Transmigration divine

Avant toute chose, et une fois les ennemis abattus, Meortis se baissa sur le cadavre sans vie d'Ereshkigal, détachant et ramassant avec soin le livre qu'il gardait sur lui. L'ouvrant et le feuilletant durant quelques secondes, lisant quelques pages en diagonale, elle constata qu'il s'agissait bien d'un ouvrage nécromant. Son authenticité et l'exactitude des données et informations inscrites à l'intérieur restaient à vérifier, mais les chances qu'il ne s'agisse pas de ce qu'elle cherchait étaient faibles.
Alors qu'U.Seitz lui demandait de s'occuper des blessures de Naoko, Meortis garda les yeux sur sa nouvelle acquisition, incantant sur cette dernière un sort de détection comme elle l'avait fait sur l'armure de Geldo, afin de pouvoir le retrouver aisément si elle en était séparée d'une manière ou d'une autre. Elle prit aussi le temps d'incanter un faible sort de protection, afin d'éviter qu'un événement malencontreux ne puisse l’abîmer. Tout ce temps, son expression était emplie de satisfaction et d'excitation. Elle trépignait, et tenait l'ouvrage comme un aventurier tiendrait un trésor.
Mais lorsque finalement elle leva les yeux vers la télékinésiste, son expression se refit froide.
Observant un peu l'état du bras de Naoko, elle lui répondit avec franchise et sécheresse.
-Non. Cela me prendrait trop de temps de m'occuper de l'os. Elle posa la main sur le bras,commençant à faire fondre la glace. Elle aurait presque pu utiliser sa nécromancie sur ce bras quasiment autonome. Je vais simplement recoller grossièrement les morceaux afin d'éviter que tes chairs ne gèlent pour de bon ou qu'un faux mouvement détache le bras. Mais tu devras t'en préoccuper sérieusement par la suite.
Ainsi, Meortis se mit à ressouder le bras de Naoko. Elle semblait de bonne humeur, comparé au départ de la mission. Quant à la télékinésiste, son membre était de nouveau relié correctement à son corps et les saignements avaient cessé, mais elle ne pouvait clairement pas s'en servir, et la douleur persistait à chaque mouvement. Elle devrait faire attention afin d'éviter d'aggraver la situation, mais sans gros choc supplémentaire, elle devrait être capable de se faire soigner correctement après la mission. Une fois cela fait, Meortis laissa à la télékinésiste le soin de se faire elle même une attelle.
Son attention tournée vers les corps d'Ereshkigal et de Gilliat. Incantant sa nécromancie sur eux, si rien de particulier sur eux ne l'en empêchait, elle allait en prendre le contrôle et les faire se relever. Leurs corps n'étaient même pas si abîmés que cela, c'était parfait. Tant pis pour Kerdiald.

Quand Naoko eut fini, aidée par Mina, de se faire installer une attelle pour pouvoir continuer, le groupe fut prêt à repartir. La hache de Terugkeer était malheureusement endommagée à présent à cause de la magie du vieux chevalier, il dépendrait visiblement de l’épée de Geldo pour les combats à venir. U.Seitz contempla un instant les deux zombies créés par Méortis, et tout particulièrement Gilliat.
– Son épée pourrait se montrer utile… Mais elle demandait visiblement un usage actif. J’espère qu’on pourra l’utiliser.
U.Seitz passa alors devant, et ils continuèrent leur ascension de la montagne. Les ressources magiques des deux mages étaient faibles, même si Méortis avait de quoi en recharger une partie : si les prochains combats étaient aussi difficiles, les choses risquaient de tourner mal pour eux.
Ils progressèrent tout les 5 dans le décors rougeâtre et dévasté de la montagne, pendant un peu plus d’une heure supplémentaire, la fatigue les poussant à ralentir leur rythme. Seul Terugkeer était encore véritablement au sommet de sa force physique et de ses ressources de mana.

