasion d’une audience impériale. A cause de la taille gigantesque de l’Empire, il fallait souvent attendre un mois pour se faire entendre, qu’on dirige une région ou non. Quant aux conseils impériaux, en temps de paix, il n’y en avait plus qu’un par année,  et il s’agissait d’immenses réunions ou parler était impossible pour ceux qui ne possédaient pas comme terres l’équivalent d’un petit pays, ou de titres aussi glorieux que cela. Mais pour ce qui était des audiences importantes, l’Empereur recevait dans sa salle du trône, et cette dernière valait bien le regard.  
Proche du sommet du palais, faisant dix mètres de longueur pour douze de largeur et treize de haut, le plafond de cette salle était en verre et en armatures d’or, construit grâce à l’ingéniosité d’artisans mages. La lumière du soleil inondait librement la salle de jour, et de nuit l’on pouvait admirer les constellations du ciel. Cette salle du trône était un jardin intérieur, où sur les côtés coulaient de l’eau cristallines, et s’épanouissaient des fleurs de milles couleurs. Sur les piliers de marbres couraient des belles vignes, à l’exception du pilier central, gravé sur presque toute sa surface. En or et on marbre, l’on y trouvait des reliefs de guerriers le corps à demi nu, de belles femmes, et au dessus d’eux, l’Empereur Laurence vêtu de son armure, chevauchant l’épée en main. Au fond de la salle se trouvait le fameux trône d’argent, hissé sur une haute estrade ronde de pierre taillée. Ainsi, séparé par dix marches du sol dallé, Laurence dominait toute l’assemblée, quelque soit son rang social. Tout le palais de Gahartelle était magnifique, mais cette salle qu’il avait lui même commandé était particulièrement à son goût, même si son entretien demeurait coûteux. C’était le Salon de Guerre, disaient les aristocrates, le symbole ultime de la suprématie du dirigeant. Le souverain se tenait assit, habillé d’un long manteau bleu et or, son bras unique reposant sur l’accoudoir du trône d’argent qui s’achevait dans la figure d’un dragon rugissant. Il avait le bon teint d’un jeune homme, des cheveux d’or et des traits délicats de femme, un grain de beauté sur sa joue droite. Ses longs cheveux blonds reposaient sur ses épaules, renforçant son aspect androgyne et son éternelle jeunesse, et ses yeux verts étaient plongés dans le vague. Son regard, perçant droit devant lui, ne rencontrait nullement celui des courtisans et des puissants qui, une bonne dizaine dans la salle, attendaient l’occasion de parler alors que les gardes en armure dorée les fixaient, stoïques, hallebardes au poing. A côté de Laurence, les habits noirs et les cheveux blancs bouclés, le prince Lysander, qui était un bel homme robuste,  se tourna vers son père. Il était dans la salle le seul au même niveau que lui.
– Père, les audiences commencent.
Laurence fut tiré de sa rêverie, et baissa ses iris, reposant sa joue contre son poing. Le chambellan, qui avait dans ses mains un long parchemin de notes, se mit à déclamer à voix claire le nom du premier quémandant. C’était un bérilien au haut chignon, un Longois nommé Wang Tao. Quand son nom fut prononcé, il s’avança jusqu’au pied des marches du trône d’argent, courba poliment le cou, et commença.
– Votre majesté Laurence d’Haynailia, j’ai accompli un long voyage pour vous parler. La situation à Bérilion est on ne peut plus inquiétante.
– Et les clans ne purent rien ? Ou bien peut-être s’agit-il d’eux même qui causent le trouble.
– Vous voyez juste.
– J’imagine donc que les autorités impériales sur place n’ont pas suffit. Je t’écoute.
– Depuis que le jeune chef du clan Nerimazu, Jin, règne sur leur terre en tant que noble légitime, ils produisent un sombre commerce. Ils importent des marchandises de Quintes, et en font des armes… Malheureusement leur secret est bien gardé. Mes maîtres, les Long, ne purent leur faire avouer la vérité. Il faudrait pour cela une pression supplémentaire.
– Vous voudriez donc que je leur adresse quelques mots… Très bien, abrégeons cette conversation. Je leur enverrai une missive, et Jin se rendra lui même ici pour me parler de tout cela. En cas de problème, nous enverrons des mercenaires familiers avec le terrain. Au suivant, à présent.
Un cycle qui se répétait depuis des années. Des seigneurs locaux insatisfaits, des machinations, des fausses menaces. Et tous pliaient rapidement, même s’il fallait les traîner devant ses pieds. L’aspect heureux de tout cela était que la fréquence de ces affaires avait diminuée… De plus en plus de vieux seigneurs étaient tombés, et les jeunes rebelles téméraires ne savaient pas faire long feu face à un empire organisé. Même si à bérilion, c’était une autre histoire. Peu d’hommes de l’Empire désiraient un transfert si loin de chez eux, et ses soldats ne parvenaient à y travailler correctement. Néanmoins cela était majoritairement une question d’administration, de problèmes commerciaux et de petites ambitions personnelles. Des choses bien éloignées des événements du Crépuscule d’émeraude. Laurence était lassé. Il s’asseyait pourtant ici depuis des années pour écouter ce qu’on lui rapportait du monde, mais même lui avait cessé de voyager depuis un moment. Les sables de scarrath, les pics et les bêtes du nord, les belles villes d’orient, tout cela avait depuis longtemps cessé d’être une aspiration.
L’audience ne dura qu’une heure. Laurence expédia rapidement les requête, comme il savait si bien le faire. Ceux qui venaient avaient habituellement une requête claire en tête, et le plus gros du travail serait d’envoyer les missives et de choisir les hommes pour régler les divers problème. Quand la salle fut vidée, Laurence observait de nouveau le vague devant ses yeux.
– Père, le réveilla à nouveau Lysander. Je vois bien que tout cela vous fatigue… Si vous le voulez, demandez moi de prendre des audiences à votre place. Cela est permis par les anciennes lois.
Lysander. Au combat féroce comme un lion, et pourtant, bon et loyal comme le plus doux des animaux. Laurence ne connaissait guère son fils, pas plus que ce que Fryma lui en avait dit. Il était même plus proche de Dénia, sa belle fille, avec qui il avait chassé plusieurs fois en Beremor et en Rokk. Pourtant, il savait que Lysander ne disait pas cela par désir d’être plus représenté à la cour. La politique l’embarrassait. A la place, il faisait cela par soucis pour son père. Que c’était étrange. Comment pouvait-il même le considérer comme son père ?
– Tu as bien d’autres tâches à accomplir, répondit Laurence en se relevant. Et je sais ce que certains racontent. « L’Empereur ne sort plus de Gahartelle ». « Peut-être va t-il disparaître du jour au lendemain, comme l’Empereur Sans Nom ». « Peut-être a t-il peur du Corbeau ».
– Ce sont des racontars d’aristocrates. Des idioties crachées par les Vinnairses ou les Rosentia parce que vous manquez un dîner superficiel. Le peuple, lui, vous vénère comme un dieu. Tous se souviennent encore de votre grand tour du continent !
– Une réussite politique, en effet. Cependant, je ne tolérerai pas que l’on prolifère des mensonges sur ma faiblesse. Je sais comment l’Empereur Sans Nom est mort, contrairement à eux, et si je craignais le Corbeau, j’aurais renforcé la garde du Palais.
– Pourquoi ne me demandez vous pas de traquer cet homme, cette femme, ou qu’importe ? Cela serait plus utile que de rester ici, à accompagner Mère à des dîner qu’elle gère très bien toute seule.
– Non Lysander. Tu n’es pas doué pour les complots. Je ne doute pas que tu serais capable de le tuer, mais tu ne pourras pas l’attraper. Sthönendog et sa police retournent le continent depuis des années, sans le trouver.
– Alors n’y a t-il rien que nous puissions faire ? S’agaça le prince, se mettant face à son père qu’il dépassait d’une dizaine de centimètres. Ce fou tue des innocents, depuis que je suis un enfant. Un an ou deux, passe encore, mais seize ? Cela ne peut plus durer. Je comprends que je ne suis pas le plus capable pour cela… Mais vous me semblez prendre tout trop à légère.
– Pense-tu qu’il puisse me tuer ? Rit Laurence, dépassant son fils en descendant les marches du trône d’argent.
– Non, impossible. Mais il est ce qui agite l’esprit des nobles du pays, si nous le supprimons, ils seront calmés pendant une bonne année.
– S’exciter d’autant plus ne fera que nourrir les bruits… Ne pense tu pas qu’il s’agit d’une pauvre créature ? Cachée depuis des années, n’ayant en vue que ma mort depuis tout ce temps… Il est patient, mais seize ans, cela est long. La fatigue l’accable, et il finira par faire une erreur.
– Oui… Je suppose que vous avez raison.

Alors Laurence quitta la salle, suivi de son fils. Sa nonchalance était en partie faussée… Premièrement car lui aussi, se sentait fatigué, même alors qu’il avait le sentiment de faire peu de choses. Mais aussi parce que contrairement à ce qu’il pouvait dire, le Corbeau l’intéressait.

La nuit tombée, l’Empereur alla se reposer dans ses bains personnels. Comme il le désirait, il se baignait et s’habillait seul, éveillant la curiosité des damoiselles qui servaient au palais. Cette précaution n’était pas sans raison : quand Laurence découvrait son corps, il révélait une enveloppe charnelle de femme. Le physique athlétique ne pouvait alors guère tromper quoique ce soit. Sa poitrine, bien que très effacée, n’était pas le torse d’un jeune homme, et l’organe sous son nombril également révélait sa véritable biologie. Laurence avait toujours été beaucoup trop narcissique pour mépriser son physique androgyne, mais il avait vécu des années en dissimulant cela. Aucun obstacle n’avait pu se mettre entre lui et son rêve.
L’Empereur se plongea dans le bain chaud, préparé et parfumé selon ses demandes. La salle était construite à l’antique, et le bain dans lequel il se plongeait chaque jour était creusé dans la pierre, ses dallages en mosaïque dessinant divers symboles royaux chers à l’Empire. Il s’était parfois félicité d’être un aussi bon menteur, mais cela ne l’amusait plus depuis bien longtemps. Les précautions étaient prises, le secret bien gardé. L’Empereur ne vieillissait jamais, son visage avait toujours la fraîcheur de celui d’un adolescent, et son charme dépassait hommes et femmes. Cela faisait partie de son image et de sa personnalité. Il s’étendit dans le bain, soupirant, avant que quelqu’un n’entre. Une seule personne pouvait entrer ici sans craindre pour sa vie : l’impératrice Sernelle. Même si elle n’avait pas été lumieuse, au bout de cinquante ans ses cheveux auraient commencé à blanchir. Pourtant, elle conservait une dignité dans l’âge, et il faut dire qu’elle payait des gens de talents, médecins et même mages, pour entretenir son physique, et elle avait vécu dans l’opulence en ne portant qu’un seul enfant. Malgré cela, elle n’avait pas pu suivre l’Empereur dans son éternelle jeunesse. Il sentait bien que cela la fâchait : à l’apparence, elle, sa femme, pouvait être sa mère. Mais elle se plongea nue dans le bain avec lui, la figure stoïque, ses yeux bleus rivés vers Laurence, qui émit un sourire.
– Cela fait longtemps que tu ne m’as pas suivi dans le bain, dit Laurence, qui devinait bien qu’en vérité Sernelle voulait lui parler. L’impératrice s’étendit dans la vapeur chaude et odorante, et observa le souverain avec sévérité.
– J’ai renforcé la garde dans le palais et ses alentours.
– Et en quel honneur ?
– Ne fais pas l’imbécile. Mes agents m’ont informé qu’il y avait eu récemment des signes du Corbeau, ici chez nous à Gahartelle. Et je sais que tu es toi aussi au courant.
– Inutile de causer des bruits. Je suis aussi patient que lui.
– J’ai décidé de donner une raison bateau au renforcement, pour ne pas semer la panique ou faire parler les mauvaises langues, je n’en ai même pas averti Lysander et Dénia. Ils seraient partis le chercher. Mais toi, tu n’as rien fait pour assurer ta protection. Tu n’aurais même pas dû tenir cette audience.
– Il va se douter que nous sommes au courant à présent, pesta l’Empereur, se relevant dans le bain. Et que déjà un étau pour lui s’est resserré tout autour de la capitale.
– Ce n’est pas juste à propos de toi, Laurence. Je pense également à ma sécurité et à celle du prince et de la princesse, cela ne m’étonnerait pas que nous soyons des cibles potentielles et contrairement à toi, nous ne guérissons pas de nos blessures, et quand bien même…
Sernelle posa alors une main sur le moignon de l’Empereur, là où se trouvait son bras gauche il y avait dix sept ans de cela. Son éternelle jeunesse ne dissimulait pas cela.
– Tu n’es pas invincible, même si les gens pensent que tu es un dieu.
– Bien entendu qu’ils le pensent.
– Je ne trouve pas ça drôle, tu es le premier à être conscient des limites de tes capacités.
– Oui, oui, j’entends ton agacement, fit Laurence en levant la paume. Cela fait un moment que nous n’avons pas eu de conversation privée aussi longue. Détendons nous, et confie moi ce que tu veux vraiment me dire.