Ils finirent par atteindre le haut de la montagne malgré tout, le sommet qui avait été rasé par l’étrange bataille. Le groupe était à présent au bord d’un cratère qui avait remplacé le pic, un cratère qui faisait bien un kilomètre de large. Les plus érudits du groupe comprirent quelque chose d’étrange en observant la surface de ce trou immense qui formerait une demi sphère parfaite si il n’était pas endommagé par l’effondrement d’une partie de la montagne. La surface du cratère était lisse, et sans aucun signe de l’effet de chaleur sur sa terre et sa roche. C’était comme si on avait découpé parfaitement cette forme à même la terre.
– Vous êtes là bien trop tôt, fit soudainement une voix féminine.
La voix ne venait pas du cratère, mais d’en haut. Une femme flottait dans les airs, vers la droite du groupe. Elle portait une robe blanche, beige et brune, ainsi qu’un large chapeau pointu de magicien stéréotypé, et ses cheveux châtains, noués en deux épaisses tresses, ondulaient dans son dos avec la grande cape qui couvrait ses épaules. Croisant les bras en dessous de sa large poitrine, la sorcière, dont le regard noisette était jusqu’alors froid, laissa apparaître sur son visage un sourire.
– Naoko… Dans quel pétrin t’es tu donc fichue ? J’en attendais mieux d’une opportuniste telle que toi.
Après cette remarque pleine de mépris, la sorcière se rapprocha du sol, ses deux pieds se posant au bord du cratère à une dizaine de mètre d’U.Seitz, qui était le plus proche d’elle dans le groupe.
– Méortis, je présume, fit-elle à l’attention de la nécromancienne. Je suis toute aussi surprise que tu persiste dans cette aventure, maintenant que tu as récupérée la reproduction du grimoire de Gulliano.

Il y avait peu de chances qu'il s'agisse de quelqu'un d'autre, sur cette montagne.
-Bishop. fit Meortis en ignorant sa remarque et en l'observant. Elle aurait pu partir maintenant, mais cela n'était clairement pas la meilleure solution, au vu des informations recueillies jusqu'ici et des circonstances qui étaient celles de Méortis. Peut-être as-tu certaines informations à nous communiquer. Quel rôle joues-tu dans cette entreprise?

La sorcière, entendant la réplique de Méortis, fit entendre un claquement de langue agacée. Posant la main droite sur sa hanche, elle finit par répondre.
– Je ne vois pas pourquoi je te devrais quelques informations… Néanmoins, je te respecte en tant que mage, alors je peux éventuellement te faire gratuitement cette faveur. Je crois qu’il est inutile de me présenter, mais je suis Lusine Brigitte Valpurge Zwillinge, alias Bishop. Etaler mes titres serait superflu. Je suis celle ayant créé le Cittamatra, originellement à l’usage du prince Almirian, Ehir. Si je l’expliquais simplement, hm…
C’est un outil pour comprendre le divin, fit-elle avec un sourire plein de fierté. Un objet hérétique, sacrilège dans son concept seul. Il permet de traiter l’information de l’esprit d’un être à essence, ce pourquoi Mark en a besoin pour sa Transmigration divine, entre autre. Actuellement, je suis avant tout une observatrice. Je suis supposée observer cette expérience jusqu’à sa fin.

Naoko regarda Bishop, fatiguée de son ascension de la montagne. Son bras droit était envelloppé de son écharpe afin de l'aider à garder le peu de membre qu'elle possédait encore en place.
La mage épousseta son armure de combat, regardant Bishop flotter au dessus du cratère avant de lâcher un soupir.
... Heureuse de voir que tu as toujours la forme. Elle entendit le mépris dans la voix de
la femme, haussant un sourcil, tenant son casque sous le bras. Heureuse également de voir que tu porte toujours cet hideux chapeau. En même temps, je ne te plaint pas, il fait une chaleur dégoutante. Tu es venue seule, ou est-ce qu'on doit s'attendre à voir d'autres fortes personnalités autour de ce cratère?
Son gros sac se posa au sol, Naoko s'asseyant dessus en croisant les jambes. Elle prenait un peu de temps pour se reposer et recharger ses batteries avant qu'elle n'en ait vraiment besoin.