Laurence ne connaissait pas dans l’Empire de femme plus rusée que Sernelle, il ne pouvait pas simplement ignorer ce qu’elle avait à dire. Et puis, quand bien même ils étaient unis avant tout par intérêt, il avait pour elle une certaine affection. Qui d’autre dans ses alliés pouvait tenter de discuter son arrogance ? Se redressant dans un bruit de ruissellement d’eau, Sernelle saisit un savon et frotta avec la peau du dos et des hanches du corps de Laurence, qui l’écouta cette fois en se taisant.
– Ton précédent garde du corps, Gorvenal, est mort il y a trois ans quand tu l’as envoyé tuer le Corbeau. Ce geste n’était pas caractéristique de ta part… Car tu avais commencé à manifester de l’intérêt pour lui. Autrefois il n’était qu’un gravillon sous ton pied, qui tuait des subordonnés que tu estimais rarement, mais ce n’est plus le cas, je peux voir ce changement. Tu as commencé à t’informer sur ses déplacements, alors que c’était auparavant le soucis de Sthönendog et de sa police. Tu n’as manifesté cet intérêt que discrètement ; pas une seule fois dans tes paroles à la salle d’audience ou de conseil tu n’as prononcé le nom du Corbeau. Pourtant, je vois bien… Qu’il trompe ton ennui. Il t’invite à jouer depuis des années et tu es finalement entré dans le plateau.  Je sais ce qui te passe par la tête. Tu es un guerrier sans rival, un négociateur qui n’a plus à faire de compromis, un séducteur à qui il ne faut plus qu’un regard. Tu t’es hissé bien trop haut pour ta propre soif de défi, et c’était inévitable.
– Peut-être, commenta t-il sans la regarder, alors qu’elle avait fini de laver toute la partie supérieure de son corps. Mais quelle serait alors ta demande à ce sujet ?
– Je veux que tu penses à ton empire, et que tu me laisse organiser la capture de cet individu. Le mérite t’en reviendra intégralement de toute façon. Je n’ai jamais organisé de chasse contre le Corvus, et il semble avoir développé une obsession envers toi. Il sera pris au dépourvu, et mes agents sont très compétents.
– Tu me demandes de battre en retraite, donc, fit Laurence, lavant à son tour le corps de l’impératrice.
– Entre autre, oui.
– C’est hors de question. Ce n’est pas juste à propos de mon image, mais de ma fierté. Le Corbeau approche, armes en main, et il pense me tuer. Je dois lui prouver que ma légende surpasse de loin la sienne, moi et personne d’autre.
– Je savais que tu réagirais ainsi, hélas... Mais tu ne sauras m’empêcher d’organiser mes hommes pour le saisir.
– Non, en effet. Je ne peux t’empêcher de faire quelque chose lorsque tes yeux ont cet éclair bleu et décidé. Sernelle, pour ce qui est de partager le trône, jamais je n’aurais choisi quelqu’un d’autre que toi.


Et le lendemain, Laurence sorti de ses appartements privés comme il le faisait chaque matinée, prêt à parcourir avec vacuité et nostalgie les couloirs du palais impérial. Naturellement, il ne le ferait pas aujourd’hui car il y avait finalement quelque chose d’autre pour occuper son esprit… La plupart des gens ne le savaient pas, mais, si Laurence s’endormait quelque fois par ennui, il ne prenait plus aucun repas depuis des années. La lumière du soleil le nourrissait et il n’y avait aucun impact sur son apparence ou sa vitalité, mais il avait pour le moins perdu goût à la nourriture qui ne lui était nullement nécessaire, et même à l’alcool. L’impératrice constata cela un jour, et s’évertua à faire appel aux meilleurs cuisiniers du continent, en plus de contacter les meilleurs goûteurs afin de repérer les alcools les plus exquis jamais distillés. Hélas, rien n’y fit. L’Empereur n’y trouvait qu’un plaisir modéré. Il avait même cessé de se déguiser pour explorer anonymement ses provinces. Il avait cessé de s’amuser et de trouver du plaisir en ces choses simples, lui qui avait toujours une allure juvénile. Ainsi, quand le devoir impérial n’exigeait rien, il errait tel un fantôme. Observant le ciel ou contemplant les boucles dessinées par les plantes des jardins, ou plutôt, projetant son regard dessus sans qu’il ne puisse rien saisir de tangible.
Allons bon. Pourtant, le jardinage avait toujours été une des passions secrètes de Laurence, ceci depuis l’époque où il n’était qu’un simple valet, et oubliait ses soucis en découpant les roses du manoir Vinnairse. Enfin, il n’y avait plus grand-chose à oublier…

Tout le palais était, à chaque entrée, fermé par une troupe de gardes lourdement équipés, entraînés par les meilleurs chevaliers et maîtres d’arme de l’Empire. Une infiltration du palais pouvait avoir lieu à tout moment, et cela amusait Laurence : il n’avait que rarement été dans une situation défensive. C’était après tout habituellement lui qui se présentait aux portes des cités, le Corbeau ne le plaçait pas dans la situation où il était le plus à son avantage… Laurence se demandait bien comment espérait-il survivre, quel plan avait-il fomenté. Toute la ville était bouclée, et contenait certaines des personnes les plus dangereuses de l’Empire, des agents qui n’avaient nullement à rougir devant la réputation du Corvus et des héros qui les surpassaient en force guerrière. En temps normal, que l’on sache la présence d’un assassin dans la cité aurait signé déjà sa défaite, mais le Corbeau n’était guère comparable à un simple meurtrier. La raison venait de son esprit, et il l’avait toujours su. Laurence, trop sceptique pour croire au croque mitaine, comprenait que les actes du Corbeau étaient le produit d’un esprit fou. Oui, dément. Comment pouvait-il en être autrement ? Trois décennies auparavant, L’Empereur s’était tenu devant Fryma, le premier inquisiteur. Ce jour là il dit au colosse que le commun des mortels recherchait toujours, d’une manière ou d’une autre, la quiétude. Que ce soit la quiétude matérielle ou la spirituelle. Il était normal et sain d’éviter l’angoisse, mais Laurence s’était exclu de ce commun des mortels, lui dont le cœur brûlait tel un brasier du désir d’écraser autrui. Et il était impossible à ses yeux que le Corbeau recherche la quiétude. Même morale. Il était trop intelligent pour accomplir ces meurtres insensés, s’il recherchait une quelconque forme de paix. Peut-être était-il un tueur né, tout comme Laurence était un conquérant né. La pensée fit rire l’Empereur qui avait capturé le monde. Il ne faisait que des suppositions, même s’il avait une grande confiance en son instinct… Eh bien, Corbeau, que vas tu faire, toi qui a jadis été recraché de l’utérus pourrissant de l’inquisition ? C’est à ton tour de jouer.


Il n’y aurait pas de seconde chance. Pas de retraite, pas de plan de secours. Toutes les cartes avaient été jouées pour ce moment là. Le Corvus attaquerait maintenant, dès le matin à dix heures, alors que les pouvoirs de l’Empereur étaient au beau fixe. Cela pouvait sembler fou, mais la régénération de sa cible ne contrerait pas le plan du Corbeau, et la vigilance de tous serait réduite de jour. Tout le monde attendait un assaut nocturne, quoi de plus logique ? Les ailes noires ressortiraient trop dans la clarté du jour, et l’Empereur régnait sur le domaine du soleil. Le Corvus attaquerait de nuit : c’était une évidence. Comment tuer l’Empereur autrement ? Ainsi, l’Empire se tiendrait le plus préparé possible en l’absence du soleil, et Jack ne pouvait en aucun cas leur laisser cette occasion. Les pièces seraient avancées, dans ce mouvement téméraire, pour accomplir l’échec au roi qui avait hanté l’esprit du Corbeau pendant toutes ces années. Chaque instant de son existence, chaque respiration, chaque frémissement musculaire, était dédié à l’orchestration de la mort de son adversaire. Jack Van Krieg était revenu à l’état qui était peut-être celui le plus pur de sa personne, celui d’une machine qui portait en elle l’idée de la mort. Avec un zèle furieux et pourtant glacial, il avait organisé l’infiltration de Gahartelle et la diffusion de l’information sur sa présence dans l’espoir que les autorités impériales sèment la peur dans la ville, ce qui fut hélas un échec mais ne gênait nullement ses plans. Il savait, sans y avoir jamais posé le pied, comment la structure entière du palais impérial était agencée. Il aurait même été capable de dire quelles portes grinçaient. Dans l’entreprise, Jack était loin d’être seul : il avait, comme l’Empereur, ses alliés. Au nombre suffisant de quatre. Quatre prêts à se sacrifier pour sa cause.
Hayet et Lalla, deux marcheuse des sables, meilleures de leur génération. Deux femmes rivales mais proches comme des sœurs, que même le Corbeau craignait quand il s’agissait de manier une lame avec vitesse et dextérité. Elles avaient rempli les épreuves Dunekmeths dans les terres lointaines de scarrath, tout comme lui, et sous leurs capes leurs corps autrefois d’une peau mate qui aurait pu susciter le désir étaient à présent asséchés, craquelés par la magie désertique, devenus outils de meurtre.
Abdon, un mage, qui fut un temps druide, un temps vagabond, et un autre temps mercenaire chez les chevaliers de l’Eclipse. Sa haine de l’empire le conduisait jusqu’ici. Certains nurenuiliens appréciaient maintenant le règne impérial, mais il y avait des choses qu’il ne pouvait se résoudre à oublier. Il rêvait avec plaisir de la mort de l’Empereur qui l’avait humilié et exécuté ses amis, son regard halluciné était celui d’un mort. L’ancien druide de guerre avait préparé ses armes et son esprit pour ce jour, il avait vendu sa chair et son âme au Corbeau comme on le ferait avec un démon.
Théodore, un des frères vampires du corvus. Multicentenaire, présent bien avant même le Corbeau, il l’avait suivi également dans ce combat. Mais la vérité était qu’il était vide depuis longtemps, trop longtemps pour se souvenir de l’époque où il n’avait pas été un outil pour les desseins du Corvus. Et le Corvus n’avait jamais rien accompli de plus grand que cela : tuer l’Empereur. Tuer un dieu. La présence d’un des deux frères était une obligation, une évidence, quand bien même cela signifiait faire face à l’Empereur du jour. Il serait sur la liste des assassins de celui qui avait arraché à tout les rois leurs couronnes.
Ainsi, les capes du Corvus désacralisèrent le sol immaculé du palais. Les gardes sur leur chemin moururent, la gorge tranchée pour les plus chanceux, sans avoir le temps de donner une alarme. Les cadavres seraient remarqués tôt ou tard, mais cela n’avait aucune importance : leur crime serait déjà fait. Seul problème : trouver l’Empereur, qui se déplaçait chez lui sans prévenir personne. Il fallait deviner où ce dernier se trouverait, pour ne perdre aucun instant avant que la garde impériale entière ne vienne en aide à son souverain. Selon les dires, il serait cloîtré dans ses appartements lorsque aucune affaire ne demandait sa présence… C’était l’endroit le plus probable.
Non.
L’Empereur savait qu’ils étaient là. Jack s’en était assuré avec soin. Alors où serait l’Empereur, lui qui était si vaniteux, à l’annonce de la venue du meurtrier qui le provoquait depuis des années ? Il suffisait d’y réfléchir, et la réponse devenait évidente.