– Tu es la dernière personne qui devrait se moquer de mon esthétique, Naoko, répliqua sèchement Bishop. Ensuite, il n’y a plus que deux personnes sur cette montagne à part nous : Ravage et Mark. On ne peut pas vraiment dire qu’il s’agisse de la meilleure compagnie, cependant. Voir une liche se complaire dans un amour tordu à sens unique est particulièrement répugnant, et je ne préfère pas parler du dieu de la montagne. Ils sont à l’intérieur de ce cratère.
Sur ces mots, U.Seitz se tourna vers ses camarades, interrompant la conversation.
– Notre objectif est proche ! Nous devrions nous y précipiter sans tarder.
– Je regrette mais je ne peux pas le permettre, répliqua Bishop avec force. Je vais avoir besoin que vous restiez quelques minutes de plus ainsi ainsi, de cette manière nous n’aurons pas à nous blesser. Qu’en dites vous ? Je peux continuer à faire la conversation si vous le voulez.
– Vous êtes certainement puissante, admit U.Seitz. Mais vous êtes seule, pas en position de force pour nous forcer la main, en l’occurrence.
– Tu as raison en effet, soupira la sorcière avant de commencer à s’élever dans les airs plusieurs mètres au dessus du sol. Je ne suis pas particulièrement enjouée à cette idée moi même, cependant vous ralentir suffira amplement.
Elle retira alors sa cape, qui s’éleva au dessus de sa tête, s’étendant en une surface parfaitement plate. Des objets émergèrent alors du tissu, qui semblait agir comme un portail. On pouvait identifier un disque d’argent, une sorte de javeline tordue, une pierre sombre taillée, et un sceptre orné. Ces derniers flottaient maintenant autour de la magicienne.
– J’ai bien fait de les emporter avec moi. Compter sur les autres ne vous apporte rien de bon... Notez bien que ma proposition d'une conversation cordiale tient toujours.
Bishop ne souriait plus. De toute évidence, cette situation l’agaçait, et elle aurait préféré que les choses se déroulent autrement.

L'évocation du Cittamatra avait quelques peu éveillé la curiosité de Meortis envers Bishop. Lorsque cette dernière avait tiré ses objets de son sac, elle les avait observé avec une grande attention, vérifiant s'il y avait le moindre indice sur le genre de magie qu'ils pouvaient contenir ou leur potentiel effet. Cela avait d'ailleurs immédiatement effrité son intérêt pour la personne. Elle trouvait pitoyable pour un mage d'user d'artifices, même magiques.
-Ca signifie aussi que te parler revient à signer notre arrêt de mort, dit Meortis avec son ton habituel, s'avançant vers le cratère. Elle voulait constater de ce qu'il était possible d'y voir. Avec elle, son zombie dont le bras restait toujours accroché à l'épaule, comme un être indépendant. Ses deux nouveaux esclaves, Ereshkigal et Giliat s'avancèrent aussi. Tes travaux semblent en effet intéressants... Mais qu'est ce qui te rend si confiante en ton immunité à la transmigration? Pourquoi serais-tu ainsi immunisée? La présence des zombies en mesure de précaution laissait sous entendre que le moindre faux mouvement était synonyme d'engager le combat.
Elle comptait passer sur le côté, à environ cinq mètres de distance de Bishop, pour observer l'intérieur du cratère. Ses trois zombies étaient placés de sorte d'être entre la mage et elle. Ereshkigal était le plus proche de Bishop, puis venait le zombie Dunekmeth, et enfin, Giliat se trouvait juste à côté de Meortis de sorte qu'elle puisse atteindre aisément son arme d'un mouvement de bras et utiliser son enchantement pour annuler un potentiel sort. Seuls Meortis et son premier zombie étaient recouverts de miasmes, et pour le second, il restait pour l'instant cantonné aux poings.