L’Empereur était sur le trône d’argent et dans la salle d’or, aux côtés de ses fleurs et des gravures qui représentaient sa gloire. Il n’avait aucune intention de se cacher dans son propre domaine, et encore moins de le fuir. Le conquérant, conscient de la menace, s’était habillé de son armure d’imperium argenté, et équipé de son bras gauche factice, objet mécanique animé par la magie, lui aussi fait du précieux métal. L’épée de l’Empereur sans nom était à sa ceinture, et il avait rattaché ses cheveux : sa tenue était la même que lors de ses conquêtes. La dizaine de gardes qui peuplait la large salle l’avait remarqué, sans oser dire un mot. Sa majesté Laurence n’était pas dans son état habituel. Son calme contenait au lieu d’un détachement élevé, une certaine excitation. Patient, il attendait des nouvelles du Corvus. Sernelle les avait-ils attrapés ? Ou arriveraient-ils jusqu’ici ? Les soldats eux étaient partagés entre l’aura protectrice d’un dieu et la menace d’un prédateur invisible qui n’existait pour eux toujours que sur la forme de mots.

Pourtant, le cri du Corbeau retentit sous la forme d’une explosion. Une détonation violente venant d’en haut, qui explosa le cristal plafonnant le Salon de Guerre. Le verre, réduit en morceau, chuta sur le sol, et les gardes eurent le réflexe de se protéger de leur cape. Cinq silhouettes supplémentaires étaient maintenant dans la salle, émergeant des débris de verre et de poussière. Les gardes levèrent leurs armes. Ils étaient la garde d’élite du palais, expérimentés, doués, mais cependant pas assez préparés. La température de la salle chuta d’un seul coup, une lueur pâle émanant du sommet d’un sceptre dans les mains d’un des intrus. La magie du sort qu’avait préparé le druide éclata, et l’intégralité du sol fut recouvert en quelques instants d’une couche de glace de plusieurs dizaines de centimètres. Les gardes, qui s’était baissés pour se protéger des débris, furent tous partiellement piégés dans la glace, incapable d’agir. La glace continua de courir sur leur corps, les recouvrant entièrement pour les réduire totalement au silence.
Il ne restait plus que l’Empereur, assit sur le trône d’argent. Le métal de son armure brillait tel une flamme blanche, et la glace autour de lui avait fondu sans atteindre ses pieds, alors qu’il reposait son menton sur le poing de son bras métallique. Il observa méticuleusement ses adversaires un par un, seul face à eux.
Le plus avancé était le mage. Un homme aux longs cheveux noirs et gras, en gambison et en maille, une partie de la lèvre arrachée, les yeux exorbités, le poing fermement serré sur l’artefact qu’était son sceptre. Peu après l’achèvement du sortilège, il se mit à convulser et vomir, s’appuyant sur son bâton… Abdon avait utilisé plus de la moitié sa magie pour ce sort pour geler l’intégralité de la salle, en faisant un salon de glace dans laquelle flottait des éclats de verre.
Il y avait deux femmes encapuchonnés et couvertes de bandelettes telles des momies vivantes, des kopesh dans leurs mains aux doigts maigres et secs. C’était des vestiges Dunekmeth, vénérant des dieux qui n’avaient pour Laurence aucun poids sur le monde. Des spectres.
Derrière, près des portes maintenant scellées par la glace, se tenait un homme, le plus grand de tous dans la salle, dans un long manteau crasseux, portant une barbe hirsute et un chapeau de cuir terne. Il portait dans sa main une pelle rouillée, comme pour se moquer de la mort future de l’Empereur. Ce fossoyeur était un vampire. Quel imbécile, se dit Laurence. Réalisait-il ce qu’il lui en coûterait de poser le pied sur son domaine, ceci en pleine journée ?
Et finalement, il y avait le Corbeau, Jack de son vrai nom. Il avait la tête sous son masque de cuir et ses épais verres noirs, équipé des pieds jusqu’à la tête pour tuer. Des équipements d’hommes pour tuer un dieu, des lames et des potions pour tuer le soleil. Du point de vue de Laurence, il n’avait pas l’apparence physique la plus impressionnante parmi ses camarades, mais il était pourtant reconnaissable. Sous les mèches brune de ses cheveux, preuve qu’il était bien un homme, son front ne suait pas. Il était sec, comme celui d’un mort ou plutôt d’un automate. Est-ce que ce corps et cet esprit avaient seulement encore une âme ? Laurence s’était toujours évertué à observer ses adversaires, les consulter comme un livre et les lire comme un poème, mais du Corbeau il ne savait pas assez. Cela était frustrant, mais non sans remède. Quel raisonnement ce maniaque pouvait-il inventer pour se faire passer pour un fantôme tueur ? Là était tout le mystère.

L’Empereur affaiblit l’intensité de son aura de lumière, et se redressa. La couche de glace surélevait les membres du Corvus, certes, mais il était encore en position de hauteur. Tout comme Jack ne suait nullement, Laurence n’avait rien perdu de son calme.
– Mon jardin est ruiné par votre faute, dit-il avec un brin d’ironie. J’y tenais, grandement. Voilà qui mérite la peine de mort.
– Quelqu’un s’occupera des fleurs, lâcha brièvement Jack d’une voix rauque. Mais pas vous. Vous devez vous souvenir de mon cadeau, de la pièce d’échec je veux dire. Je suis venu clamer l’échec au roi.
– Il est impossible pour vous de sortir de Gahartelle. Sans compter que toute votre organisation est mise en danger par cette tentative d’assassinat… Que vous ai-je donc fait pour mériter votre haine ?… Jack Van Krieg, je doute que vous soyez là à cause de l’inquisition, pas après tant d’année et tant de réformes, vous n’êtes pas si ignare.

Jack Van Krieg. Laurence savait donc le nom. Le Corbeau ne dit rien.
– Je suis un homme d’honneur, Jack, ou plutôt un homme prudent. Mes enfants sont plus vulnérables que je ne le suis, et je n’ai que peu d’intérêt à toucher à votre famille à qui vous n’avez probablement pas dit où vous vous terrez. Pas assez d’intérêt pour risquer la mienne. Naturellement, si vous aviez tué Lysander ou sa femme, les choses auraient tourné différemment… Mais je vois que vous êtes aussi un homme prudent. Cependant, vous auriez pu l’être plus encore. Vous le savez très bien, aux rangs de l’Empire vous auriez tout. Plus d’inquiétude, plus de peur, et même la sécurité pour votre famille si vous avez réellement un cœur battant dans votre poitrine. Dans le secret, j’aurais engagé un homme tel que vous sans hésiter. Pourquoi donc êtes vous ici, arme en main ? Vous n’êtes pas nationaliste, je ne pense même pas que vous êtes assez intéressé par la politique pour avoir une contestation contre le fonctionnement de mon régime… Ce pourquoi, peu importe comment j’observe vos actions, elles n’ont pas de sens.

Jack Van Krieg resta silencieux un instant. L’Empereur parlait beaucoup, et aimait probablement s’entendre, mais ce n’était pas le cas du Corbeau. La mort ne tenait que rarement la conversation avec sa future victime, et il avait le sentiment d’avoir bien assez dit ce qu’il voulait communiquer à travers ses actes. Néanmoins, le moment était solennel. Même son esprit froid se souleva un instant d’orgueil. Il pouvait lui accorder un instant, si bref soit-il, pour qu’il sache pourquoi il allait mourir.
– J’ai appris, Empereur, que le mal était partout, et que nous devions toujours garder à l’esprit la présence des caractères immondes des hommes. Mais les gens cherchent la paix et la sécurité auprès de vous. Ils pensent que vous allez les protéger des assassins à chaque coin de ruelle, jusqu’aux insectes qui dévorent les récoltes. L’Église impériale crie votre nom comme une formule magique, ceci à s’en faire saigner la gorge. En somme, vos sujets vous pensent comme une sorte de dieu, sont béats et passifs. Mais cela est un mensonge. Votre lumière ne protège personne, et votre empire n’est pas une utopie. Et vous, vous n’êtes pas un dieu pas plus que vous n’êtes suprême et parfait. Voilà pourquoi je suis ici. Ce sera tout.

Entendant cela, Laurence se mit à rire comme un enfant. Il se souvint alors qu’il avait fait le choix, devant Basileus, de vivre en tant qu’humain et non en tant que dieu. De conquérir le monde des mortels en tant qu’homme, et non s’élever seul dans la transcendance. C’est vrai, il voulait vivre en tant qu’homme. Il l’avait presque oublié. Quand au Corbeau...
– Je comprends… Dit-il, essuyant ses larmes de ses doigts. Vous êtes fou. Pour prouver l’imperfection d’un objet, vous enfoncez dedans un poignard. Tenteriez vous de justifier votre pulsion de tuer ? Jamais quelqu’un comme vous ne rechercherait la quiétude… En cela je vous comprends. Je n’ai jamais compris pourquoi je voulais conquérir ce continent. J’étais poussé par quelque chose qui me dépasse, que j’appelais mon destin, toute la politique, les idéaux, les justifications, ne furent présentes que pour consolider ce destin qui transcendait toute raison. Mais peut-être suis-je fou, moi aussi, depuis le début. Peut-être que nos actions n’ont jamais eu de sens, ne croyez vous pas ?
– …
– Peu importe. Je suis satisfait.

L’Empereur fit un pas en avant, s’éloignant du trône d’argent, et tira son épée bâtarde blanche au clair. Jamais il ne s’était senti aussi libéré depuis longtemps, aussi humain.
– J’étais autrefois grand amateur d’échec, comme certains aristocrates. Je n’égalais pas des maîtres comme le Comte Dyra, mais j’avais du talent et cela m’amusait. Cependant, les échecs ne peuvent refléter la réalité, qui n’est jamais aussi équitable. Sur le plateau, lorsque le roi est seul et cerné, la partie est finie. Les options du roi, sans ses troupes, sont extrêmement limitées… Mais nous ne sommes pas sur un plateau. Ici, le roi est l’élément le plus puissant du jeu. Je ne permettrai à aucun d’entre vous de sortir d’ici vivant.