-Je comprends pourquoi cela t’intéresse, répondit Bishop, néanmoins je n’ai pas vraiment de bonne raison de t’expliquer comment je suis immunisée. Sache juste que, contrairement aux autres, je connais les tenants et aboutissants du plan de Mark. Bien sur qu’il me trahisse pour une raison aléatoire est toujours une option… Une raison de plus pour tenir ma langue à ce sujet.
Qui plus est… J’aimerais que vous vous teniez éloignés de ce cratère.

Au loin, Méortis pouvait observer, visiblement vers l’autre bout du cratère, une sorte de lueur qui était sans aucun doute l’effet secondaire de la manifestation d’une puissante magie. Les choses étaient, entre autres, déjà en cours. La magicienne saisit son disque d’argent, constitué de plusieurs anneaux de métal qui pivotèrent un instant sur eux même, avant de poser son ongle sur le disque. Gilliat, tout d’un coup, fut soulevé dans les airs, sans aucune difficulté, maintenant hors de portée de main de Méortis. Bishop fit glisser son index sur le disque dans une direction, et Gilliat commenca à être projeté vers l’intérieur du cratère à grande vitesse. Sans être conscient pour utiliser l’épée, elle était inutile. Visiblement la sorcière connaissait bien l’artefact.

A l'instant ou Gilliat fut soulevé, Meortis lui fit jeter l'épée sur le rebord du cratère afin d'éviter qu'il ne soit projeté avec elle et qu'elle perde ce précieux moyen de défense. Elle était sur ses gardes et préparée à une potentielle attaque, même si elle n'en avait pas deviné la forme.
Pour le corps de Gilliat lui-même, elle ne pouvait rien faire, mais la pente du cratère était suffisamment douce pour qu'elle puisse le faire remonter après sa chute. Pour cela, elle fit en sorte de le faire tomber la tête la première. Un zombie n'avait pas nécessairement besoin de crâne, et la nuque amortirait le choc pour les membres, lui permettant de remonter plus ou moins fonctionnel.
Le zombie d'Ereshkigal, qui était le plus proche de Bishop, sauta avec une force surprenante vers la sorcière, comme si 8 mètres de hauteur n'étaient pas un fait si impressionant pour lui. Cependant, il ne tenta pas de l'attaquer. Il visait les artefacts, et tenta de se saisir du premier qui passerait à sa portée.
Simultanément, l'archzombie de Meortis se saisit de son propre bras et le jeta tel un projectile en direction de Bishop. Le dit bras était recouvert de miasme, et s'il le pouvait, il le propagerait sur l'ennemie. Son objectif était de la saisir. Une fois que la main aurait attrapé Bishop, même si elle parvenait à dissiper le miasme, elle aurait du mal à s'échapper de l'étreinte, et la seule force de la main suffirait à lui briser l'os.
Meortis, elle, s'accroupit ensuite sur l'épée pour rester à son contact. Elle se mit alors à incanter un sort. Cela lui prendrait du temps, ainsi que toute la mana qui lui restait, mais devait suffire à se débarasser de Bishop en un seul coup. Il fallait simplement qu'elle gagne du temps.
Il ne lui resterait ensuite d'énergie magique que la pierre de mana.

Lorsque l'artefact commença à l'attirer, Meortis ne se laissa pas déstabiliser et se concentra au contraire d'autant plus sur son sort. Avec son voile, elle ne craignait pas la chute. Pas de cette hauteur du moins. Au contraire, il s'agissait là d'une aubaine. Elle allait se laisser attirer, et lorsqu'elle serait à portée, elle relacherait le sort d'électromancie qu'elle était en train de préparer.
A l'origine, elle comptait incanter un sort très puissant pour s'assurer de toucher malgré la hauteur et la grande distance, et la plus grande difficulté était justement d'être précise, rapide, et dévastatrice. Mais si Bishop elle-même lui facilitait la tâche... Il lui suffirait simplement de relacher autant de puissance qu'elle le pouvait. A courte distance, l'électromancie n'avait pas de souci de précision, et l'énergie qu'elle avait déjà accumulé devait pouvoir griller sa cible.