Immédiatement, Jack saisit son arbalète légère et effectua un tir parfait qui envoya le carreau directement dans la tête de Laurence, transperçant son œil gauche. Il avait assez attendu, et ces mots signaient le début des hostilités. L’Empereur arracha le projectile de sa main de métal, son œil guérissant à vue d’œil grâce à la bénédiction du soleil. Le bras de golem émit quelques petits claquements métalliques, alors que des projectiles de glace incantés par Abdon fonçaient vers lui. L’aura de l’empereur réagit, et les plaques de son armure blanchirent en émettant une vive lumière qui arrachait le regard.  Les lances de glace fondirent et leurs restes ricochèrent sur l’armure du souverain. Impossible de le piéger dans la glace. Le mage affaibli allait sortir de ses poches un autre artefact tandis que Jack préparait une potion, mais un trait de lumière provenant du bout de l’épée de Laurence transperça le crâne du sorcier, qui tomba au sol un trou béant et fumant au milieu du front. Il était impossible d’esquiver une attaque de cette vitesse. Pour leurs yeux, elle était instantanée ; contourner cela n’était pas impossible cependant, car Laurence devait diriger ces rayons par ses membres. Il était hors de question qu’il lève l’épée une fois de plus. En un instant, Hayet, l’une des deux marcheuses des sables, apparut derrière Laurence, arme en main. Sa magie lui permit de se transformer en sable noir et de se déplacer en une seconde dans son dos, mais alors qu’elle reprenait forme pour pouvoir attaquer, elle remarqua s’être piégée dans des fils invisibles. Elle avait un fil contre son cou, son abdomen, et sa jambe, interrompant sa charge. L’Empereur fit un geste de son bras artificiel, et les fils faits d’imperium s’illuminèrent, passant à travers le corps d’Hayet pour le trancher en trois parties différentes. Le combat avait débuté depuis moins de dix secondes, et deux étaient déjà morts. Le corbeau projeta une bombe alchimique qui produirait un violent liquide corrosif ne se dissipant pas sous la chaleur. S’il touchait l’Empereur avec cela, son corps fondrait en même temps qu’il guérirait, le faisant se tordre de douleur. Laurence sauta de l’autel du trône d’argent en réponse, se réceptionnant sur la glace dans une roulade. Jack l’avait ainsi au moins forcé à quitter sa position de hauteur.
Laurence se redressa, et la pointe de l’épée de l’Empereur se leva rapidement vers le corbeau. Anticipant l’attaque, Jack utilisa son aptitude durement acquise pour disparaître, se repositionnant derrière un pilier hors du champ de vision de Laurence, évitant le rayon mortel qui fusa l’instant d’après, transperçant le plafond de pierre sans aucune résistance. Alors, Laurence fut attaqué de deux côtés, par le vampire qui bondit vers lui, fendant la glace sous ses pieds, et par Lalla qui se dématérialisa, avide de venger sa camarade. Théodore fusa le premier, mais le déplacement de Lalla était plus rapide, rendant leurs assauts presque simultanés. Le bras d’argent de l’Empereur se souleva, et avec un lui un fil lumineux se hissa vers le côté où le vampire attaquait, le forçant à reculer en arrière d’un autre saut. Quand à la poussière d’ombre, elle reprit forme un instant pour frapper Laurence, lui ouvrant la gorge. Un flot de sang bref jaillit du cou de Laurence, avant de s’atténuer car ses chairs se refermaient bien rapidement. Il n’y eut bientôt plus de trace de la blessure sur le corps de l’Empereur. Le bras et l’arme de Lalla étaient brûlantes, comme si elle les avait plongé dans le feu… Ses coups étaient rapides et précis, et elle pensait pouvoir surpasser en technique tout ceux dans cette salle, malheureusement elle n’eut pas de telle occasion. Le bras de métal brûlant saisit son cou, l’écrasa, et sa nuque se brisa dans un craquement organique.
Le cadavre de Lalla retomba au sol comme un chiffon, avant de se réduire en poussière. L’Empereur n’avait pas tort. Les règles du plateau ne sauraient totalement s’appliquer à lui, même seul. Il avait trop gagné en puissance, si on le comparait au jeune homme qui s’était présenté il y avait trente ans pour clamer ce palais devant le pays puis devant Fryma Braäm. L’affronter de jour était, bien que surprenant, bien trop audacieux, mais de nuit, jamais Laurence n’aurait laissé quelqu’un le blesser ainsi deux fois, pas après avoir perdu il y a dix sept ans son bras aux mains de Sharkaan. Jack savait que l’Empereur était puissant, mais il savait également que c’était un stratège rusé, quelqu’un si il se savait réellement acculé saurait s’adapter en conséquence : la dernière chose qu’il voulait, c’était voir Laurence se replier et s’organiser auprès des divers combattants puissants du palais. La fureur de la lumière n’était pas la plus grande force de cet Empire. Fort heureusement, l’Empereur agissait encore comme il le désirait.
Il ne restait plus que le Corbeau et son bras droit, la mort et son fossoyeur. Laurence, qui s’était débarrassé sans difficulté des autres adversaires, les regarda avec une sérénité qui se mua en un sourire narquois, avant de disparaître. L’aura lumineuse laissa place à un grand vide. Laurence avait utilisé son pouvoir sur la lumière pour effacer son image, un tour dont Jack craignait qu’il soit capable. Leurs sens étaient aiguisés, ils pourraient repérer aux pas sa direction générale, mais pas  deviner où il dirigeait sa satanée épée. Jack avait bien une potion pour y remédier, mais l’Empereur lui, attaquerait sans attendre : lui et le vampire tentèrent de sortir du champ de vision potentiel de Laurence, Jack utilisant de nouveau la technique des marcheurs des sables pour réapparaître en haut  d’un pilier auquel il s’accrocha, mais un rayon lumineux transperça son épaule l’instant suivant. La chair traversée par la lumière bouillit, brûla, se vaporisa, et il fut décoré d’un trou dans son corps suffisamment gros pour voir à travers. Le Corbeau chuta, endura la douleur, et se réceptionna malgré la chute brusque et violente. Il savait maintenant avec précision où était Laurence : il jeta vers sa position une potion, qui explosa. Alors le camouflage de Laurence se fit instable, car une poussière réfléchissante alchimique s’était répandue dans l’air, permettant d’apercevoir la silhouette de Laurence à travers les déformations irrégulières de la lumière : il devrait réadapter son invisibilité pour remédier au problème en considérant cette matière qui s’était collée à son armure. Le combat ne durerait pas assez longtemps pour le lui permettre. D’un bond puissant, le vampire qui voyait clairement Laurence, fonça vers lui, le fer de sa pelle dirigé vers le front de Laurence. Le bras de métal de l’Empereur interrompit l’arme, et ce dernier rompit son camouflage. Les doigts métalliques, s’illuminant de blanc, creusèrent à l’intérieur du métal de l’arme qui fondait à vue d’œil. Laurence pouvait réagir à la vitesse de Théodore, et égaler sa force facilement à l’aide de sa prothèse, mais les coups du vampires avaient pour but de détourner son attention de Jack. Il paya cependant le prix de cette attaque, puisque la lumière qui émanait maintenant de Laurence brûlait sa chair à vue d’œil, le repoussant au sol alors que la fumée s’échappait des épais vêtements dans lesquels il était drapé.

Tout se reposait sur l’immobilisation de Laurence. Les précédentes stratégies avaient échouées, mais hélas, Jack n’avait pas pu construire un plan soutenant la survie de ses camarades. Venir à Gahartelle, c’était pour eux mourir, et ils le savaient. Le Corbeau n’avait jamais été le plus compétent pour faire survivre autrui. Mais il lui restait des plans, et alors que la brûlure de la lumière dévorait encore son épaule, il conservait sa concentration : il devait être prêt à lancer le sortilège à tout moment, au premier instant de faiblesse de l’Empereur. Le souverain leva son épée, et Jack disparut instantanément pour réapparaître derrière un pilier, cependant le rayon qui surgit de l’arme et rata sa cible ne s’effaça pas après l’attaque. Plutôt, il persista, s’intensifiant et éclairant toute la salle, fondant la glace sur laquelle ils reposaient leurs pieds, véritable épée de lumière. D’un grand geste latéral, Laurence fit se mouvoir la lame vers les colonnes de pierres. Le rayon trancha le mur et le toit, évinçant les cachettes du Corbeau et faisant chuter sur son corps de lourds débris qui endommagèrent ses os. Il dût à nouveau utiliser son pouvoir pour éviter de finir écrasé, et cette fois, il était juste en face de Laurence. Jack retint une toux grasse et ensanglantée. Non seulement il s’était, en préparation du combat, drogué par des breuvages pour augmenter au possible sa vitesse d’action et ses réflexes, mais il avait également utilisé dans la dernière minute le sort des marcheurs trois fois, posant un lourd fardeau sur son corps. L’épée de l’Empereur s’avança vers son cou, et elle lui paraissait se mouvoir au ralenti, lui permettant de se baisser à temps pour éviter l’attaque. C’était bien grâce à cela qu’il pouvait éviter la lumière de l’Empereur en anticipant la position de son bras. Lame dans la main droite, potion dans l’autre, il avança son bras pour balancer la fiole à bout portant, mais ce dernier se retrouva piégé dans la poigne d’acier de son ennemi qui intercepta le mouvement. Jack ne pouvait plus bouger et Laurence enfonça sa lame d’imperium dans le torse de l’assassin, esquissant un large sourire de satisfaction. Il observait Jack de ses yeux verts de démon, avec fierté, avec arrogance, mais aussi avec compassion, et avec tristesse. L’épée avait entièrement transpercé le corps du Corbeau, et la lumière faisait bouillir son sang.
– J’ai gagné, déclara l’Empereur. Il était presque contemplatif devant sa victoire, chose que Jack attendait de sa personnalité. Une occasion parfaite.

Une ombre se souleva derrière Laurence alors qu’il observait Jack périr, l’ombre d’une chose qui ne ressemblait que vaguement au vampire Théodore. Son corps s’était comme ouvert en deux verticalement, et dans l’intérieur de sa chair rouge l’on pouvait apercevoir des centaines de crocs. C’était là sa véritable singularité. Une vierge de fer de chair et d’os, engloutissant sa cible d’une seule fermeture. Un cercueil vivant, à l’allure d’abomination qui avait tant enflé que ses bras et ses jambes semblaient ridiculement petit comparé à la largeur de la bouche qui se referma sur Laurence, alors que ce dernier avait tourné la tête vers l’horreur, un air d’étonnement sur le visage. Jamais Théodore n’aurait pu tuer l’Empereur. Cette arme de prédateur aurait été inutile contre lui, et déjà la lumière émanant de son corps calcinait le vampire de l’intérieur et le privait trop de sa force pour qu’il puisse espérer l’écraser. Néanmoins, cette immense masse de chair ne disparaîtrait pas en un instant. C’était une occasion comme celle là qu’attendait Jack, une occasion qui lui permettrait de tuer l’Empereur sans aucune chance d’échec. Un final parfait, que ses alliés devaient permettre. Si l’Empereur sortait de la zone d’influence du sort, tout cela ne rimerait à rien.
Jack commença à réciter l’incantation dunekmeth qui courait dans son esprit depuis le début du combat, et était un poème en hommage à la mort, un chant sacrificiel supposé rappeler la fragilité de la chair. Tout le corps de Jack noircit, alors que le vampire était consumé et que l’Empereur se débattait avec colère et agacement. Le Corbeau devint ultimement poussière, et s’envola vers l’Empereur, se déployant comme s’il étendait ses ailes. Durant ce bref instant, il pensait toujours, mais avait cessé d’être humain.

Laurence le vit. Il vit la tempête de sable noir qu’était devenu le corbeau se diriger vers lui à bout portant, et le temps perdit alors toute signification. Il oublia totalement le squelette du vampire qui embarrassait ses épaules, réfléchit à un moyen de renverser la situation.
Alors Laurence d’Haynailia réalisa qu’il allait mourir. Étrange. Il se rendit compte qu’il n’avait jamais envisagé avec sincérité cette possibilité. Laurence, depuis son adolescence, avait pensé le destin comme étant sien. Tout obstacle lui était surmontable par sa force ou son intelligence. Tôt ou tard, tout plierait comme il le désirait. Laurence était un rêveur. Peut-être était-ce là la condition pour hériter de la lumière impériale… Vivre dans un rêve.
Peut-être que Laurence avait rêvé pendant toutes ces années, et qu’il se réveillait enfin.

Les choses devaient être ainsi, se dit le Corbeau. Les hommes meurent, et l’Empereur mourrait comme tel. Peut-être ne s’était-il jamais considéré comme un dieu lui même, mais cela n’avait aucune importance. La mort avait remporté le débat : le souverain n’était pas un dieu sans ses serviteurs, et la lumière dessinait toujours sur le sol une ombre. Voilà ce que disait son crime. Jack savait qu’il ne se battait pas pour le bien . La mort de cet homme en causerait d’autres, détruire l’ordre avait son prix. Il priait envers tout les dieux pour qu’on pardonne ce crime, que les répercussions de sa folie ne frappent pas sa famille.
… Sa folie ? Il l’avait pensé sans le réaliser… Peut-être avait-il toujours été fou, oui.

Un dôme de sable volant recouvrit intégralement l’Empereur. En quelques instant, il dessécha son corps, et le réduit intégralement  en poussière, ne laissant aucune chair ni aucun organe. La lumière destructrice fut alors réduite à néant, lorsqu’il ne resta plus de Laurence qu’un squelette et une armure. Le cadavre blanc, recouvert d’une étrange suie noire, s’effondra sur le sol cristallin qui fondait à vue d’œil. Alors, le silence régna sur le Salon de Guerre.

L’issue du combat fut bientôt découverte par le prince Lysander et ses forces, qui accoururent le cœur plein d’effroi. Le silence véhément de la mort se mua en un cri déchirant, résonna contre les murs de la capitale, s’étendit dans tout l’empire, et traversa les océans. Ce cri qui n’était pas celui du prince, mais celui du monde, annonçait que le plus grand des hommes était mort, et qu’une page du mythe avait été tournée à jamais.
DALOKA
DALOKA
Grand Cracheur d'encre

Messages : 2271
Date d'inscription : 01/12/2010
Age : 27
Localisation : Près de toi, toujours très près de toi 8D...

Feuille de personnage
Nom des personnages: TROP

Revenir en haut Aller en bas

One Shot du Daloka des forêts - Page 2 Empty Re: One Shot du Daloka des forêts

Message par Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Page 2 sur 2 Précédent  1, 2

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum